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Energie - La France refuse le transfert à l'américain Hess Oil de sept permis de recherche d'hydrocarbures dans le bassin parisien

Le ministre de l'Ecologie et de l'Energie, Philippe Martin, "a décidé de refuser d'autoriser la mutation (transfert de propriété, NDLR) au profit de Hess Oil de sept permis exclusifs de recherches d'hydrocarbures*, délivrés par le gouvernement précédent à la société Toréador" et rachetés depuis par la compagnie américaine, a indiqué son ministère dans un communiqué ce 28 novembre. Selon le ministère de l'Ecologie, une partie au moins de ces permis concernant la Seine-et-Marne, l'Aisne, la Marne, et l'Yonne ciblaient initialement du pétrole de schiste, dont l'exploitation nécessite le recours à la fracturation hydraulique. Cette technique, controversée pour les risques qu'elle fait courir à l'environnement, est interdite en France par la loi du 13 juillet 2011, validée le 11 octobre dernier par le Conseil constitutionnel. "Pour traiter ce dossier, j'ai chosi le travail, la transparence et la concertation, a déclaré Philippe Martin. J'ai en effet tenu - ce qui ne s'était jamais fait auparavant - à croiser l'expertise technique de mes services à l'expertise citoyenne des collectifs anti-gaz et huiles de schiste qui ont été reçus à plusieurs reprises accompagnés des élus concernés par ces permis. Je prends mes décisions en connaissance de cause et je les assume."
Hess s'est à l'origine installé en France pour chercher du pétrole non conventionnel. "Même si la société Hess Oil a déclaré, afin de se conformer à cette loi, qu'elle ne l'utiliserait pas, les roches mères visées par cette société dans ses demandes de mutation ne pourraient être explorées que par cette technique interdite sur le territoire national", a souligné le ministère de l'Ecologie. "Dans ces conditions, les permis concernés ne peuvent plus déboucher sur une exploration effective, notamment sur aucun forage pilote", a-t-il ajouté, rappelant avoir déjà dû interdire au début de l'année à Hess Oil d'effectuer un forage horizontal, une technologie généralement associée à la fracturation hydraulique.
Ces soupçons sont rejetés en bloc par Hess Oil France, qui s'est dit dans un communiqué "étonné par les intentions qui lui sont prêtées". "Sur ces permis d'exploration (...), seules des techniques conventionnelles d'exploration ont été utilisées par Hess Oil France sans dommage sur l'environnement et en pleine transparence avec les services de l'Etat et les collectivités locales concernées", a indiqué l'entreprise. Selon le ministère, deux autres permis étaient expirés, et donc non transférables à un nouveau titulaire. Plus généralement, le gouvernement a estimé que la filiale française de Hess Oil, qui a déposé les demandes de mutation, est "une coquille vide qui ne dispose pas des compétences techniques propres, qui sont requises par le droit minier".
Philippe Martin, lui-même farouche opposant à l'exploitation du gaz et du pétrole de schiste, assume au passage le risque du contentieux avec Hess Oil. Le 26 septembre dernier, l'Etat avait en effet été condamné par le tribunal adminsitratif de Cergy-Pontoise, à prendre position rapidement et sous astreinte, sur les demandes de la société américaine. Aujourd'hui, Hess Oil lui réclame environ 30.000 euros par demande de mutation. Sa décision étant désormais prise, le ministère indique qu'il demandera en justice, le 6 décembre, une remise de cette somme. Celle-ci doit toutefois être mise en perspective avec le "coût environnemental et sociétal qu'aurait impliqué cette exploration de notre sous-sol", a estimé le ministre dans un entretien au quotidien Le Parisien. Concernant la réforme à venir du Code minier, repoussée à plusieurs reprises par le gouvernement et qui pourrait conduire à une modification des procédures d'attribution des permis, Philippe Martin souligne qu'un rapport lui sera remis le 10 décembre.
Les projets de la compagnie américaine suscitent une vive opposition chez des ONG, des élus et des collectivités, qui ont salué la décision de Philippe Martin. "L'environnement en Ile-de-France est en ce sens préservé", a souligné le président du conseil régional, Jean-Paul Huchon. "La signature de ces permis aurait constitué un dangereux précédent", a estimé le député EELV Denis Baupin. "C'est une victoire de la mobilisation citoyenne face à la guérilla juridique menée contre l'Etat par le lobby des gaz de schiste pour contourner la loi interdisant la fracturation hydraulique", a renchéri la députée PS et ex-ministre de l'Ecologie Delphine Batho.

Le rapport de l'Opecst vivement contesté

La controverse sur les gaz et pétrole de schiste a été ravivée la veille de la décision ministérielle concernant Hess Oil par le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) favorable à une exploration expérimentale de ces énergies fossiles hautement contestées. Ce rapport n'a pas manqué de susciter de nouveaux remous. Les deux parlementaires écologistes membres de l'Opecst, (Denis Baupin, vice-président de l'Assemblée nationale, et Corinne Bouchoux sénatrice du Maine-et-Loire) se sont opposés à son adoption contre 19 autres votes favorables. Selon les élus verts, le rapport "vise à relancer une énième fois le débat sur les gaz de schiste en France, sur la base d'un parti pris idéologique minimisant les impacts environnementaux et économiques". Sur le fond, les deux membres de l'Office contestent ses conclusions car "il néglige l'impact négatif des gaz de schiste en matière de gaz à effet de serre, l'engagement français de réduire de 30% notre dépendance aux fossiles d'ici 2030, et l'absence de pertinence économique, alors même que le rapport mentionne les études reconnaissant que le modèle économique américain des gaz de schiste n'est pas reproductible en France, que l'exploitation en France n'aurait aucun impact de baisse des prix du gaz, et que l'interdiction de la fracturation hydraulique n'a pas d'impact économique négatif". Sur la forme, ils soulignent "le caractère partial du choix des auditions menées. Plus de 80% des personnes auditionnées sont favorables aux gaz de schiste et l'on peine à trouver la présence d'experts critiques".
Le rapport "ne fournit aucune cartographie précise sur la faisabilité éventuelle de prospections et de futures exploitations sur l'ensemble du territoire", regrettent encore les deux parlementaires. Les nappes phréatiques, forêts, terres cultivables, zones habitées "ne sont jamais prises en compte, tout comme la limite des réserves, la brièveté de l'exploitation éventuelle, en comparaison avec l'énergie dépensée pour la fracturation et les dommages irréversibles pour l'environnement et l'eau potable". "La majeure partie du travail réalisé est curieusement hors sujet, puisqu'il concerne la fracturation hydraulique, dont l'interdiction prévue par la loi française a été confirmée par une décision du Conseil constitutionnel le 11 octobre dernier, a réagi pour sa part le président de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, Jean-Paul Chanteguet (PS, Indre). "Les rapporteurs se disent convaincus que cette technique (illégale) est, grâce à d'importants progrès, dorénavant maîtrisée et raisonnablement utilisable. Cette conviction se révèle pourtant, au fil de la lecture du rapport, relever de l'acte de foi et non de la moindre preuve scientifique."
"Loin de m'arroger le monopole de la connaissance, je souhaite rappeler que l'énergie du XXIe siècle est avant tout celle que l'on économise et celle issue des technologies renouvelables", ajoute le député. "L'avenir n'est certainement pas de s'obstiner dans les voies du passé et d'exploiter les dernières ressources fossiles disponibles, de plus en plus complexes et coûteuses à extraire, à des prix toujours croissants également pour le climat, l'environnement et la santé."

Anne Lenormand


* Permis d'Aufferville, de Courtenay, de Nemours, de Leudon-en-Brie, de Château-Thierry, de Rigny-le-Ferron et de Joigny
 

 

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