Commande publique - Invoquer un nouveau motif de rejet de la candidature est désormais possible devant le juge du référé précontractuel !
Dans un arrêt du 17 juin, le Conseil d'Etat a élargi les contours du contentieux précontractuel en admettant qu'un nouveau motif puisse être invoqué pour la première fois devant le juge du référé.
En l'espèce, la commune de Montpellier avait lancé une procédure de passation d'un marché public à bons de commandes pour l'entretien des fontaines de la ville. La société Philip Frères avait déposé sa candidature mais cette dernière avait été rejetée par la collectivité. S'estimant lésée par cette décision, l'entreprise a saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Montpellier. Ce dernier a fait droit à sa demande et a annulé la procédure de passation du marché en cause. Suite à cette décision, la commune a saisi le Conseil d'Etat d'un pourvoi en cassation.
La candidature de la société avait été rejetée par la collectivité au motif qu'elle était irrégulière. Ce rejet était fondé sur deux motifs : d'une part l'absence d'un document et d'autre part, l'absence de références à des marchés similaires. Le débat ne portait pas tant sur le premier point : le règlement de la consultation n'exigeant pas la production dudit document, ce motif ne pouvait être utilement retenu.
L'absence de référence ne peut justifier le rejet d'une candidature
Concernant le second motif de rejet opposé à la société par la commune, le Conseil d'Etat a rappelé les termes de l'article 52 du Code des marchés publics (CMP) selon lesquels "L'absence de références relatives à l'exécution de marchés de même nature ne peut justifier l'élimination d'un candidat et ne dispense pas le pouvoir adjudicateur d'examiner les capacités professionnelles, techniques et financières des candidats". Le courrier adressé à la société évincée faisait uniquement mention de l'absence de références et ne pouvait donc pas fonder le rejet de sa candidature. Le juge du référé précontractuel avait donc annulé la procédure, l'irrégularité de la candidature n'étant pas plus démontrée par ce second motif.
Toutefois, les Sages du Palais-Royal ont estimé que le juge de l'urgence avait commis une erreur de droit. En effet, la ville de Montpellier avait développé devant lui un nouveau motif de rejet de la candidature litigieuse mais ce dernier l'avait écarté, le considérant comme inopérant.
Dans ses conclusions, que les juges de cassation ont d'ailleurs suivies, le rapporteur public Gilles Pellissier explique pourquoi l'ordonnance devait être annulée. Il commence tout d'abord par rappeler des solutions récentes du Conseil d'Etat desquelles il ressort qu'un motif de rejet peut être invoqué pour la première fois devant le juge si les irrecevabilités ou irrégularités soulevées sont objectives et non régularisables. Une telle irrégularité se manifeste par exemple quand un candidat est dans un cas légal d'interdiction de soumissionner. En revanche, l'inaptitude de l'entreprise au regard de ses capacités professionnelles, techniques et financières pour exécuter le marché, ici invoquée par la collectivité, induit une appréciation subjective de la candidature. Le juge du référé n'aurait donc pas pu admettre ce nouveau motif à ce titre.
La reconnaissance de la substitution de motifs devant le juge du référé précontractuel
Le rapporteur public va alors proposer que soit reconnu au juge du référé la possibilité de procéder à une substitution de motifs. Pour rappel, ce mécanisme permet à la personne publique qui aurait fondé sa décision sur un motif illégal de demander au juge de le remplacer par un motif susceptible de justifier la décision litigieuse (CE, 6 février 2004, n°240560). Des jurisprudences récentes traduisent l'engagement graduel du Conseil d'Etat dans cette voie. C'est notamment le cas au stade de l'information du rejet de la candidature, dans le cadre des articles 80 et 83 du CMP, où il a été admis que le pouvoir adjudicateur puisse procéder à une substitution de motif (CE, 24 juin 2011, n°347840). Il est toutefois fait état d'une limite : la substitution de motif ne doit pas être liée à une nouvelle évaluation de la candidature ou de l'offre. En l'espèce, la commission d'appel d'offres avait bien procédé à l'examen des capacités de la société requérante et les avaient estimées insuffisantes. Le Conseil d'Etat a donc annulé l'ordonnance litigieuse, considérant que, quand bien même cet argument n'avait pas été porté à la connaissance de la société au moment du rejet de sa candidature, il pouvait être invoqué pour la première fois devant le juge. Cet arrêt marque une évolution des prérogatives de l'administration devant le juge du référé précontractuel qui a désormais la possibilité d'examiner un nouveau motif de rejet de candidature dévoilé pour la première fois devant lui, à condition qu'il ne prive pas le requérant d'une garantie de procédure.
Référence : CE, 17 juin 2015, n°388596