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Incendies de forêt : face à la menace croissante, des députés veulent renforcer la prévention

Sous l'effet du dérèglement climatique, les feux de forêt et de végétation deviennent un risque majeur sur tout le territoire, estime la mission flash de l'Assemblée nationale sur ce sujet, qui a présenté ses conclusions ce 5 janvier. Alors que près de 500.000 habitations sont situées dans des zones à risques, où vivent entre 1,5 et 2 millions de personnes, la mission souligne la nécessité d'une amélioration de la coordination des acteurs de la prévention aux niveaux national et local. Elle appelle aussi à revoir les règles d'urbanisme pour maîtriser l'habitat diffus, à mieux faire appliquer et simplifier les obligations légales de débroussaillement et à préserver les capacités humaines et matérielles de lutte contre les incendies.

Les "mégafeux" qui ont jusqu'à présent touché l'Amérique du Nord mais aussi, plus près de nous, des pays du sud de l'Europe (Portugal, Espagne, Grèce) ainsi que la Suède pourraient constituer à l'avenir un risque de plus en plus crédible en France sous l'effet du réchauffement climatique, prévient la mission flash de l'Assemblée nationale sur la prévention des incendies de forêt et de végétation, qui a présenté ses conclusions ce 5 janvier. L'incendie de Gonfaron, dans le Var, qui a affecté les deux tiers de la réserve naturelle de la plaine des Maures en août 2011 et aurait pu devenir incontrôlable sans la mobilisation des équipes de secours illustre la réalité de la menace, soulignent les deux rapporteurs de la mission Alain Perea (LREM, Aude) et François-Michel Lambert (Libertés et territoires, Bouches-du-Rhône).
"Au-delà de l'émotion relayée chaque été dans les médias lorsque surviennent des feux, émotion qui retombe à l'automne, une prise de conscience nationale sur l'ampleur de ce risque est indispensable", insistent les députés. Au cours d'une dizaine d'auditions et tables rondes, ils ont notamment entendu les services de l'État, l'Office national des forêts, Météo France, des représentants de collectivités territoriales, des associations environnementales et d'autres acteurs concernés par les incendies de forêt et de végétation (chambres d'agriculture, sociétés d'autoroutes…).

Risque d'allongement de la saison des feux et d'extension sur le territoire

À l'issue de ces travaux, la mission estime que les incendies de forêt et de végétation constituent aujourd'hui un risque majeur sur tout le territoire. Il pourrait non seulement y avoir une plus grande sévérité des épisodes de feux – 2003, année record pour l'indice météo de sensibilité au feu est appelée à devenir la norme au milieu du siècle – et un allongement de la saison des feux, qui irait du printemps à l'automne, mais aussi une extension du risque. Jusqu'alors limité à l'arc méditerranéen, il pourrait concerner l'ensemble du territoire national.
Alors que 90% des incendies sont d'origine humaine – il s'agit principalement de causes accidentelles et d'imprudences, en particulier dans les lieux d'interface avec la nature (abords d'autoroutes, par exemple), leurs conséquences sont majeures. Celles-ci sont aussi bien environnementales (atteinte à la biodiversité lorsque les incendies touchent des espèces protégées ou des sites Natura 2000, émission de gaz à effet de serre dans de très fortes proportions), économiques et financières (perte de valeur et de production de bois, impact sur le tourisme, coûts associés à la mobilisation de moyens de lutte terrestre et aériens) que sanitaires (les fumées et les cendres dégagées dégradent fortement la qualité de l'air et de l'eau) et humaines (risque de décès de riverains, touristes ou pompiers). Or, pointe la mission, "si ces conséquences sont connues théoriquement, l'absence de tentative officielle de chiffrage complet du coût des incendies est regrettable."

Les points faibles de la prévention aujourd'hui

Tout en soulignant que la doctrine française en matière de prévention est "globalement efficace" grâce à la "puissance de l'action" - 95% des incendies sont ainsi éteints avant d'atteindre la superficie de 5 hectares -, les députés notent aussi "de nombreuses fragilités qui pourraient s'avérer fatales compte tenu des effets du changement climatique". "Avec notre système de sécurité civile, on a le bouclier considéré comme le meilleur au monde mais le paradoxe est que le glaive qui tape dessus est de plus en plus fort", relève François-Michel Lambert. Parmi les points faibles, les députés regrettent l'absence de coordination des messages de prévention pour le grand public et la trop faible mise en œuvre de l'obligation de débroussaillement dont le taux d'application ne dépasse guère 30%, voire 50% dans le meilleur des cas. Les très fortes hétérogénéités en matière d'entretien et d'aménagement des forêts, le phénomène d'exode rural qui entraîne l'apparition de friches ou, dans certaines régions, la survenue plus fréquente de feux de cultures, de chaumes et de zones pastorales sont autant de nouveaux défis à affronter en matière de prévention.

Intérêts contradictoires

Surtout, les rapporteurs montrent la très grande difficulté à concilier des intérêts parfois contradictoires, qu'il s'agisse des enjeux propres à  la forêt (écologiques, économiques, touristiques et de loisirs…) et des décisions en matière d'urbanisme. Les députés pointent en particulier l'habitat diffus (le "mitage") qui contrevient selon eux fortement à une prévention efficace des incendies de forêt. D'après une étude de l'ONF parue en 2008, près de 500.000 habitations seraient ainsi situées en zone d'aléa fort et entre 1,5 et 2 millions de personnes seraient ainsi exposées à ce risque. En outre, constate la mission, "le non-respect des permis de construire, voire l'absence d'autorisation semblent être assez récurrents dans la région méditerranéenne". "Ainsi, la moitié des 650 bâtiments touchés par l'incendie de Gonfaron ne seraient pas totalement en conformité avec les règles d'urbanisme", estiment-ils.

Réformer les règles d'urbanisme

Une des principales propositions des auteurs, qui soulignent notamment les fortes pressions liées aux enjeux économiques pouvant peser sur les élus locaux, est donc que la prochaine législature lance une mission approfondie sur ces questions pour proposer notamment des pistes de réforme des règles d'urbanisme. "Il y a un vrai souci avec les documents d'urbanisme tels que les Scot [schémas de cohérence territoriale] et les PLU [plans locaux d'urbanisme] car ils s'intéressent en priorité à la forme urbaine mais pas à la manière d'aménager les espaces agricoles et naturels", regrette Alain Perea. Les députés souhaitent que les règles édictées dans les plans de prévention du risque incendie de forêt (PPRIF) annexés aux PLU soient appliquées "fermement" et que le PPRIF devienne un document "en dynamique à la responsabilité partagée avec les élus locaux et les services de l'État". Ils appellent aussi à mener une réflexion sur la manière de réglementer les nouvelles formes d'habitat (habitat mobile, dans les arbres, tiny houses…) qui profitent aujourd'hui de "zones grises" de la législation et estiment également envisageable de détruire certaines habitations construites dans des zones à risques, comme cela peut se faire dans les zones inondables.

Faire appliquer les obligations légales de débroussaillement

Les deux députés suggèrent également une réflexion sur les obligations légales de débroussaillage (OLD) et leur financement, qui peuvent s'avérer lourdes pour les collectivités et aussi les particuliers, les incitant à préférer payer d'éventuelles amendes. Parmi les pistes évoquées : la simplification des OLD afin de régler les difficultés liées à la superposition d'obligations, une meilleure information et sensibilisation des propriétaires de la part des communes, un appui méthodologique aux maires pour établir les plans de débroussaillement et le renforcement du volet répressif en augmentant le montant de la sanction.
Ils souhaitent également "a minima" un maintien des moyens alloués au système de sécurité civile contre les feux de forêt et de végétation, menacé de coûts supplémentaires "faramineux" avec l'extension géographique des risques. Les parlementaires proposent notamment d'étudier la possibilité d'un financement prenant en compte le "coût du sauvé", c'est à dire les dommages évités, matériels mais aussi les conséquences économiques ou environnementales comme l'a modélisé le service départemental d'incendie et de secours (Sdis) des Bouches-du-Rhône en mars 2021. Les auteurs avaient alors évalué à 7,3 millions d'euros la valeur moyenne sauvée par incendie de forêt du fait de l'intervention des pompiers dans ce département.