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Protection de l'enfance : la Cour des comptes voit les points faibles, mais n'a pas vraiment de solutions

Sous le titre "Une politique inadaptée au temps de l'enfant", la Cour des comptes publie ce 30 novembre un rapport sur la protection de l'enfance qui se penche notamment sur la question des délais, la mise en oeuvre jugée défaillante du "projet pour l'enfant", le pilotage État / département, la réactivité des acteurs locaux, l'organisation des départements en matière d'ASE... Dix recommandations sont formulées.

La Cour des comptes publie un rapport sur la protection de l'enfance, dont le sous-titre résume le contenu : "Une politique inadaptée au temps de l'enfant". La tonalité et les conclusions du rapport ne sont pas vraiment une surprise, dans la mesure où elles reprennent, pour une bonne part, celles du référé rendu public le 20 juillet dernier et centré plus spécialement sur la gouvernance nationale de la protection de l'enfance (voir notre article du 20 juillet 2020). Le rapport élargit toutefois l'approche et approfondit certaines observations.

 

"Un empilement de délais"

Après avoir rappelé les principales données de la protection de l'enfance (328.000 enfants pris en charge à la fin de 2018, une hausse de 12% depuis 2009, une dépense de 8,4 milliards d'euros, dont 8 milliards pour les départements...), la Cour des comptes rappelle que "la protection de l'enfance fait l'objet d'une organisation complexe, héritée de l'histoire, que les deux lois récentes [en mars 2007 et mars 2016, ndlr] n'ont pas simplifiée, et qui fait intervenir de multiples acteurs".

Le rapport aborde ensuite successivement trois grands thèmes. Le premier concerne "un temps de la protection de l'enfance en décalage avec les besoins des enfants". La Cour estime en effet que "la protection de l'enfance se caractérise par un empilement de délais qui se cumulent, retardant d'autant le moment de la prise en charge : délais de traitement des informations préoccupantes, délais internes aux juridictions, délais d'exécution des décisions de justice, délai pour trouver une orientation durable après un accueil d'urgence, etc. qui peuvent nuire gravement à l'enfant". En l'occurrence, la remarque de la Cour vise plus particulièrement les délais de traitement des informations préoccupantes – pourtant supposé amélioré par la création des Crip (cellules départementales de traitement des informations préoccupantes) – et ceux de mise en œuvre des décisions de justice, parfois compliqués par le manque de solutions locales.

Le "projet pour l'enfant" (PPE) – présenté comme un outil central dans la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfance – ne trouve pas non plus vraiment grâce aux yeux de la Cour. Elle estime en effet que sa mise en œuvre "se heurte, en pratique, à de nombreux écueils" : application inégale sur le territoire, non-respect des délais pour son élaboration, méthodologie retenue "guère satisfaisante", projet "rarement concerté et pas toujours actualisé"... Sur ce premier thème, les critiques portent aussi sur la nécessaire clarification des relations avec les parents, le rapport estimant que l'approche par mesures provisoires, afin de préserver la possibilité d'un retour dans la famille naturelle, "est contradictoire avec la recherche de continuité dans le parcours de l'enfant et peut être à l'origine de ruptures et d'insécurité préjudiciables pour le mineur".

Le rapport déplore au passage le manque de mesures de soutien à la parentalité (même si celui-ci est en train de se développer avec la stratégie Enfance et la démarche sur les 1.000 premiers jours de l'enfant). Enfin, le rapport estime que "l'avenir des enfants protégés doit également être mieux préparé", ce qui vise notamment – mais pas seulement – la situation des jeunes majeurs. Là aussi, la contractualisation en cours avec les départements pourrait améliorer les choses (voir notre article du 5 juin 2020).

 

Les défaillances d'un pilotage trop complexe

Le second thème – intitulé "Un pilotage défaillant, des ambitions législatives qui tardent à se concrétiser" – est quasiment la reprise du référé rendu public le 20 juillet dernier. Les défaillances du pilotage visent essentiellement le niveau national, avec l'intervention de deux ministères (Solidarités et Justice), mais aussi de directions centrales d'autres ministères. S'y ajoutent différentes instances nationales aux compétences qui se chevauchent parfois : ONPE, HAS, Giped, CNPE, HCFEA... 

Bien que la protection de l'enfance dispose, notamment avec la loi de 2016 et ses décrets d'application, d'"un cadre législatif et règlementaire rénové et ambitieux, [...] sa mise en œuvre demeure très partielle, voire inexistante dans certains cas". S'y ajoute, pour la Cour des compte, des "défaillances du pilotage qui souffre d'une trop grande complexité et d'une insuffisante coordination des acteurs, tant au niveau national qu'au niveau local". La Cour appelle donc à une clarification et à une simplification de la gouvernance.

Sur le niveau local, le rapport reconnaît que "le rôle de chef de file confié par les textes au département est accepté", mais juge insuffisante la coordination entre le département et les services judiciaires. Rejoignant le courant favorable à une "renationalisation" – de fait – de la protection de l'enfance, la Cour estime que cette situation tient notamment au fait que "l'État, qui devrait être en mesure de garantir l'égalité de traitement des enfants protégés sur le territoire, n'assure pas ce rôle aujourd'hui".

 

Toujours les écarts entre départements

Enfin, le troisième grand thème du rapport vise davantage le niveau local, puisqu'il porte sur "une réactivité des acteurs locaux insuffisante pour garantir la qualité de prise en charge des enfants". Le rapport ne manque pas de souligner les écarts importants entre départements dans les taux de mesures d'aide sociale à l'enfance (de 1 à 4,2 mesures pour 100 mineurs).

Il pointe aussi des choix d'organisation des départements en matière d'ASE, "très hétérogènes et rarement fondés sur l'analyse des besoins", et s'interroge sur la capacité des départements à contrôler et évaluer efficacement les établissements et services de leur territoire. Ceci est d'autant plus important que les opérateurs, essentiellement associatifs, "sont fréquemment fragilisés par des questions de gouvernance". La Cour juge donc nécessaire d'encourager les mutations de ce secteur, afin de renforcer les capacités d'adaptation et d'innovation des opérateurs.

Enfin, le rapport estime qu'il "conviendrait de sécuriser davantage la qualité de prise en charge des mineurs protégés, en alignant la durée des autorisations de places sur les échéances de l'évaluation externe (tous les sept ans) et en renforçant le dispositif de contrôle des établissements et services concernés".

 

Des propositions très pointillistes

Face à ce constat, la Cour des comptes formule dix propositions, qui semblent très pointillistes et clairement en décalage avec la sévérité du constat. Confier à la Drees (direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques) la production exclusive de statistiques sur la protection de l'enfance, ou publier les délais de traitement des informations préoccupantes et d'exécution des décisions de justice ne devrait pas changer grand-chose à la situation de l'ASE, pas plus que le fait d'opérer la consolidation de l'état civil des mineurs non accompagnés (MNA) pendant la période de leur prise en charge, sans attendre la demande de titre de séjour (mesure au demeurant déjà lancée, voir notre article ci-dessous du 2 octobre 2020).

De même, on saisit mal en quoi la gouvernance territoriale de la protection de l'enfance serait – par rapport à la situation actuelle – renforcée "en désignant le préfet de département comme interlocuteur du président du conseil départemental et comme coordonnateur des services de l'État sur le territoire en matière de protection de l'enfance, en lien avec les autorités judiciaires". 

Parmi les préconisations de mesures plus fortes, on retiendra cependant la suppression du CNPE (Conseil national de la protection de l'enfance), qui n'a pas vraiment trouvé sa place, ou le renforcement du "contenu du projet pour l'enfant en y intégrant l'évaluation des compétences parentales, un projet alternatif de moyen-long terme et l'examen du recours à la délégation d'autorité parentale", ainsi que le renforcement du contrôle sur les établissements et services.

 

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