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Immigration : entre durcissement et intégration, le gouvernement vise le "juste équilibre"

Les mesures énoncées ce 6 novembre à l'issue du Comité interministériel sur l'immigration touchent à de nombreux pans de la politique migratoire et de l'accueil des primo-arrivants : accès aux soins (dont l'aide médicale d'Etat), visas et titres de séjour, quotas d'immigration économique, étudiants internationaux, immigration familiale, maîtrise de la langue française, accueil des usagers en préfecture, campements, hébergement, répartition et traitement de la demande d'asile, mineurs non accompagnés… Elles auront donc, à des degrés divers, des incidences sur les services publics locaux et les collectivités.

A l'issue du Comité interministériel sur l'immigration réuni ce matin à Matignon, Édouard Philippe a présenté la nouvelle politique migratoire du gouvernement. Un ensemble de mesures couvrant différents aspects de l'immigration et de l'asile et qui se situent dans le prolongement du récent débat sans vote sur l'immigration, organisé le 7 octobre à l'Assemblée nationale et le 9 octobre au Sénat. Le principe de ce débat annuel au Parlement sur la politique migratoire – et donc les mesures qui s'ensuivent – avaient été annoncés par Emmanuel Macron à la fin du mois d'avril dernier, dans le cadre de la restitution du Grand Débat national. La plupart des "20 décisions" annoncées par le Premier ministre ce mercredi étaient déjà connues depuis plusieurs jours (voir notre article ci-dessous du 31 octobre 2019), et certaines même déjà mises en œuvre. Elles entendent néanmoins former une politique d'ensemble. Comme l'a expliqué Gilles Le Gendre, le président du groupe LREM à l'Assemblée, "aucune mesure n'a vocation à être spectaculaire, mais la somme change assez spectaculairement l'approche de la politique migratoire". Pour sa part, Édouard Philippe estime avoir "trouvé le juste équilibre entre les droits et les devoirs, entre la volonté de rassurer nos concitoyens et le courage de ne rien céder au populisme, entre la fidélité à nos valeurs et le réalisme face aux changements du monde".

Entente préalable et contrôles renforcés pour l'AME

Les mesures les plus attendues – et déjà les plus contestées, y compris au sein même de la majorité parlementaire – concernent le volet sanitaire et social et s'appuient pour partie sur le rapport, plutôt sévère, rendu hier par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale des finances sur l'aide médicale d'État (AME). Comme attendu, il est donc prévu de soumettre à entente préalable des caisses de sécurité sociale un certain nombre de soins considérés comme non urgents (opération de la cataracte, pose de prothèses de hanche ou de genou...).

Le gouvernement prévoit aussi de renforcer les contrôles pour faire face à certains abus manifestes mis en évidence par le rapport de l'Igas et de l'IGF. L'AME n'est en effet accessible qu'après trois mois de présence sur le territoire. Pour éviter que des personnes entrées avec un visa de tourisme demandent l'AME à l'expiration de ce dernier – ce qui peut être considéré comme un détournement de procédure –, un croisement sera effectué entre le fichier de l'AME et celui des demandes de visas (Visabio) afin de détecter ces situations. Les CPAM devraient ainsi avoir accès à la base Visabio dès 2020. Dans le même souci de renforcement de l'efficacité des contrôles, l'instruction des demandes d'AME sera regroupée dans trois CPAM seulement. Enfin, à partir de 2020, la demande d'AME devra se faire en présentiel, soit dans une CPAM, soit – en cas d'empêchement – dans un hôpital ou une permanence d'accès aux soins (Pass).

Délai de carence pour les demandeurs d'asile

Les demandeurs d'asile qui, étant en situation régulière, ont aujourd'hui directement accès à la protection universelle maladie (PUMa) et à la couverture santé solidaire (CSS, qui remplace la CMU-C et l'ACS), font également l'objet de mesures. Ils devront en effet attendre trois mois pour bénéficier de ces prestations, sauf en cas de soins urgents. Ce délai de carence les aligne sur la situation des Français sans emploi qui reviennent de l'étranger (mais aussi sur celle des bénéficiaires de l'AME). Une autre mesure est prévue pour éviter que d'anciens bénéficiaires de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA) bénéficient du RSA de façon rétroactive (à compter de la date de leur demande) à l'expiration de leurs droits à l'ADA. Enfin, la durée de maintien de la PUMa après l'expiration d'un titre de séjour ou la notification d'un refus de droit d'asile devrait être ramenée d'un an à six mois.

Hors accès aux soins, une autre mesure concerne l'ADA. Elle consistera à remplacer la carte de retrait actuelle (qui permet au bénéficiaire de l'allocation mensuelle de retirer de l'argent liquide) par une carte de paiement.

Côté plus positif, une mesure prévoit de mettre en place, dans chaque région, un "parcours de santé" pour les primo-arrivants, avec un "rendez-vous santé" dans les quatre mois suivant l'entrée sur le territoire. L'objectif est "d'adapter les soins délivrés aux vulnérabilités liées au parcours de migration (psycho-trauma, maladies infectieuses)". Une expérimentation de ce dispositif doit être prochainement engagée à Rennes.

Les évolutions de fond en matière d'asile se conçoivent toutefois difficilement hors cadre européen, malgré les faiblesses et les carences de ce dernier (voir notre article ci-dessous du 31 octobre 2019). La France prévoit donc de "proposer une refondation de Schengen et du régime d'asile européen" à ses partenaires de l'UE.

Immigration économique : les quotas arrivent

D'autres mesures annoncées concernent davantage la dimension régalienne de l'État. C'est le cas, par exemple, du renforcement de l'aide publique au développement (APD), qui devrait passer de 0,37% du PIB en 2016 à 0,55% en 2022. C'est aussi le cas de l'amélioration du pilotage stratégique de la politique des visas, avec en particulier l'installation d'une commission stratégique des visas dès le 14 novembre. Le législateur sera associé à cette dimension régalienne, avec la confirmation de l'organisation d'un débat annuel au Parlement sur les objectifs (ou quotas non limitatifs) d'immigration professionnelle, par secteur d'activité. L'instauration de ces quotas d'immigration économique (environ 13% de l'immigration totale), après des années de débats et controverses sur la question, est en effet l'une des grandes novations dans les annonces du Premier ministre. A travers ces quotas - "qui ne seront pas limitatifs" -, il s'agit d'"identifier et satisfaire les besoins de long terme de l'économie française, notamment pour les compétences rares", à partir d'une liste de métiers en tension qui sera rediscutée chaque année.

Dans le même esprit, Édouard Philippe confirme le déploiement de la stratégie "Bienvenue en France", avec pour objectif un doublement du nombre d'étudiants internationaux d'ici à 2027, pour atteindre les 500.000 étudiants.

Les règles risquent en revanche de se faire plus sévères pour les regroupements. Il est en effet prévu de "renforcer la lutte contre la fraude en matière d'immigration familiale", mais a priori sans toucher à la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie (loi Collomb). De même, il est prévu de relever l'exigence sur le niveau de langue française des candidats à la naturalisation, afin de "rétablir une cohérence dans la continuité du parcours d'intégration, puis d'accès à la nationalité française".

Un petit pas pour l'intégration

Côté intégration, les mesures entendent notamment "améliorer l'accueil des usagers en préfecture, en réduisant le nombre de passages dans les services grâce à la dématérialisation". En particulier, le recours au récépissé ne sera plus nécessaire dans la quasi-totalité des situations, tandis que les convocations en préfecture se feront moins nombreuses et que les délais de traitement seront réduits.

Autre mesure annoncée : la réduction du montant des taxes sur les titres de séjour. Un amendement en ce sens a déjà été adopté en première lecture à l'Assemblée nationale dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2020. Le gouvernement se dit également prêt à envisager une réduction du droit de visa de régularisation.

Sur l'intégration par le travail, le gouvernement rappelle les mesures prises dans le prolongement du rapport du député Aurélien Taché (voir notre article ci-dessous du 20 février 2018). Mais il entend aller plus loin en assurant un meilleur accès à la reconnaissance des diplômes, qualifications et expériences professionnelles des primo-arrivants et en veillant à la promotion de l'activité des femmes migrantes.

Campements insalubres et capacités d'hébergement

Ce volet d'intégration comprend également la poursuite de l'évacuation des campements insalubres, en liaison avec les maires de grandes villes qui ont récemment sollicité un travail avec l'État sur la question (voir notre article ci-dessous du 24 octobre 2019).

Au-delà de cet aspect, le gouvernement veut surtout "consolider les capacités d'hébergement des demandeurs d'asile et en optimiser l'emploi". Celles-ci se sont déjà fortement accrues depuis la crise de 2015 et atteindront 117.000 places à la fin de cette année. L'objectif est aujourd'hui de parvenir à une répartition plus équilibrée et homogène de la demande d'asile sur l'ensemble du territoire national, "en luttant contre les logiques de filières qui contribuent parfois à cette concentration". Une "orientation directive" sera ainsi mise en œuvre dans trois agglomérations en 2020, en fonction des capacités d'hébergement disponibles.

Siao-Ofii, MNA : des mesures déjà mises en œuvre

Certaines mesures présentées parmi les "vingt décisions" sont, en réalité, déjà mises en œuvre ou bien engagées. C'est le cas des échanges d'informations entre les Siao (services intégrés de l'accueil et de l'orientation) et l'Ofii (Office français de l'immigration et de l'intégration), issus de la circulaire Collomb de 2017 et vivement contestés par les associations (voir notre article ci-dessous du 21 décembre 2017).

C'est le cas aussi le cas des mesures concernant la prise en charge et l'orientation des MNA (mineurs non accompagnés). Sont toutefois prévues, dès janvier 2020, la mise en place d'un mécanisme incitant financièrement les conseils départementaux à utiliser le fichier AEM (aide à l'évaluation de minorité) et la diffusion d'une circulaire pour faciliter la délivrance d'un titre de séjour aux MNA devenus adultes, engagés dans un parcours professionnalisant.

Renforcements pour l'Ofpra et la lutte contre l'immigration clandestine

Enfin, le plan constate que la loi Collomb – et les moyens alloués à l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) – n'ont pas suffi à ramener à six mois le délai de traitement des demandes d'asile. Celui-ci tourne aujourd'hui autour d'un an. Le PLF 2020 prévoit donc la création de 200 postes supplémentaires à l'Ofpra, dont 150 officiers de protection, ainsi que la création d'une nouvelle chambre à la CNDA (Cour nationale du droit d'asile). Est également prévue la mise en place d'une procédure spécifique en Guyane, Martinique et Guadeloupe, confrontées à une forte pression migratoire, ainsi que l'organisation de missions foraines à Mayotte.

En matière de lutte contre l'immigration clandestine, Édouard Philippe annonce la création de trois nouveaux centres de rétention administrative (CRA) à Lyon, Bordeaux et Olivet (près d'Orléans). Ils s'ajouteront aux 389 places ouvertes en 2019. Le gouvernement entend également renforcer la lutte contre l'"overstaying", autrement dit le maintien illégal sur le territoire ou le refus d'exécuter une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Un nouveau système dit d'entrée/sortie, dont la mise en œuvre est prévue pour février 2022, devrait permettre de "détecter en temps réel les personnes ayant dépassé le temps de séjour autorisé". Dans le même esprit, mais sans fixer d'objectifs quantitatifs, le gouvernement s'engage à "procéder à l'éloignement des déboutés de l'asile", notamment ceux provenant de pays d'origine sûrs, et à réaliser les transferts Dublin.