Le duo franco-allemand relancé ?

Après quelques ratés, Paris et Berlin viennent de relancer le "moteur franco-allemand", dans une déclaration commune adoptée soixante ans après le traité de l’Élysée. Marquée par la guerre en Ukraine et la crise énergétique, et leurs conséquences, cette lettre d’intention aspire aussi, entre autres, à raffermir la coopération transfrontalière et à réformer les institutions européennes, et notamment le mode de scrutin aux élections européennes.

Soixante ans après la signature du traité de l’Élysée – au travers duquel le Général de Gaulle visait à faire "émerger une voie alternative à la construction communautaire européenne", enseigne le professeur Hartmut Marhold dans un article pro domo de la Fondation Schuman –, France et Allemagne viennent d’adopter ce qui ressemble davantage à une "lettre d’intention" qu’à un véritable contrat. Peu engageante au regard du traité d’Aix-la-Chapelle, signé il y a quatre ans (voir notre article du 24 janvier 2019) par Angela Merkel et Emmanuel Macron. Mais non négligeable compte tenu des relations plus que tendues qu’entretenaient les deux pays ces derniers mois.

Souveraineté européenne

Dans le contexte de "guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine" et de la crise énergétique, les deux États y affirment d’emblée vouloir renforcer leurs liens "dans tous les domaines qui sous-tendent une véritable souveraineté européenne". La défense y prend naturellement une place de choix. Si les signataires aspirent à "un renforcement coordonné des capacités de défense européennes" ou à "accroître la collaboration dans le domaine spatial et du cyberespace", ils n’en réaffirment pas moins leur "attachement à un partenariat transatlantique fort et équilibré ainsi qu’à l’Otan", scellant ainsi un autre échec du Général. L’économie n’est évidemment pas oubliée, à l’heure où l’Inflation Reduction Act américain est dans toutes les têtes. Si les deux pays s’engagent "à préserver des conditions de concurrence loyale sur le plan mondial" et se disent "déterminés à renforcer le système commercial multilatéral fondé sur des règles de droit dans lequel l’OMC joue un rôle central", ils entendent également "promouvoir des instruments de défense commerciale appropriés". Ils appellent de même à une mise en œuvre rapide de l’initiative des champions technologiques européens (ETCI) – chacun y investira 1 milliard d’euros – et entendent "améliorer les débouchés européens pour les scale-up [une start-up ayant réussi, en somme], en s’appuyant sur le format de collaboration conçu pour l’initiative ETCI commune". Ils œuvreront encore pour "des procédures simplifiées et allégées pour obtenir des aides d’État et des financements suffisants".

L’hydrogène, nouvelle panacée ?

L’énergie n’est pas en reste. Singulièrement l’hydrogène, auquel sont consacrés de longs développements. Alors que la Commission européenne a lancé une "alliance européenne pour l’hydrogène propre" (voir notre article du 10 juillet 2020), on se souvient que les deux États aspirent chacun de leur côté à la place de "leader mondial" en ce domaine. Après un premier plan de 100 millions d’euros en 2018 (voir notre article du 1er juin 2018), la France avait ainsi annoncé en septembre 2020 un nouveau plan de 7 milliards d’euros (voir notre article du 8 septembre 2020), en réaction au plan allemand de 9 milliards annoncé le 10 juin 2020. Cette fois, "une approche et une feuille de route stratégique communes visant à développer une production de l’hydrogène à grande échelle et à bâtir un marché européen de l’hydrogène" sera élaborée et un groupe de travail conjoint sera créé, dont les conclusions et recommandations relatives aux choix stratégiques en matière de développement de l’hydrogène sont attendues d’ici fin avril 2023. Les deux États veilleront également à ce que l’hydrogène renouvelable et bas-carbone puisse être pris en compte dans les objectifs de décarbonation fixés sur le plan européen et à ce que soit instauré un cadre européen pour le transport d’hydrogène, évoquant en particulier l’extension de l’hydrogénoduc H2Med jusqu’en Allemagne – qui vise à remplacer feu le projet de gazoduc MidCat, dont l’acte de décès a été signé le 20 octobre dernier –, à laquelle le président Macron n’est pourtant guère favorable.

Nucléaire, EnR et marché de l’électricité

Par ailleurs, les signataires prennent le soin de préciser le respect du "le principe de neutralité technologique dans le bouquet énergétique choisi sur le plan national" – un feu vert au nucléaire. Plus encore, "s’agissant du choix de développer à long terme l’énergie nucléaire de fusion en tant que nouvelle source d’énergie bas-carbone, sûre et fiable, nous maintiendrons notre soutien scientifique, technologique et industriel au projet de réacteur thermonucléaire expérimental international (Iter) et nous travaillerons ensemble pour examiner de potentielles avancées technologiques susceptibles d’accélérer la mise au point de prototypes de centrales électriques", déclarent les deux signataires. Un programme de recherche franco-allemand sur les nouvelles technologies de batterie sera également lancé, et une plate-forme de dialogue franco-allemande portant sur les infrastructures en matière de recharge des batteries et de ravitaillement en hydrogène est également souhaitée.

Pour faire bonne mesure, ils reconnaissent que "le rythme d’expansion des capacités en matière d’énergies renouvelables doit être fortement accru". L’éolien marin en mer du Nord devrait ainsi devenir "un pilier pour des prix de l’électricité compétitifs et pour la production d’hydrogène".

On relèvera encore que les signataires œuvreront "à l’amélioration du marché de l’électricité", et non à sa réforme (voir notre article du 16 janvier). Et ce, en visant le renforcement de "la flexibilité de l’offre et de la demande, le couplage sectoriel et les signaux de prix en levant les obstacles […] et en réduisant les redevances pour l’accès à l’électricité et aux réseaux afin de veiller à ce que les prix de l’électricité reflètent mieux les coûts à court terme". Dans le même temps, ils affirment être "prêts à continuer d’apporter un soutien ciblé aux ménages vulnérables, aux PME et aux industries grandes consommatrices d’énergie".

Prêts à des réformes institutionnelles de l’UE

La France et l’Allemagne s’engagent également "à coordonner et adopter leurs stratégies budgétaires pour maintenir des trajectoires crédibles et adéquates des finances publiques, garantissant la viabilité de la dette et des finances publiques saines". C’est à la fois peu – il s’agit ni plus ni moins de respecter ses engagements européens – et beaucoup, compte tenu de la situation budgétaire française. Elles entendent pour autant "trouver un accord sur le futur développement des règles budgétaires européennes", évoqué par Ursula von der Leyen dans son dernier discours de l’union, dans lequel elle appelait à la "redécouverte de l’esprit de Maastricht" (voir notre article du 14 septembre 2022).

Les deux pays se disent par ailleurs "ouverts à la révision des traités". À court terme, l’objectif est d’élargir le vote à la majorité qualifiée au Conseil "pour sortir des impasses constatées, par exemple sur certains points de la politique étrangère et de sécurité commune et de la fiscalité". À défaut de révision, ils préconisent l’utilisation des clauses passerelles – souplesse apportée par le traité de Lisbonne permettant de desserrer l’étau du vote à l’unanimité sous certaines conditions – et de "l’abstention constructive" (l’État membre accepte que la décision en question engage l’UE, mais n’est pas tenu de l’appliquer).

France et Allemagne se déclarent également "favorables à la modernisation du droit électoral européen, notamment la création d’une circonscription unique à l’échelle de l’Union, avec des listes transnationales". Ils entameront "un travail de mise à jour de la Charte des droits fondamentaux et continueront de s’engager pour que la Convention d’Istanbul sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique soit ratifiée au sein de l’UE et par l’Union européenne".

Coopération transfrontalière

Les deux États entendent encore promouvoir la coopération transfrontalière, "en s’appuyant sur la réussite que représente le Traité d’Aix-la-Chapelle en particulier dans ce domaine". Ils soutiendront "l’action de toutes les parties prenantes qui sont déterminées à rapprocher les peuples européens", notamment les collectivités locales. Si les jumelages ne sont cette fois pas évoqués dans la déclaration, l’association française du Conseil des communes et régions d’Europe (Afccre) appelle pour sa part les collectivités françaises jumelées avec une partenaire allemande à adopter une déclaration réaffirmant leur lien avec leur partenaire d’outre-Rhin.

En vue de soutenir l’activité économique transfrontalière, seront ainsi promus l’apprentissage linguistique et les échanges en matière de formation professionnelle, la simplification du déploiement de travailleurs transfrontaliers, le développement des infrastructures ou l’amélioration de la coordination de l’aménagement et de la valorisation des territoires dans les pays tiers. Sont ainsi réaffirmés le soutien au déploiement de la ligne de train à grande vitesse reliant Paris à Berlin ainsi que la liaison de train de nuit, attendues pour 2024 (toutes deux annoncées par le PDG de la SNCF le 24 mai dernier) et l’engagement de mettre en place les liaisons ferroviaires transfrontalières convenues dans le cadre du Traité d’Aix-la-Chapelle. Un premier ticket commun binational à destination des jeunes sera en outre mis en place pour l’été 2023.

Les États s’engagent enfin à "des concertations plus fréquentes, dans des formats plus restreints, avec des ordres du jour spécifiques et ciblés". Une réunion annuelle dans un format ministériel plus large est également prévue. La première devrait se tenir en Allemagne à l’automne prochain.