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La commission d'enquête de l'Assemblée tire un bilan mitigé des effets de la crise sanitaire sur l'enfance et la jeunesse

Les 350 pages du rapport de cette commission d'enquête montrent que les institutions et les dispositifs dédiés à l'enfance et à la jeunesse ont globalement fait face aux effets de la crise sanitaire et des confinements, mais en révélant aussi plusieurs points faibles et angles morts. De nombreuses dimensions sont passées en revue : effets sur la protection de l'enfance (y compris MNA), conséquences psychologiques, inégalités, accès à l'éducation, étudiants... Pour les députés, il faudra "remettre des moyens à tous les niveaux" chez les acteurs accompagnant l'enfance et la jeunesse.

La commission d'enquête de l'Assemblée nationale "pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse" publie son rapport final, adopté à l'unanimité le 16 décembre. La commission a été installée le 8 septembre dernier et a donc mené ses travaux tambour battant, avec pas moins de 48 réunions ou tables rondes entre sa mise en place et le 16 décembre. La commission était présidée par Sandrine Mörch, députée (LREM) de Haute-Garonne, et la rapporteure était Marie-George Buffet, députée (PC) de Seine-Saint-Denis. Les 350 pages du rapport dressent un tableau nuancé des effets de la crise sanitaire. Il en ressort que les institutions et les dispositifs dédiés à l'enfance et à la jeunesse ont globalement fait face aux effets de la crise sanitaire et des confinements, mais en révélant aussi plusieurs points faibles et angles morts. 

Satisfecit global sur l'ASE, sauf sur les MNA

Les départements ne manqueront pas de s'intéresser en premier lieu aux observations sur l'aide sociale à l'enfance (ASE). Celles-ci recoupent assez largement celles, positives, de l'Odas dans son enquête intitulée "Protection de l'enfance : quand le confinement révèle des pistes d'amélioration" (voir notre article du 3 décembre 2020). Tout en rappelant que, malgré un environnement familial et social déstabilisé par le confinement, la hausse des violences envers les enfants semble avoir été relativement contenue, le rapport plaide pour un renforcement des moyens pour libérer la parole et améliorer le signalement des violences. Le partenariat avec les associations spécialisées pour renforcer le 119 s'est en effet révélé très positif.
Comme l'Odas, la commission d'enquête constate que la crise sanitaire a donné l'"occasion de redessiner les missions, le rôle et les liens de coopération de l'ASE". De même, le rapport estime que "le premier confinement s'est déroulé de façon relativement paisible dans les établissements de l'ASE". En outre, les travailleurs sociaux, déchargés de nombreuses tâches administratives (rédaction de rapports, conduite des enfants chez le juge, à l'école, aux soins...), ont pu se recentrer sur les enfants. En revanche, "le prolongement du confinement, puis sa levée, ont pu peser sur le comportement de certains enfants et adolescents. À cet égard, paradoxalement, c'est le déconfinement qui s'est avéré plus complexe".
En matière de protection de l'enfance, l'inquiétude concerne surtout les MNA (mineurs non accompagnés), qui appellent "une attention particulière". Certes, le nombre de mineurs isolés arrivés sur le territoire français semble avoir diminué au cours de l'année 2020, dans le contexte de la crise sanitaire (environ 7.000 arrivées entre le 1er janvier et le 2 octobre, selon les chiffres du ministère de la Justice). Mais la commission d'enquête pointe "de réelles défaillances" dans la mise en œuvre du principe de l'accueil inconditionnel, pourtant rappelé dans une lettre adressée, dès le 21 mars, aux présidents de conseils départementaux par Adrien Taquet, le secrétaire d'État en charge de l'Enfance et des Familles. De même, la procédure de reconnaissance de minorité a pu aussi pâtir des perturbations dans l'activité des tribunaux judiciaires. Le rapport en appelle donc à la nécessité d'améliorer la prise en charge des MNA, "avec une réaffirmation du rôle de l'État". 

Un état sanitaire préservé "pour l'essentiel"

L'impact de la crise sanitaire sur l'enfance et la jeunesse ne se limite évidemment pas au cas de l'ASE. Le rapport de la commission d'enquête passe ainsi en revue de nombreux aspects de la question. De façon globale, il estime que l'état sanitaire de cette tranche d'âge a été préservé "pour l'essentiel", mais recouvre néanmoins des disparités importantes. Les conséquences sont à chercher moins du côté sanitaire – les enfants et les jeunes ayant été peu exposés au risque épidémique et finalement peu transmetteurs – que du côté de l'équilibre psychique et moral, qui est "à reconstruire". La crise s'est en effet révélée porteuse d'insécurité et a pu favoriser l'apparition ou l'aggravation de troubles. La commission d'enquête s'interroge aussi sur de possibles atteintes aux capacités de socialisation, du fait de l'isolement et de la place croissante accordée aux écrans. Elle relève aussi l'impact d'un discours culpabilisant (sur le possible rôle des enfants comme contaminateurs) et la difficulté à recueillir et à prendre en compte la parole des enfants et des jeunes. Pour la commission, la crise sanitaire et ses suites doivent être l'occasion de "revisiter de fond en comble la place des jeunes au sein des politiques publiques".

Les difficultés de l'accès à l'éducation

Le rapport estime aussi que la crise sanitaire a remis en cause le respect des droits fondamentaux des enfants et des jeunes, en creusant les inégalités. Si la prise en charge médicale des enfants a été globalement maintenue, la commission en appelle néanmoins à un renforcement de la PMI, qui connaît de fortes inégalités territoriales, de la santé scolaire, "en très grande difficulté", et de la santé universitaire, notamment sur la santé mentale. 
Le rapport se montre surtout critique sur l'éducation, puisqu'il estime que la mise en œuvre de l'accès à l'éducation a certes été réaffirmée, mais que sa mise en œuvre se révèle "problématique". Le rapport rappelle notamment l'année scolaire 2019-2020 "partiellement escamotée", les difficultés à assurer la continuité pédagogique durant le confinement et les débuts du déconfinement, les familles déboussolées par la "classe à la maison" ou encore les modalités d'examen perturbées. Malgré le premier déconfinement, la rentrée scolaire 2020-2021 s'est trouvée placée sous le signe de l'incertitude, même si le calendrier prévu a été respecté. Les perturbations dans les activités et la pratique sportive n'ont pas non plus arrangé les choses. 
Enfin, l'année universitaire a été fortement perturbée : aux calendriers "chahutés" et aux modalités d'enseignement et de délivrance des diplômes bousculées se sont en effet ajoutés la mise entre parenthèses de la vie étudiante et le risque d'un creusement des inégalités entre étudiants. 

La jeunesse "en première ligne d'une situation économique et sociale dégradée"

La dernière partie du rapport est plus prospective et enjambe à la fois la crise sanitaire et la crise économique. Elle estime en effet que "la jeunesse est en première ligne d'une situation économique et sociale dégradée". La crise sanitaire a en effet accentué les inégalités et les vulnérabilités préexistantes et fait basculer certains foyers dans la pauvreté, notamment au sein de nouvelles catégories socioprofessionnelles (commerçants, travailleurs indépendants...). La commission estime que "les enfants et les jeunes [sont] particulièrement touchés, alors que le nombre d'enfants en situation de pauvreté était déjà de trois millions en 2018". Il apparaît donc indispensable d'amplifier les politiques publiques en faveur des enfants et de leurs familles, mais aussi de consolider le rôle des associations caritatives.
Vis-à-vis des étudiants, il importe de déployer des mesures pérennes, à partir de celles déployées durant la crise. Sur ce point, le rapport se félicite des mesures en faveur de l'insertion professionnelle des jeunes, comme le soutien à l'apprentissage ou le plan "Un jeune, une solution". Il se prononce également en faveur de l'élargissement du RSA aux moins de 25 ans, mais c'était avant l'annonce de la garantie jeunes universelle par le gouvernement.

Ouvrir la gouvernance

Enfin, la commission d'enquête s'est penchée aussi sur la gouvernance, en proposant de "replacer les enfants et les jeunes au cœur des politiques publiques, privilégier une méthode horizontale s'appuyant sur les acteurs dans les territoires, afin de favoriser des dynamiques vertueuses". Cette ambition pourrait notamment passer par une modification de la composition du conseil scientifique (en l'ouvrant par exemple à un pédopsychiatre et un représentant du Défenseur des enfants), afin de mieux prendre en compte les enjeux propres aux enfants et aux jeunes. De même, il conviendrait de "remettre des moyens à tous les niveaux" chez les acteurs accompagnant l'enfance et la jeunesse, avec un pendant du Ségur de la santé, et de multiplier les enceintes de recueil de la parole jeunes pour mieux les associer à la définition des politiques publiques. Ceci passe en particulier par un soutien aux associations, par un dialogue renforcé au sein de l'Education nationale et par un renforcement de la place des jeunes dans les organismes décisionnels ou de contrôle : création d'une délégation aux droits de l'enfant et à la jeunesse à l'Assemblée nationale, pérennisation de la présence des jeunes au sein du Conseil économique, social et environnemental (Cese), plus grande mobilisation du Conseil d'orientation des politiques de jeunesse, création d'un Observatoire national de la jeunesse...
Enfin la commission d'enquête préconise de "faire travailler les acteurs en réseau", en s'appuyant sur les nouvelles solidarités apparues pendant la crise, et de sortir d'une organisation en silos et favoriser les dynamiques territoriales au niveau des bassins de vie.

 


 

Pauvreté des jeunes : France urbaine lance un groupe de travail

France urbaine lance un groupe de travail intitulé "Lutte contre la pauvreté des jeunes", qui sera présidé par Mathieu Klein, maire PS de Nancy et co-président de la commission "Solidarités, lutte contre les inégalités et la pauvreté" de l’association. Face à l’aggravation de la situation sociale des 18-24 ans - multiplication du taux de chômage par 3,5 depuis 40 ans, impact de la crise sanitaire -, "le foisonnement d’initiatives actuel en faveur des jeunes reste peu porteur de transformations durables à l’échelle des besoins", indique l’association d’élus dans un communiqué du 13 janvier 2021. Le groupe de travail est ainsi destiné à "créer les conditions d’un cadre partagé d’expérimentations pertinentes pour résister à la tentation de la solution unique et normative". L’association entend opérer "dans un cadre maitrisé, partenarial et renouvelé". "Logement, santé, mobilités, emploi, formation : nous allons engager des rencontres, notamment auprès des associations engagées sur ces sujets, afin de proposer au gouvernement d'expérimenter des nouvelles formes d'accompagnement et de lutte contre la pauvreté des jeunes", a annoncé Mathieu Klein sur Twitter. 
France urbaine précise à Localtis que des auditions seront conduites auprès des ministères concernés, d’autres associations d’élus, d’associations du secteur ou encore de syndicats. Les élus s’efforceront à la fois d’aller vite pour répondre à l’urgence et d’identifier des réponses concrètes, "de long terme" et adaptées à "la réalité de chaque territoire". Les conclusions de ce travail seront d’abord validées à la fin du mois de mars par l’association d’élus, avant d’être rendues publiques.

Caroline Megglé pour Localtis 
 

 

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