Gabriel Attal : une France à "débureaucratiser" et "déverrouiller"
La déclaration de politique générale prononcée par Gabriel Attal ce 30 janvier devant les députés a notamment mis l'accent sur le travail, le logement, la chasse aux normes, la santé, l'éducation et, actualité oblige, l'agriculture. Parmi les maîtres-mots : "souveraineté" et "classe moyenne". Les départements retiendront les annonces relatives aux minima sociaux (dont un basculement de l'ASS vers le RSA) et les communes celles liées au logement social (attributions confiées aux maires et intégration du logement intermédiaire dans les quotas SRU). On attend la prise de parole du Premier ministre au Sénat pour en savoir plus sur sa "stratégie pour les territoires".
La déclaration de politique générale de Gabriel Attal. C'était ce mardi 30 janvier à l'Assemblée nationale. Un discours d'environ 1h15 déroulé à toute allure. Un long propos introductif sur les atouts de la France, son "identité et ses valeurs", les crises que le pays traverse et les "raisons d'espérer". Puis, par grandes thématiques, le rappel de ce qui a été fait depuis 2017 ou durant les derniers mois. Et plusieurs annonces. Le tout avec des choix sémantiques clairement placés dans le sillage de ceux d'Emmanuel Macron, tels que développés lors de la conférence de presse du 16 janvier à l'Elysée (voir notre article). Et avec pour principal mot d'ordre : "Reconquérir notre souveraineté". Souveraineté "économique" ("retour des industries sur notre sol", baisse du taux de chômage, attractivité pour les investissements étrangers…), souveraineté "énergétique", "souveraineté de nos frontières" et souveraineté agricole. Avec, enfin, une cible privilégiée : la "classe moyenne", comme le répète volontiers le Premier ministre depuis sa nomination (voir notre article). La classe moyenne ? Un "entre-deux" un peu perdu, dit-t-il, dans une "France archipel", qui aurait "le sentiment d'avoir tous les devoirs quand d'autres ont tous les droits". Des Français aux "espoirs tranquilles", ceux de "vivre de leur travail, éduquer leurs enfants, se soigner, et vivre en sécurité"...
Ainsi, quatre "priorités d'action" ont été déclinées : le travail ("pour qu’il paie mieux et toujours plus que l’inactivité"), les services publics, l'autorité et le civisme, l'environnement.
-
Au travail
"Désmicardiser la France" – Gabriel Attal a annoncé une réforme sur les bas salaires : "Nous devons faire évoluer un système qui nous a conduits, depuis des décennies, à concentrer nos aides, nos exonérations, au niveau du Smic", a déclaré le chef du gouvernement, pour qui "il faut désmicardiser la France". "Dès le prochain projet de loi de finances (...) nous commencerons à réformer ce système", a-t-il poursuivi, car "notre système, fruit de réformes successives pétries de bonnes intentions ces dernières décennies, a placé notre monde économique dans une situation où il n'y a quasiment plus aucun intérêt pour quiconque à augmenter un salarié au Smic". Il entend en outre agir pour que les branches professionnelles qui continuent à rémunérer en dessous du Smic "remontent ces rémunérations", n'excluant "aucune mesure" pour parvenir à des résultats rapides.
Fonctionnaires – Est confirmée la volonté d'intégrer "leur mérite et leurs efforts à leur rémunération". "Un projet de loi sera déposé dès le second semestre de cette année", a dit Gabriel Attal, sachant que l'ancien ministre de la Fonction publique, Stanislas Guerini, évoquait pour sa part un texte pour le premier semestre.
Fiscalité – Également confirmée, "une nouvelle baisse d’impôts de 2 milliards d’euros" pour les ménages.
Chômage et minima sociaux – Plusieurs annonces. L'expérimentation lancée avec 18 départements, dans le cadre de France Travail, sur l'accompagnement renforcé des bénéficiaires du RSA (que Gabriel Attal traduit par le fait de conditionner le RSA "à 15 heures d’activité pour l’insertion") donnera lieu à généralisation "à tous les départements de France" dès "le 1er janvier 2025. "L’expérimentation de France Travail doit aller jusqu’à son terme avant d’envisager une généralisation", a réagi Départements de France. Et trois territoires expérimentateurs (Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique, Métropole de Lyon) ont tenu a rappeler que leur démarche excluait toute conditionnement à des heures d'activité.
Il a par ailleurs fait part de sa volonté d'"aller plus loin dans la réforme de l’assurance chômage" avec, si besoin, "une nouvelle lettre de cadrage" visant à "inciter toujours plus à la reprise du travail".
Le chantier de la "solidarité à la source" devra être mené à bien. On le sait complexe. Et potentiellement porteur de coûts supplémentaires pour les départements eu égard aux taux actuels de non-recours.
Enfin, un point ayant de quoi faire bondir les départements : la suppression de l'ASS (allocation de solidarité spécifique). Ses bénéficiaires basculeront au RSA. Rappel de l'existant : l'ASS est une allocation destinée à des chômeurs de très longue durée ayant épuisé leurs droits à l'assurance chômage. Plus d'un allocataire sur deux est âgé de 50 ans ou plus. Son montant est de 545 euros par mois, soit un peu moins que le RSA (608 euros). Fin 2021, l'ASS était perçue par 322.000 personnes, qui continuent à acquérir des trimestres pour le calcul de leur retraite, ce qui ne sera pas le cas avec le RSA. Le RSA, lui, est financé par les départements. Départements de France a vite fait le calcul : 2,1 milliards d'euros. Et l'association de prévenir : "Les départements ne pourront y faire face" et "demandent donc la mise en place, rapide, d’une discussion avec le gouvernement, pour qu’il compense ce qui ne serait rien d’autre qu’un transfert de charge de France Travail (ex-Pôle emploi) vers les départements."
Temps de travail – Parce que "le rapport au travail a changé", tout comme "le rapport au temps", le chef du gouvernement souhaite que l'État "donne l'exemple" et va à ce titre demander à tous ses ministres d'expérimenter "la semaine en quatre jours, sans réduction du temps de travail". Il souhaite par ailleurs "avancer dans le chantier du compte épargne-temps universel", afin de "permettre à ceux qui le souhaitent de travailler beaucoup plus à certains moments de leur vie (…) pour pouvoir, ensuite, travailler moins à d’autres moments".
-
"Déverrouiller le logement"
Gabriel Attal mise sur "un choc d'offres" à créer "avec les élus locaux" et a multiplié les pistes envisagées dans ce domaine.
Simplifier les normes – "Revoir les DPE, simplifier l’accès à MaPrimeRénov', faciliter la densification, lever les contraintes sur le zonage, accélérer les procédures".
Territoires engagés pour le logement – Les 20 territoires sur lesquels l'objectif est de sortir 30.000 logements de différentes typologies, en fonction des besoins locaux, dans les trois prochaines années, comme l'avait fait savoir Élisabeth Borne en fin d'année dernière (voir notre article du 4 décembre), seront désignés "dans deux semaines".
Réquisitions de "bâtiments vides, notamment des bâtiments de bureaux".
Logement social / Foncier – "Un nouveau prêt de très long terme", de "2 milliards d’euros, distribués par la Banque des Territoires" apportera une réponse "au coût élevé du foncier".
Attribution de logements – Le Premier ministre a annoncé vouloir "donner aux maires la main pour la première attribution dans les nouveaux logements sociaux construits sur leur commune". Ce qui reviendrait théoriquement à exclure les autres réservataires que sont l'État et Action logement. L'Association des maires de France (AMF) s'est rapidement félicitée de cette "reconnaissance de la compétence des maires en matière d’attribution de logements locatifs sociaux". Inquiétude du côté de la Fondation Abbé Pierre en revanche : "Les maires attribuent beaucoup moins de HLM aux ménages prioritaires (21%) que l’État (89%)", a réagi son représentant Manuel Domergue.
Loi SRU – Le gouvernement compte engager une "réflexion" pour "ajouter pour une part les logements intermédiaires, accessibles à la classe moyenne, dans ce calcul des 25%" de la loi SRU. Là encore, les réactions n'ont pas tardé. Les loyers des logements intermédiaires "sont bien trop élevés pour une grande majorité des classes moyennes", a ainsi estimé l'USH, rappelant qu'aujourd'hui, "seuls 3% des ménages en attente de logement social y sont éligibles".
-
"Débureaucratiser la France"
Normes (bis) - "Nous évaluerons les normes qui peuvent être supprimées ou simplifiées, avec les Français, avec les professionnels, avec les élus", ces "élus locaux, qui croulent sous les règles et les procédures administratives", a déclaré le Premier ministre. Et celui-ci de donner un exemple : "Au niveau local, en Haute-Garonne, en quelques réunions sur une semaine, le préfet et les agriculteurs se sont accordés sur l’abrogation de quatre arrêtés préfectoraux. Cette logique est étendue dès cette semaine à l’ensemble des départements français."
On saura par ailleurs que "tous les organes, organismes, comités ou autres, qui ne se sont pas réunis ces 12 derniers mois, seront supprimés automatiquement".
Projets industriels – Un "deuxième projet de loi Industrie verte" est annoncé. Parmi les dispositions prévues : "concentrer les travaux de la CNDP uniquement sur les projets d’envergure nationale" pour accélérer les procédures. On rappellera que la Commission nationale du débat public est l'autorité indépendante garante du droit à l’information et à la participation du public sur les projets ayant un impact sur l'environnement.
-
"Réduire nos déficits"
Confirmant la volonté de l'exécutif de "repasser sous les 3% de déficit public d’ici 2027", Gabriel Attal entend "poursuivre et renforcer les revues de dépenses, auxquelles tous les ministères et tous les secteurs de l’action publique seront associés", pour de premières propositions d’économies annoncées dès mars en vue du prochain projet de loi de finances. On sait qu'au moins deux de ces "revues" concernent directement les collectivités (voir notre article).
-
Santé
"Plus de temps médical" – L'idée déjà émise par Emmanuel Macron de régulariser des médecins étrangers a été reprise. Plus encore, Gabriel Attal compte nommer "un émissaire chargé d’aller chercher à l’étranger des médecins" et tenter de "faire revenir les jeunes Français partis étudier à l’étranger". Également confirmées, l'idée de "mieux reconnaître l’expertise" de soignants tels que les infirmiers, et l'intention d'"accélérer le passage de 6.000 à 10.000 assistants médicaux".
SAS – "Dès cet été, chaque département devra être doté d’un service d’accès aux soins", faute de quoi il n'est pas exclu d'instaurer "des obligations de garde pour les médecins libéraux".
Rendez-vous non honorés – "Dès cette année", un patient ne se présentant pas à un rendez-vous médical et ne prévenant pas devra "payer".
Santé mentale – Le dispositif MonSoutienPsy va être "rénové de fond en comble" : augmentation du tarif remboursé, accès direct sans obligation de passer par un médecin. Autres objectifs : disposer d'une maison des adolescents par département (on en compterait 50 aujourd'hui) ; faire bénéficier les infirmières scolaires d'une prime et de revalorisations salariales.
-
Éducation
Concernant l'école, pas vraiment d'éléments nouveaux. Il a de nouveau été question de "choc des savoirs", de redoublements, de groupes de niveaux ("dès cette année" au collège), de remplacements et de Pacte enseignant, d'usage des écrans, de formation des enseignants (dont la réforme sera présentée en mars), d'uniforme (si l'expérimentation "est concluante", la généralisation est prévue pour la rentrée 2026), de harcèlement…
AESH – Concernant les élèves en situation de handicap, Gabriel Attal a repris à son compte, sans s'y référer, le contenu de la proposition de loi qui vient d'être adoptée au Sénat sur la prise en charge des AESH sur le temps méridien (voir notre article du 24 janvier). Lors des débats, la ministre Catherine Vautrin avait déjà fait savoir que le gouvernement "regarderait ce texte avec une sagesse très bienveillante". Le Premier ministre a pris les devants en déclarant : "L'État prend ses responsabilités et financera désormais l’accompagnement des enfants en situation de handicap sur leur pause déjeuner."
Violences / Sanctions – Le gouvernement compte créer, à l'attention des mineurs de moins de 16 ans auteurs de violences, des "travaux d’intérêt éducatif", sur le modèle des travaux d’intérêt général, dans le cadre d'une "revue de l’échelle des sanctions dans nos établissements scolaires". En outre, "quand un jeune sera sur la mauvaise pente (…), nous proposerons aux parents de le placer en internat, en y facilitant l’accès, y compris financier", a fait savoir Gabriel Attal, indiquant que l'on compterait "50.000 places d’internat disponibles".
SNU – L'objectif reste bien de généraliser le service national universel "à la rentrée scolaire 2026".
-
Territoires
Le sujet des "territoires" et des collectivités a été peu développé. Le Premier ministre l'a dit lui-même : c'est ce mercredi 31 janvier à 15 heures, lorsqu'il ira prononcer une déclaration de politique générale devant le Sénat, qu'il évoquera sa "stratégie pour nos territoires". "L'AMF note que le mot décentralisation n’a pas été prononcé cet après-midi. Elle sera donc attentive au discours que prononcera demain le Premier ministre au Sénat", ont d'ailleurs indiqué les maires de France. Gabriel Attal a pour l'heure simplement assuré que "toutes les solutions se construiront avec les élus locaux", qu'il misera sur la "différenciation" et qu'il attend les conclusions de la mission Woerth.
Il a par ailleurs mis l'accent sur "les spécificités des outre-mer" et mentionné une future loi sur Mayotte ainsi que le projet de loi constitutionnelle sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
-
Transition écologique
Le mot d'ordre : non à "l'écologie de la brutalité", oui à une "écologie populaire". Une écologie qui, entre autres, sait "entendre les élus locaux qui veulent développer leurs communes" et "les Français des villes moyennes, des petites communes et de la ruralité pour qui la voiture est gage de travail et de liberté"…
Plastique – Prenant modèle sur les contrats de transition écologique des 50 sites industriels les plus polluants (voir notre article du 14 décembre), le gouvernement compte lancer une initiative "similaire" pour "les 50 sites qui mettent le plus d’emballages plastiques sur le marché".
Planification écologique – "Je souhaite que le financement des plans locaux de transition écologique soit établi partout d’ici l’été", a dit Gabriel Attal, sans plus de précisions.
Nucléaire – "Nous allons continuer la montée en puissance de notre parc nucléaire, investir massivement dans les programmes et cette année, l’EPR de Flamanville sera opérationnel."
"Service civique écologique" – Ce nouveau service civique "rassemblera d’ici la fin du quinquennat 50.000 jeunes prêts à s’engager concrètement pour le climat".
Adaptation – Le "nouveau plan d’adaptation au changement climatique" en préparation du côté du ministre Christophe Béchu (voir notre article du 24 janvier) sera présenté "dès ce trimestre" et "proposera des solutions adaptées à chaque territoire".
Cat Nat – Il est prévu de faire "évoluer le régime de catastrophe naturelle pour le moderniser et éviter que certains assureurs n’abandonnent les territoires les plus à risques".
-
L'"exception agricole française"
Après avoir annoncé une première série de mesures pour l'agriculture le 26 janvier (voir notre article), le Premier ministre était très attendu sur ce sujet alors que la mobilisation ne faiblit pas. Il a plaidé pour une "exception agricole française" et promis d'inscrire dans la loi le principe de "souveraineté alimentaire", tout en précisant que le combat devait se mener "en Europe", dans le cadre des mesures de réciprocité dans les accords commerciaux.
Pour renforcer la trésorerie des exploitants, le Premier ministre a promis d'agir sur les retards de paiement des aides de la PAC. Toutes les aides seront versées sur le compte des exploitants "d'ici le 15 mars", a-t-il dit, précisant qu'un travail allait être mené avec les régions pour que les aides à l'installation soient versées "dans les prochaines semaines". Par ailleurs, "dès février, 50% des remboursements de TICPE seront versés aux exploitants" (soit 733 euros pour 7.000 litres de GNR).
Le chef du gouvernement a apporté de nouvelles réponses sectorielles : un "fonds d'urgence" sera débloqué "avant la fin de la semaine pour la viticulture, en particulier en Occitanie ; la mesure de défiscalisation pour l'élevage bovin figurant dans la loi de finances pour 2024 sera renforcée ; le fonds d'urgence pour la Bretagne sera "doublé" ; le guichet de prise en charge des frais vétérinaires dans le cadre de la MHE (maladie hémorragique épizootique) sera ouvert dès le 5 février.
D'autres mesures seront annoncées dans les "tout prochains jours", notamment sur l'installation.
Après avoir annoncé vendredi, un renforcement des contrôles de la DGCCRF, le Premier ministre a indiqué que le produit des amendes des transformateurs et distributeurs qui ne respecteraient pas la loi Egalim serait "utilisé pour soutenir financièrement les agriculteurs". 100 inspecteurs supplémentaires "ont déjà commencé les contrôles".
Le Premier ministre est enfin revenu sur les enjeux européens : jachères, importations de volailles ukrainiennes, accord de libre-échange avec le Mercosur… Sujets portés directement par le président de la République qui doit rencontrer la présidente de la Commission ce jeudi. Pour les jachères, une coalition de 22 pays a été formée pour demander une dérogation aux règles européennes (la nouvelle PAC impose de garder 4% de jachères ou surfaces non-productives) ; "Nous sommes proches d'aboutir", a-t-il dit. La Commission doit examiner cette proposition de dérogation jeudi. Le Premier ministre a aussi assuré que la France travaillerait à "éviter toute surtransposition, d'où qu'elle vienne".