Quand la médiathèque est ouverte… même quand elle est fermée ! (80)
La communauté de communes du Pays du Coquelicot, dans la Somme, s’est inspirée d’un concept belge pour innover en matière d’accès à la culture. Avec le dispositif « Open + », les trois médiathèques du territoire sont accessibles plus de 40 heures par semaine.

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Imaginez une médiathèque dans laquelle vous entrez par une porte spéciale et où vous retrouvez seul au milieu de tous les livres. Après avoir fait le tour des rayons, vous optez pour un roman et une biographie, et vous repartez comme vous êtes venu, sans jamais n’avoir croisé personne. Non, ce n’est pas le début d’une fiction mais bien la réalité que vivent les quelque 30 000 habitants de la communauté de communes du Pays du Coquelicot, dans la Somme. La culture a connu une petite révolution à l’été 2022 quand la collectivité a lancé un nouveau dispositif, baptisé Open +, qui permet d’ouvrir les trois médiathèques du territoire 43 heures par semaine, au lieu des 25 heures « officielles » d’accueil du public.
Grâce au déploiement de la RFID (radio-identification), les abonnés au service peuvent désormais gérer eux-mêmes leurs prêts et retours, tout en ayant un accès étendu aux bâtiments. Grâce à des badges équipés de puces, ils peuvent accéder aux médiathèques et emprunter ou retourner un livre, lui aussi muni d’une puce. « Tout a commencé par une volonté des élus de revoir notre réseau, composé jusque-là de trois bibliothèques un peu vieillissantes, d’une école de musique pas toute jeune et d’un espace jeunesse excentré. Ils ont souhaité réunir tous ces services dans des établissements qui se nomment aujourd’hui Les Zèbres », rembobine Emmanuelle Bissieux, directrice du pôle culture jeunesse à la communauté de communes du Pays du Coquelicot.
Adapter le système à la législation française
Plutôt qu’un simple regroupement, l’équipe de la lecture publique pousse la réflexion encore plus loin, en imaginant une refonte globale du système. « Forte d’une étude de marché sur le fonctionnement des usagers, l’équipe de la lecture publique a cherché des solutions pour augmenter l’amplitude d’ouverture de ces nouveaux Zèbres, afin de répondre à l’ensemble des besoins », poursuit Emmanuelle Bissieux. Leur regard se tourne vers les pays nordiques et la Belgique, qui proposent des ouvertures de médiathèque en soirée et le week-end. « Ce concept nous a rapidement intéressés car il nous permettait d’ouvrir sur des horaires étendus sans devoir recruter de personnel supplémentaire », développe la directrice.
Mais des obstacles se posent sur le chemin de la communauté de communes, qui avance en pionnière. « Quand on innove, c’est toujours un peu compliqué parce que nous n’avons pas de recul. Il a fallu regarder ce qu’il était possible de faire dans le cadre de la législation française, qui n’est pas la même que celle des pays nordiques où les bibliothèques peuvent ouvrir 24 heures/24 sans qu’il n’y ait personne pour accueillir le public. En France, pour des raisons de sécurité, une personne doit systématiquement être présente dans l’établissement », détaille encore Emmanuelle Bissieux.
Une appréhension pour les élus, les agents et les usagers
Au-delà du problème réglementaire, l’appréhension prédomine chez les élus, agents et même usagers des Zèbres. « Notre première crainte a été de se dire : Attention, nous allons laisser des gens en totale autonomie se balader à l’intérieur de nos établissements », sourit aujourd’hui Annie Lemaire, vice-présidente de la communauté de communes en charge de la culture, la jeunesse et la transition numérique et également maire d'Acheux-en-Amiénois, où l’un des trois Zèbres est implanté.
En plus de la crainte de dégradation ou de mauvais comportement, partagé avec les élus, les agents s’interrogent eux sur la pérennité de leur emploi, avec cette digitalisation du service. « Certains se sont demandé si cela n’était pas un moyen détourné de les remplacer », ajoute Emmanuelle Bissieux. Une crainte rapidement balayée par Annie Lemaire : « Enregistrer le prêt d’un livre et le scanner n’est pas très valorisant pour ce métier. Nous avons des bibliothécaires qualifiés, les décharger de ces tâches répétitives leur permet d’organiser des événements et de se consacrer à l’accompagnement du public », développe l’élue.
Les usagers avaient eux aussi quelques craintes au début, avec la technologie et cette liberté soudaine. « Nous avons essayé d’anticiper les éventuels problèmes qu’ils pourraient rencontrer, comme un dysfonctionnement de l’automate au moment du retour, nous avons donc mis en place des formulaires papier », prévient Emmanuelle Bissieux. « D’une manière générale, les usagers répondent présents et se sont approprié la solution technique, qui existait déjà en temps d’ouverture normale avant d’être étendue avec Open +. »
100 % gratuit pour les utilisateurs
Ces usagers, qui sont-ils d’ailleurs ? Difficile de définir un portrait type tant les profils sont variés. « Les commerçants par exemple, sont ravis de pouvoir venir le lundi, jour de fermeture au public. Il y a aussi des assistantes maternelles, qui vont venir le matin pour profiter des lieux avec les enfants qu'elles gardent », détaille la directrice du pôle culture jeunesse. « Tous les services leur sont accessibles : certains viennent pour jouer, d’autres pour lire le journal ou travailler dans l’espace tout silence. » Chacun est libre, tout en étant dépositaire du bon fonctionnement de ce système innovant. « C’est vraiment une relation de confiance construite avec les usagers », confirme Annie Lemaire. « Près de trois ans après son lancement, nous n’avons enregistré aucun problème. Les gens sont vraiment respectueux et raisonnables », ajoute la vice-présidente de la communauté de communes.
Le Pays du Coquelicot a simplifié les choses au maximum pour permettre au plus grand nombre d’en profiter. L’accès à ces espaces culturels est gratuit, tout comme le service Open + qui nécessite seulement de remplir et signer une charte de confiance. Toute neuve, la médiathèque principale, située à Albert, est équipée de portes dédiées au service Open +. Les deux autres « Zèbres » du territoire, à Bray-sur-Somme et Acheux-en-Amiénois ont adapté leur fonctionnement. Ici, pas de puce RFID pour l’ouverture de la bibliothèque, mais un scan visuel des agents. « Ces établissements sont beaucoup moins grands, mais surtout ils sont couplés avec des maisons France Services. Donc ce sont les collègues des maisons France Services qui checkent finalement ces cartes Open + », explique Emmanuelle Bissieux.
Le résultat a été fulgurant. « Dans les deux Zèbres ruraux, nous avons multiplié les inscriptions par six ou sept. Mutualiser la médiathèque avec la maison France Services permet d’augmenter la force de frappe. En décembre, à Acheux-en-Amiénois, nous avons enregistré 1 050 passages, ce qui veut dire que ces personnes, en quelques pas supplémentaires, se retrouvent à la médiathèque », développe Annie Lemaire, également édile de cette commune. « C’est beaucoup plus attractif qu’avant, quand la bibliothèque était toute petite et intégrée dans les locaux de la mairie. » L’élue à la culture apprécie d’autant plus cette initiative qu’elle dynamise la vie de son village de 600 habitants. « Cela permet aux habitants d’avoir un lieu de vie où l’on trouve des services publics et de la culture, ce qui manque aujourd’hui beaucoup dans les campagnes. » Cette première en France n’est pas passée inaperçue auprès des élus nationaux. La communauté de communes du Pays du Coquelicot a reçu le prix Territoria Or à l’Assemblée nationale en novembre 2023 pour la réussite de la transformation numérique de la médiathèque d’Albert.
Des horaires largement étendus
La médiathèque d’Albert est fermée au public les lundis et jeudis, ainsi que les mardis et vendredis matin… sauf pour ceux qui sont abonnés à Open +. Ces derniers disposent d’accès supplémentaires le lundi de 14 heures à 17 h 45, les mardis et vendredis de 9 heures à 12 heures et le jeudi de 9 heures à 12 heures et de 14 heures à 18 heures.
Le projet en chiffres
- 30 000 euros : le coût de l’installation pour le dispositif Open +
- 615 inscrits au programme Open +
- 998 m2 : la superficie de la médiathèque d’Albert
Communauté de communes du Pays du Coquelicot
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Anna-Maria Lemaire
Voir aussi
Pour aller plus loin
· Présentation d’Open + sur le site de la communauté de communes du pays du coquelicot
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