Flotte aérienne de lutte contre les incendies : un maillage à revoir, mais pas de deuxième base

Un rapport de la commission des finances du Sénat invite à accélérer le renouvellement de la flotte de bombardiers d’eau, les engagements du président de la République tardant à prendre corps. Il souligne la nécessité de revoir la répartition des moyens sur le territoire, mais se prononce contre la création d’une deuxième base comparable à celle de Nîmes. Il alerte également les Sdis qui se dotent de moyens aériens propres sur le risque de désengagement parallèle de l’État.

Passer des paroles aux actes. C’est l’une des recommandations qu’adresse la commission des finances du Sénat au gouvernement dans un rapport de Jean-Pierre Vogel (Sarthe, LR) sur la flotte d’aéronefs bombardiers de la sécurité civile. Dans un discours du 28 octobre dernier (voir notre article du même jour), le président de la République avait en effet promis le redimensionnement et renouvellement de la flotte. Mais ces engagements tardent à se concrétiser.

L’urgence d’un renouvellement de la flotte

Le rapport pointe ainsi "un décalage important" entre les annonces présidentielles et la réalité. En cause, un "défaut d’anticipation et de visibilité" du ministère de l’Intérieur, mais aussi une dépendance à l’égard du constructeur De Havilland, dont la capacité à livrer ses Canadair dans les délais est mise en doute. Pourtant, il y a urgence. Le rapport souligne que la doctrine d’intervention française d’attaque des feux naissants nécessite de disposer d’une capacité de projection d’autant plus importante que le changement climatique étend le risque d’incendie à l’ensemble du pays (voir notre article du 29 juin 2022). Or, la sollicitation croissante de la flotte induite par le réchauffement climatique met déjà à mal le taux de disponibilité des appareils en période de forte tension, non seulement du fait de l’augmentation des heures de vol et du nombre de largages réalisés, mais aussi de la multiplication des opérations de maintenance que ces derniers entraînent. Des immobilisations qui augmentent encore avec le vieillissement de la flotte. Pour certains appareils (deux Dash en particulier), ce dernier est tel que le rapport met en garde contre le risque de leur indisponibilité à court terme. Et si un projet de rénovation avionique est envisagé, le sénateur estime nécessaire de vérifier au préalable si l’achat d’appareils neufs ne serait pas préférable.

La location, un pis-aller

Pour faire face, la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises recourt depuis 2020 à la location. Une solution qui ne peut être qu’un pis-aller, souligne le rapport, du fait de son coût ou des difficultés opérationnelles qu’elle engendre (les équipages mis à disposition n’étant le plus souvent pas francophones). Pour Jean-Pierre Vogel, elle ne saurait dans tous les cas "constituer une solution d’extension des capacités de la flotte à long terme".

Le rapport plaide en particulier pour accélérer la concrétisation des commandes d’hélicoptères bombardiers d’eau, loués depuis 2020, "comme un complément utile à la flotte actuelle, et non comme une solution de substitution aux Canadair, malgré l’incertitude pesant sur leur livraison". Sur ce dernier point, le rapport plaide pour que l’Europe se dote d’une véritable capacité de production d’appareils similaires, afin de retrouver son indépendance. Il préconise plus largement un approfondissement des actions de coopération au sein de l’UE, notamment dans le cadre du mécanisme de protection civile (voir notre article du 10 mars 2020), d’ailleurs déjà à l’œuvre (voir notre article du 1er juin).

Revoir la répartition des moyens

L’extension du risque incendie à l’ensemble du territoire nécessite également de revoir la répartition des moyens, souligne le rapport. S’il relève que l’arbitrage des éventuelles demandes de repositionnement ressort désormais de l’État-major de la sécurité civile, et non plus du préfet de la zone Sud, Jean-Pierre Vogel insiste sur la nécessité de "clarifier et d’objectiver" les critères de repositionnement, considérant que des "divergences d’évaluation" du risque incendie d’un territoire à l’autre sont "susceptibles de générer des tensions". 
Bien qu’il observe que la quasi-totalité des moyens aériens est concentrée sur la base aérienne de Nîmes, le rapporteur spécial ne préconise pas la création d’une nouvelle base au dimensionnement comparable, qui conduirait à démultiplier les coûts. Il recommande plutôt de privilégier des détachements systématiques de moyens aériens pendant l’été sur des bases prééexistantes. Celle de Bordeaux-Mérignac pourrait ainsi constituer une base secondaire, moyennant quelques investissements complémentaires.

Dans tous les cas, le rapporteur spécial souligne que la question du dimensionnement des infrastructures susceptibles d’accueillir les aéronefs (et de leur maintien en condition opérationnelle) "doit être posée". Il plaide de même pour le renforcement du maillage des stations de pélicandromes – engins de ravitaillement des aéronefs – sur tout le territoire, constatant que le Sud-Ouest est "presque cinq fois moins doté que la zone Sud". Il préconise en outre une remise à plat du financement (partagé entre l’État et les services départementaux d’incendie et de secours) de ces engins, qui manque actuellement "de lisibilité et de cohérence".

En matière de cohérence, le rapporteur déplore par ailleurs l’absence d’interopérabilité entre le système de communication radiophonique des pilotes – dont on manque cruellement, comme d’instructeurs pour les former – et celui utilisé par les Sdis. Et ce, alors que la coopération entre les forces aériennes et les forces au sol est considérée comme "l’une des clefs de la guerre du feu". La "radio du futur" (voir notre article du 3 avril) devrait toutefois résoudre le hiatus.

Enfin, si le rapporteur spécial reconnaît l’utilité du recours à des moyens aériens propres par certains Sdis en complément de la flotte nationale, il ne manque pas de lancer l’alerte : "Il est important que le développement de cette pratique ne conduise pas in fine à un désengagement de l’État." Un procès déjà instruit par ailleurs, dans le cadre du renforcement des polices municipales.