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Forum des Interconnectés : les pistes des élus locaux pour ne plus subir le numérique

Exclusion, impact environnemental, cyberattaques, désinformation… l’édition 2022 des Interconnectés a été l’occasion de débattre des grands maux du numérique. Les associations d’élus veulent inverser la donne en promouvant un numérique "émancipateur", objet de propositions remises aux candidats à la présidentielle, avec comme priorité la lutte contre l’exclusion numérique.

Plus de vingt ans après le programme d'action gouvernemental pour la société de l'information (Pagsi), force est de constater que les promesses de l’époque en termes d’éducation, de démocratie ou d’égalité ne se sont pas réalisées. Les rêves d’émancipation ont tourné à une dystopie numérique qui a été au cœur de l’édition 2022 du Forum des Interconnectés, organisé à Nantes ces 2 et 3 mars. "Nous avons trois défis à relever", a résumé Jean-Francois Marchandise, chercheur à la Fing : "Celui du numérique subi, à l’image de la dématérialisation rendue obligatoire ou des algorithmes qui nous calculent au lieu de nous aider ; celui du numérique illimité alors que les ressources de la planète sont limitées ; celui du numérique 'voyou', avec des sociétés qui ne paient pas d’impôts, la cyberdélinquance et des pays du sud transformés en poubelle." Si les élus se défendent de tout souhait de retour en arrière, ils invitent en cette période électorale les candidats à la présidentielle à se saisir du numérique comme d’un "sujet politique" dans l’objectif de "reconstituer les bases de la confiance". "Sans tourner à la carricature de la critique de la technologie, il nous faut trouver le bon curseur, avec une approche apolitique", a insisté Franckie Trichet, conseiller au numérique à la ville de Nantes.

Rassurer les citoyens

Car sur la plupart des défis numériques, la réponse des pouvoirs publics semble encore loin d’être à la hauteur, les élus reprenant notamment à leur compte bon nombre des propositions du Défenseur des droits (voir notre article). Jacques Oberti, président du Sicoval, note ainsi que les logiques de dématérialisation ayant conduit aux errements de ces dernières années sont toujours à l’œuvre. "On vient de lancer l’espace numérique de santé mais l’administration ne s’est pas préoccupée de la manière dont les personnes les plus fragiles allaient pouvoir y accéder", déplore-t-il. L’élu plaide pour un retour de la "proximité" et appelle à "trouver le territoire pertinent pour organiser la main tendue vers le citoyen". Un constat largement partagé par Céline Collet-Dufays, vice-présidente de la CC Creuse Grand Sud. L’élue de cette zone très rurale estime que l’une des premières missions des conseillers numériques France services (CNFS) est de "rassurer les usagers", la télémédecine ou les télédémarches administratives n’ayant pas vocation à se substituer aux services physiques.

Cibler les plus fragiles

Le déploiement des CNFS est du reste accueilli avec circonspection, notamment en raison de l’absence de visibilité sur la pérennité des financements. "L’Etat voudrait que les collectivités locales prennent le relais mais on sait bien ce que cela a donné par le passé", pointe Valérie Peugeot, passée par le conseil national du numérique (CNum) et désormais membre de la Cnil. Elle regrette au passage que la proposition du CNum de l’époque de mettre des aides numériques généralistes dans l’ensemble des services publics n’ait pas été retenue. Et d’ajouter que les CNFS doivent aller vers les publics les plus fragiles "car on demande à l’usager de faire le diagnostic de sa souffrance, or les plus éloignés du numérique ne pousseront jamais d’eux-mêmes la porte d’un espace public numérique". Cette démarche "d’aller vers" est celle du Grand Paris. "Nous travaillons avec les bailleurs sociaux et nos CNFS sont installés dans les quartiers prioritaires en pied d’immeuble, à côté du gardien", fait valoir son vice-président au numérique, Geoffroy Boulard. L’élu est du reste convaincu que si les dispositifs font preuve de leur "efficience", ils seront pérennisés.

La segmentation des publics dans la lutte contre l’illectronisme fait cependant débat. "Si on oublie les exclusions existantes - sociales, culturelles, économiques... - on n'arrivera à rien", estime Michel Lansard. Pour le responsable des questions numériques à ATD Quart Monde, il faut "sortir d’une logique d’écrémage et de priorisation car elle ne marche pas". Il invite également les élus à prendre comme mètre-étalon les publics les plus en difficulté, citant l’exemple des forfaits mobiles sociaux promus par des sénateurs qui semblent ignorer que les plus précaires n’utilisent que des cartes prépayées.

Repenser et débattre de la "matrice"

Pour éviter d’avoir à réparer les méfaits du numérique, les élus estiment cependant qu’il faut "revoir la matrice qui génère la fracture". L’exclusion numérique ne serait ainsi que le symptôme d’une société qui n’a pas réussi à imposer ses valeurs à la Tech. Pour renverser la donne, Caroline Zorn, vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, invite à "favoriser l’évolution du droit par la pression sociale". Une ambition dont le préalable est le développement de l’éducation populaire au numérique. Un principe "d’encapacitation", déjà pratiqué dans le cadre de la convention citoyenne sur le climat, auquel souscrit pleinement Françoise Mercadal-Delasalles, vice-présidente du conseil national du numérique. "Nous voulons ouvrir le débat dans la civilisation numérique car le numérique est responsable de nombreux maux de notre société", explique-t-elle. Dans cette optique, l’institution a publié le 15 février un ouvrage explorant cinq grands défis du numérique et prévoit l’organisation d’une quinzaine de débats en région. Chantal Jouanno, présidente de la commission nationale du débat public, a plaidé pour sa part pour un développement de la concertation locale sur le numérique, notant que "les débats locaux sur la 5G ont débouché sur la question du numérique responsable". C’est ainsi qu’à Bordeaux, l’implantation d’un datacenter a été débattue "alors même que ces équipements ne font pas partie de la liste de ceux soumis à consultation publique", relève l’ancienne ministre de l’Environnement.

  • Un manifeste remis aux candidats à la présidentielle

Le manifeste pour des territoires numériques responsables de 2021 des interconnectés a été revisité pour se transformer en propositions adressées aux candidats à l’élection présidentielle. Un document qui dessine un chemin pour "corriger les erreurs du numérique et s’assurer qu’il répond vraiment aux valeurs de notre société" explique l’un de ses rédacteurs, Pierre Jannin élu au numérique de la Ville de Rennes. Les associations y défendent notamment la coconstruction d’une ambition numérique nationale, un droit au numérique pour chaque citoyen et la primauté au numérique responsable tant d’un point de vue éthique qu’environnemental. La nécessité pour les territoires d’accéder aux données d’intérêt territorial y est également réaffirmée.

 

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