Hydrogène : la France emporte une bataille, pas encore la guerre

Dans un acte délégué qui peut en théorie encore être rejeté, mais non modifié, la Commission européenne juge qu’un nouvel électrolyseur connecté à un réseau d’électricité décarboné – c’est le cas du réseau français, grâce au nucléaire – peut être considéré comme une installation nouvelle pour produire de l’hydrogène "vert". Une victoire pour la France, qui doit encore lutter pour que l’hydrogène bas carbone (issu du nucléaire) puisse être comptabilisé au même titre que l’hydrogène renouvelable dans les nouveaux objectifs d’énergies renouvelables prévus dans le cadre de la future directive RED III.

Dans la guerre qui se joue autour de l’hydrogène, la France vient de remporter une bataille. La Commission européenne a en effet présenté ce 13 février deux actes délégués requis par la directive sur les énergies renouvelables (RED II), qui tiennent compte de la décarbonation du mix électrique français.

L’acte délégué dit "additionnalité" vise à s’assurer que la demande d'électricité nécessaire à la production d'hydrogène afin de se conformer à l’exigence de réduction des émissions de gaz à effet de serre corresponde à une production supplémentaire d'électricité d'origine renouvelable. À défaut, "il se pourrait que la demande supplémentaire d'électricité des électrolyseurs risque d'entraîner une augmentation de la production d'électricité à partir de combustibles fossiles", explique la Commission. Tout l’enjeu est donc de s’assurer que l’électricité utilisée est d’origine renouvelable.

Le mix français "le plus décarboné d’Europe"

Si l’installation de production d’hydrogène est directement raccordée à une installation utilisant des énergies renouvelables, pas de problème. Mais quid de l’électricité provenant du réseau ? Suivant le texte proposé, serait notamment considéré comme un "carburant renouvelable d’origine non biologique" l’hydrogène produit par une installation située dans un réseau électrique décarboné – c'est-à-dire où l’intensité des émissions est inférieure à 18g d’équivalent CO2 par mégajoule. Ce qui est le cas de la France, grâce au nucléaire – qui représente plus des 2/3 de la production d’électricité en France. Certes, en 2022, du fait de l’indisponibilité d’une partie du parc nucléaire français, ce taux de 18g CO2 eq/Mj a été dépassé, reconnaît le cabinet de la ministre de la Transition énergétique. Mais l’on s’empresse de souligner que "si l’on fait abstraction de cette année tout à fait particulière, le mix français est le plus décarboné d’Europe, avec peut-être celui de la Suède. En France, on a un mix électrique qui est décarboné à plus de 90%. L’industrie nucléaire, en réalité, émet moins que le photovoltaïque ou l’éolien". Le texte de la Commission précise en outre qu’une fois ce taux atteint, le critère est réputé rempli les 5 années suivantes.

Une reconnaissance des "efforts climatiques"

"Concrètement, si un industriel branche un électrolyseur sur le réseau français, il pourra d'ores et déjà, grâce à cet acte délégué, comptabiliser dans ses objectifs d’énergies renouvelables la part d’électricité renouvelable du mix français, soit à peu près 23%". Le reste de l’objectif devra être rempli "soit à travers des PPA (contrats d'énergie renouvelable de long terme, NDLR), soit en important de l’hydrogène renouvelable", précise le cabinet. La voie de l’importation étant celle privilégiée par l’Allemagne, d’où son besoin d’infrastructures de transport.

"Cette prise en compte des mix décarbonés est une grande victoire d’Agnès Pannier-Runacher", précise l’entourage de cette dernière. On corrige "une absurdité", explique-t-on au cabinet de la ministre, en permettant de prendre en compte les efforts passés d’un État membre qui est déjà quasi intégralement décarboné. "C’est une reconnaissance des efforts climatiques" conduits, veut-on croire.

Cohérence européenne

Reste que la guerre n’est pas terminée. Le cabinet se veut confiant quant à l’adoption de l’acte délégué – Parlement et Conseil ont potentiellement deux fois deux mois pour s’y opposer, sans pouvoir le modifier. "Un rejet à ce stade serait sans précédent", indique-t-on. "Mais cela ne règle pas la question de l’hydrogène renouvelable", concède également l’entourage d’Agnès Pannier-Runacher, évoquant les négociations sur la révision de la directive (RED III). Pour l’heure, le texte proposé ne prend pas en compte l’hydrogène bas carbone, produit à partir du nucléaire, dans les objectifs d’énergies renouvelables (v. notre article du 2 février). "Nous restons extrêmement préoccupés", confesse le cabinet de la ministre, qui tente néanmoins de positiver, en invoquant la nécessaire cohérence des différents textes européens. La définition retenue par la Commission dans son acte délégué, qui prend en compte la décarbonation du mix électrique, "conforte la position défendue par la ministre", souligne-t-on. Reste que cette cohérence peine à voir le jour. Le cabinet relève ainsi que dans le cadre de la Banque européenne de l’hydrogène, "il y a une proposition qui, de façon surprenante, est centrée uniquement sur l’hydrogène renouvelable, et pas sur l’hydrogène bas carbone. Nous sommes en train d’en discuter avec la Commission". Le cabinet rappelle pourtant que "l’acte délégué sur la taxonomie [la classification des activités ayant un impact favorable sur l’environnement] reconnait le fait que le nucléaire, tout autant que les énergies renouvelables, est une technologie qui contribue à la transition écologique". Un résultat déjà arraché de haute lutte par le gouvernement français, au terme d’un troc avec les Allemands, ces derniers obtenant en échange l’inclusion des activités gazières…

Cohérence germano-espagnole

La cohérence reste également à trouver semble-t-il précisément du côté de l’Allemagne et de l’Espagne, qui refusent de prendre en compte l’hydrogène bas carbone dans la directive RED III, après s’être engagées tout récemment avec la France à défendre la position inverse. "Il y a un engagement très clair, inscrit de manière non ambiguë dans les conclusions du conseil des ministres franco-allemand [v. notre article du 24 janvier] que l'Allemagne reconnaît le chemin particulier de la France dans l’atteinte de la neutralité carbone, de même que nous reconnaissons celui de l'Allemagne. Il ne serait pas entendable que l'Allemagne poursuive quelque manœuvre que ce soit qui viendrait [obstruer] le chemin de cet acte délégué ou [celui] d’une reconnaissance légitime de l'hydrogène bas carbone dans la future directive RED", s’indigne le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher. Et de souligner qu’une telle position remettrait en cause la viabilité économique des infrastructures de transport d’hydrogène prévues entre ces États membres, comme le H2Med – un projet cher aux Allemands et aux Espagnols. "S’il n’y a pas d’hydrogène à mettre dans les tuyaux, cela n’aura aucun sens de construire ces tuyaux", souligne-t-on.

Le cabinet rappelle en outre que "la France est attachée au second alinéa de l'article 194 du traité qui reconnaît aux États membres une pleine liberté d'appréciation et une autonomie dans la décision sur leur mix national". Et d’indiquer qu’elle préférerait "ne pas en venir au point où on aurait besoin d'expliquer à la Commission que sa proposition n’est pas compatible avec le traité".

Paix des braves ?

Lors d'une conférence de presse, le président de la commission Environnement (Envi) du Parlement européen, Pascal Canfin, invitait le 8 février dernier France et Allemagne à "faire la paix des braves sur l’énergie". "On passe plus de temps à négocier sur l’hydrogène qu’à définir ce qu’on fera ensemble pour demain", déplorait-il, regrettant cette guerre conduite "pour des enjeux idéologiques". "Le mur est tellement haut qu’il y a de la place pour tout le monde. Chacun son modèle. Faisons les deux !", lançait-il. 

Pour mémoire, dans le cadre du plan REPowerEU proposé pour tenir notamment compte de l’invasion russe en Ukraine, la Commission a proposé de porter la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique de l’UE à horizon 2030 non plus de 32 à 40% comme prévu dans le cadre du paquet Fit for 55, mais de 32 à 45% (v. notre article du 18 mai 2022). Et Pascal Canfin de rappeler que "la rationalité de ce passage de 40 à 45% n’est pas nucléaire, mais fossile. C’est pour remplacer du gaz russe. Il n’est donc pas aberrant que pour ce delta, l’on tienne compte de l’intensité du mix, du nucléaire". L’idée serait de revoir à la baisse l’objectif pour les États membres dont le mix énergétique est le plus décarboné, et à la hausse dans la situation inverse. Une solution qui permettrait de sortir de l’ornière, alors que le parlementaire a indiqué que "la France ira jusqu’au veto" si l’hydrogène bas carbone ne devait pas être comptabilisé.