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Communication - La commune de Laguiole n'existe - presque - plus

Le 19 septembre, le maire et les élus de Laguiole (Aveyron, 1.300 habitants) - accompagnés des acteurs économiques locaux - ont solennellement démonté le panneau signalant l'entrée de la commune. Vincent Alazard, maire et conseiller général, a en effet expliqué : "Notre nom ne nous appartient plus, alors que voulez-vous qu'on fasse de ce panneau ?" Il a également fait part de son intention d'apporter ledit panneau "à Paris, pour le donner à ceux qui nous l'ont pris".

Une commune pas si connue que ça ?

Ce geste spectaculaire - et très médiatisé - est la résultante d'un imbroglio juridique qui dure depuis plusieurs années (voir notre article ci-contre du 3 juin 2010). Le litige trouve son origine en 1993, lorsqu'un particulier de la région parisienne a déposé la marque Laguiole, qu'il utilise aujourd'hui pour vendre sur internet de très nombreux objets : des couteaux, mais aussi beaucoup d'autres objets fabriqués en Chine et sans aucun rapport avec la coutellerie, mais qui utilisent abondamment le nom de la commune (voir par exemple, sur le site internet, les "boules de pétanque Laguiole vendus dans une mallette de pétanque Laguiole"). Considérant qu'il s'agit là de faits constitutifs du délit de parasitisme, la ville a introduit plusieurs recours. Dans un premier temps, elle a obtenu une condamnation au titre de la contrefaçon, mais celle-ci a été annulée par la cour d'appel de Paris en 1999. Plus récemment, le détenteur de la marque a réussi à empêcher la commune de déposer son nom auprès de l'Inpi (Institut national de la propriété industrielle). Cette dernière a alors demandé la condamnation de l'intéressé pour "parasitisme" et "pratiques commerciales trompeuses" (les produits d'importation labellisés n'ayant aucun rapport avec Laguiole et l'Aveyron). La ville a aussi demandé la nullité des marques détenues par les sociétés Laguiole SA et Laguiole licences SAS et réclamé cinq millions d'euros au titre du préjudice.
Mais la décision rendue, le 15 septembre 2012, par le tribunal de grande instance (TGI) de Paris sonne comme un camouflet. Le jugement, qui déboute la commune de toutes ses demandes, indique en effet qu'"il est de principe que le nom constitue, pour une commune, un élément d'identité assimilable d'une personne physique. Mais une commune n'est pas fondée à invoquer une atteinte à son nom, à son image et à sa renommée dès lors qu'il est établi que son nom correspond aussi à un terme devenu générique pour désigner un produit fabriqué non exclusivement sur son territoire". Le TGI ajoute que "la commune de Laguiole ne peut pas penser que la référence à la tradition, à des matériaux de qualité pour des produits de marque Laguiole amène immédiatement le consommateur à penser à elle, au savoir faire de ses administrés et aux matériaux locaux ; elle n'a pas le monopole de l'artisanat traditionnel et de l'utilisation de matériaux de qualité ; ses administrés, qui ont évidemment un savoir-faire reconnu, ne sont pas les seuls à le détenir". Plus vexant - et plus surprenant -, le TGI a considéré que "le couteau Laguiole est un nom de couteau entré dans le langage courant sans lien direct évident avec la demanderesse, celle-ci demeurant peu connue contrairement à ce qu'elle prétend".

Protéger son nom est une priorité

Face à ce jugement, la commune a décidé de faire appel et son maire a adressé un courrier au président de la République, lui demandant "d'accepter de prendre toutes initiatives à la défense nos communes". Une allusion directe au dossier, qui n'avance guère depuis plusieurs années, des "indications géographiques protégées", qui permettraient de protéger des produits manufacturés comme les couteaux de Laguiole.
Si le jugement du TGI de Paris peut sembler surprenant par certains aspects, il faut toutefois reconnaître que les démarches et l'argumentation de la commune n'ont pas toujours été très habiles. Dans son jugement de 1999, la cour d'appel de Paris avait déjà relevé que les célèbres couteaux étaient produits ailleurs qu'à Laguiole (notamment à Thiers, dans le Puy-de-Dôme) et que le terme était ainsi devenu générique, excluant l'existence d'un lien entre la commune et l'objet qui porte son nom. Par ailleurs, d'autres villes - comme le montrent les exemples récents de Condom (Gers) et de Deauville (voir notre article ci-contre du 14 septembre 2012) - parviennent parfaitement à défendre leur marque. En attendant le jugement en appel, le principal enseignement de l'affaire de Laguiole, reste que les collectivités doivent particulièrement attentives à la protection et à la gestion de leur marque.

Jean-Noël Escudié / PCA

Référence : tribunal de grande instance de Paris, jugement du 15 septembre 2012.