Archives

Polices - Forces de sécurité : le rappel à l'ordre de la Cour des comptes

Le rapport de la Cour des comptes sur "l'organisation et la gestion des forces de sécurité publique" fait du bruit. Au-delà de ses fortes réserves sur les résultats "contrastés" de la lutte contre la délinquance au niveau national, il porte un regard critique sur l'hétérogénéité des pratiques des collectivités locales s'agissant des polices municipales et de la vidéosurveillance.

Si "la préservation de la sécurité publique incombe principalement à l'Etat, qui dispose à cet effet de deux forces, la police nationale et la gendarmerie nationale, qui se partagent le territoire national en deux zones (…), de plus en plus, les collectivités territoriales y contribuent aussi, les communes en particulier avec le développement des polices municipales et des systèmes de vidéosurveillance de la voie publique". Un propos introductif signé de la Cour des comptes qui indiquera d'emblée aux collectivités pourquoi le rapport sur "l'organisation et la gestion des forces de sécurité publique" présenté ce jeudi 7 juillet par Didier Migaud les concerne très directement.
Avant même d'être officiellement rendu public, ce rapport de 200 pages – la première publication de la Cour des comptes entièrement consacrée à la sécurité publique – a fait grincer des dents du côté de la place Beauvau en ce qu'il juge "contrastés" les résultats obtenus dans la lutte contre la délinquance entre 2002 et 2010. En précisant tout de suite, tel que l'a fait jeudi le premier président de la Cour des comptes devant la presse, que ce rapport n'entend pas être "une évaluation d'ensemble de la politique de sécurité". Il exclut par exemple tout ce qui relève de la police judiciaire ou de la sécurité routière. En termes de méthodologie, il s'appuie sur des contrôles effectués dans quinze départements et une cinquantaine de communes des régions Ile-de-France, Rhône-Alpes, Paca et Languedoc-Roussillon. Y compris sur l'examen, par les chambres régionales des comptes, de l'action des collectivités locales dans 52 communes ou intercommunalités, principalement urbaines.

Inégalités et inadéquations...

Du côté de la gestion des forces de sécurité publique mises en œuvre par l'Etat, le constat d'ensemble de la Cour n'est pas franchement indulgent. Le rapport met notamment l'accent sur la baisse, RGPP oblige, du nombre de fonctionnaires de police ("le nombre des policiers affectés dans les services de sécurité publique sera revenu en 2011 à son niveau de 2002") et la réduction des dépenses de fonctionnement comme d'équipement. Il évoque aussi, par exemple, le fort taux d'indisponibilité des services de police chargés de la sécurité publique et le faible taux de présence des policiers sur la voie publique.
Il s'intéresse de près à la répartition territoriale des effectifs, ne pouvant que constater "d'importantes inégalités entre les circonscriptions" et une inadéquation avec les données démographiques et les niveaux de délinquance de chaque territoire. Des disparités qui pourraient engendrer une inégalité  "de traitement des citoyens au regard de leur droit à la sécurité", estime la Cour. En outre, le fait d'implanter des services de police dans certaines circonscriptions de moins de 20.000 habitants apparaît peu pertinent et, plus globalement, le partage du territoire national entre les zones de compétences de police et de gendarmerie qui est relativement figé mériterait d'être largement revu.
En termes de pilotage, la Cour regrette principalement que celui-ci soit fortement centralisé et soit par ailleurs fortement dicté par des objectifs statistiques de mesure de la délinquance. Des statistiques dont la fiabilité est de surcroît mise en cause : "L'agrégat de délinquance générale est dénué de réelle signification du fait de l'hétérogénéité des rubriques qui le composent. Les évolutions statistiques peuvent aussi être influencées par des changements du mode de comptabilisation des délits. Au total, ces instruments de mesure éclairent mal sur l'efficacité des services."

Question de choix politique... et de moyens

L'important essor des polices municipales doit-il être vu comme une conséquence de ces multiples dysfonctionnements ? Quoi qu'il en soit, "directement confrontés aux besoins de la population, les maires se sont efforcés de répondre ainsi à la demande croissante de sécurité". Résultat : cet essor est spectaculaire. Le nombre de policiers municipaux a augmenté de 35% en huit ans. Début 2010, on comptait 19.370 agents. Ainsi, "dans les zones de compétence de la police nationale, les polices municipales représentent environ un quart des agents de sécurité présents", précise Didier Migaud. Seules quatre villes de plus de 50.000 habitants n'ont pas de police municipale : Brest, Le Mans, Saint-Nazaire et Arles. Surtout, la Cour constate que le rôle des polices municipales n'a eu de cesse de s'élargir jusqu'à, dans certaines communes, "devenir des forces de substitution de la police nationale". Le rapport détaille la situation : "En zone de police, le dispositif de coordination aboutit à ce que les services de l'Etat se retirent des missions de surveillance générale de la voie publique pour se consacrer davantage aux interventions ciblées de lutte contre la délinquance. L'équilibre ainsi établi prend acte du transfert de la police de proximité sous l'autorité du maire (…). Cette évolution fait ainsi dépendre du choix des élus locaux les conditions de mise en oeuvre des politiques de sécurité de l'Etat."
Du coup, là encore, l'hétérogénéité est de mise. Le rapport évoque ainsi "d'un côté, des villes moyennes et grandes dotées de polices municipales pouvant atteindre plus d'une centaine d'agents et, de l'autre, une écrasante majorité de petites communes ne comptant que quelques policiers municipaux ou gardes champêtres". Surtout, il souligne combien la situation dépend, non seulement du niveau local de délinquance, mais aussi de "l'appréciation portée par les élus" – d'un choix politique, donc – et des moyens financiers mobilisables. Y compris s'agissant des missions dévolues aux policiers municipaux. Le rapport dessine ainsi trois catégories de territoires : les communes où la police municipale joue un rôle limité ("la surveillance générale de l'espace public, la verbalisation du stationnement irrégulier et du stationnement payant, le contrôle de la circulation routière, des actions de police administrative et de surveillance des abords des écoles, le dialogue et l'assistance aux personnes ") ; celles où, au contraire, "les polices municipales ont une doctrine d'emploi clairement orientée vers la lutte contre la délinquance dans une relation de complémentarité assumée avec la police nationale" ; et, entre les deux, celles qui ont une vision intermédiaire et "pas toujours clairement formulée"…
La Cour parle ainsi d'"hétérogénéité des doctrines d'emploi" selon les villes. Et regrette le manque d'évaluation et de contrôle et l'insuffisance de la formation des policiers municipaux malgré l'extension de leurs missions. Ces constats appellent trois propositions formulées en fin de rapport : "instaurer la transmission aux préfets (outre les maires) des avis de fin de formation des stagiaires émis par le CNFPT, afin de motiver les décisions d'agrément", "créer une obligation de formation continue des directeurs de police municipale", "étudier de nouvelles modalités de contrôle des polices municipales par le ministère de l'intérieur".

Vidéosurveillance sans contrôle ?

Plus globalement, au-delà des seules polices municipales, la Cour met d'ailleurs l'accent sur "l'implication variable des collectivités locales dans la prévention de la délinquance". Pour ne citer que l'aspect financier, on saura par exemple que parmi les communes étudiées, le budget consacré à la sécurité et à la prévention variait en 2008 de 0,8% des dépenses totales de fonctionnement à Vitry-sur-Seine (1,5 million d'euros) à 7% à Cannes (25,7 millions).
Ces budgets intègrent dans certains cas… la vidéosurveillance, autre gros volet développé par la Cour des Comptes. Avec, là encore, un regard critique. Estimant à environ 10.000 le nombre de caméras de surveillance de la voie publique fin 2010 (hors caméras de surveillance des bâtiments publics, des lieux ouverts au public ou installées dans les transports publics), le rapport rappelle que le programme de triplement en trois ans engagé par le gouvernement "représente pour les collectivités territoriales, principalement les communes, un investissement d'au moins 300 millions d'euros, subventionné par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) et des dépenses annuelles d'exploitation estimées à 300 millions d'euros".
Or malgré ces coûts plus que conséquents, la Cour constate "la quasi-absence" d'enquêtes d'évaluation de l'efficacité de la vidéosurveillance. Et surtout, elle considère que le développement de l'outil s'est fait de façon plutôt anarchique… voire parfois hors des clous de la loi. "Au regard des textes en vigueur, les préfets remplissent imparfaitement leurs missions quand ils autorisent l'installation de systèmes de vidéosurveillance de la voie publique sans appliquer les exigences prévues quant à la qualité des personnes habilitées à visionner les images" et les communes, de leur côté, "notamment celles dépourvues de police municipale, y affectent des personnels de leur choix".

 

Téléchargements

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis