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Impact des "gilets jaunes" : un rapport demande de déroger aux contraintes budgétaires des collectivités

L'impact du mouvement des gilets jaune sur l'économie représenterait 0,1 point de PIB au dernier trimestre 2018, mais il ne s'agit que de la "partie émergée de l'iceberg", selon un rapport parlementaire publié le 17 juillet. Selon les députés de cette mission d'information - qui se sont intéressés notamment aux cas de Rouen, Bordeaux et Toulouse -, il convient de desserrer les contraintes budgétaires pesant sur les collectivités en excluant du calcul de leurs dépenses celles découlant de la crise.

"Il ne s’agit en aucun cas de faire du ‘gilets jaunes bashing’." Roland Lescure président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale l’a assuré, mercredi 17 juillet, lors de la présentation du rapport de la mission d’information "Impact gilets jaunes", rappelant que les dégradation commises en marge du mouvement depuis le mois de novembre ont été "l’œuvre d’une minorité". C’est lui qui avait eu l’idée de cette mission "transpartisane" au printemps et s’en était confié alors au président de l’Assemblée, Richard Ferrand. L’objectif : recenser et évaluer les coûts entraînés par la crise au détriment des artisans et commerçants, des banques et assurances, de l’attractivité de la France et des collectivités territoriales "qui doivent faire face au climat parfois insurrectionnel dans certains centres-villes malgré leurs budgets contraints", comme le rappelle le rapport. Difficile cependant de ne pas y voir des arrière-pensées politiques avec la volonté de discréditer ce mouvement qui n’est pas achevé. Le rapporteur Jean-René Cazeneuve (LREM, Gers) est allé droit au but en soulignant deux paradoxes : "les heurts ont eu des conséquences inverses aux revendications des gilets jaunes, certains centres-villes (…) ressortent profondément fragilisés par les violences", alors que "le mouvement mettait en avant la fracture territoriale et les territoires oubliés", a-t-il tancé. Les violences ont également "nui à l’emploi et au pouvoir d’achat de ceux qui ont été affectés alors même qu’il s’agissait d’une revendication phare des gilets jaunes". La mission ne s’est pas cantonnée à Paris et s’est rendue dans trois villes : Rouen, Toulouse et Bordeaux où les dégradations ont été nombreuses.

Un coût de 30 millions d'euros pour les grandes villes

Au total, le rapport évalue à 0,1 point de PIB le coût de la crise au dernier trimestre 2018. Les assureurs ont ainsi indemnisé pour 217 millions d’euros de préjudices (vols, incendies, dégradations, pillages…). Mais il ne s’agit là que "la partie émergée de l’iceberg", a précisé Roland Lescure. La baisse de fréquentation des centres-villes le samedi a causé des pertes de chiffre d’affaires comprises entre 20 et 30% pour les commerçants. De leur côté, les centres commerciaux ont fait état d’une perte de 2 milliards d’euros suite au blocage de nombreux axes routiers. La fréquentation hôtelière a accusé un repli de 2,5% au premier trimestre 2019, "une première depuis deux ans", a appuyé Roland Lescure. Les pertes s'élèveraient à 850 millions d’euros pour les hôtels et restaurants cafés, selon l’Union des entreprises de proximité (U2P).

"La facture pour le contribuable est conséquente", souligne par ailleurs le rapport : la hausse de l’activité des forces de l’ordre se chiffre à 46 millions d’euros, la remise en état des 2.410 radars détruits et des 577 endommagés pourrait s’élever à 71 millions d’euros (sans compter le manque à gagner sur le produit des amendes). France urbaine a pour sa part évalué les coûts pour les grandes villes (dégradations, dépenses exceptionnelles) à 30 millions d’euros à la mi-mars. Pour Toulouse, la facture s’élevait à 7,5 millions d’euros au moins début mai.

Le rapport se félicite en revanche de la bonne coordination des pouvoirs publics (État et collectivités), pour répondre à l’urgence. "On a noté une vraie solidarité de tous les acteurs. Il n’y a pas eu de chicane sur le terrain : le préfet, les collectivités locales, les chambres consulaires, les associations de commerçants… Ils se sont serré les coudes…", a souligné Roland Lescure.

Un statut dérogatoire aux dépenses engendrées par la crise

Au plan national, des aides ont été mises en place "rapidement et efficacement" pour les entreprises : reports d’échéances fiscales et sociales, prêts garantis… Au 31 mai 2019, les Urssaf avaient ainsi accordé 31.639 reports pour un total de 200 millions d’euros.

Les collectivités ont apporté des aides complémentaires : subventions, avances remboursables, exonérations de taxes municipales (droits d’occupation du domaine public). La région Paca a mis en place un fonds de solidarité d’un montant de deux millions d’euros pour les commerçants et artisans des centres-villes ayant enregistré une baisse de 30% de leur chiffre d’affaires. La ville de Toulouse a de son côté créé une aide d’un million d’euros pour financer des exonérations temporaires de droits de terrasse et de place pour les marchés.

Par la suite, le gouvernement a lancé une "opération nationale de revitalisation et d’animation des commerces" pour 34 villes, avec une enveloppe portée de 3 à 5,5 millions d’euros.

Mais pour les députés, il ne faut pas en rester là d’autant que des "effets répliques" sur le tissu économique des villes sont à craindre, avec des défaillances d’entreprises difficiles à anticiper. Ils demandent ainsi de prolonger ces mesures exceptionnelles et d’en "simplifier l’accès".

Mais surtout, la mission demande de soulager la situation financière des collectivités. Ils demandent de pouvoir déroger aux règles d’orthodoxie budgétaire contenues dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour 2018-2022 et reprises dans les fameux "contrats de Cahors" qui limitent à 1,2% la hausse des dépenses de fonctionnement des collectivités chaque année. En clair, ils proposent "d’attribuer un statut dérogatoire aux dépenses rendues directement nécessaires par les manifestations des gilets jaunes" pour les communes les plus touchées.

La mission insiste aussi pour que "l’impact financier soit réparti de la manière la plus juste possible entre les communes" dans le prochain projet de loi de finances pour 2020.

"Pas sûr que l’expression 'gilets jaunes' soit bien employée"

Alors que commerçants et artisans s’inquiètent des répercussions sur leurs primes d’assurance (certains ont même préféré renoncer à faire marcher leur assurance), les députés demandent de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’augmentation. Mais la présentation de ce bilan, qui reste un "point d’étape", a suscité plusieurs critiques au sein de la commission. Le député de la France insoumise François Ruffin ayant décidé de boycotter la séance, c’est sa collègue Sabine Rubin (Seine-Saint-Denis) qui s’est exprimée au nom du groupe, dénonçant un bilan "étriqué". "Que dire des méthodes de maintien de l’ordre de Monsieur Castaner qui a causé non seulement des dégâts matériels mais humains dont le coût n’est pas mentionné ici", a-t-elle dit. Autre remarque : "Si les centres commerciaux disent avoir perdu 2 milliards d’euros, combien ont-ils gagné grâce aux 17 milliards qui ont été octroyé par les mesures mises en oeuvre ?"

"Je ne suis pas bien sûr que l’expression 'gilets jaunes' soit bien employée dans le titre, a fait observer le député des Côtes-d’Armor Marc Le Fur (LR). Il ne s’agissait pas du tout des gilets jaunes du départ (…) Il s’agissait de gens au comportement inadmissible. En particulier des blackblocs."