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Salon européen de la mobilité - La gratuité des données de mobilité fait débat

Lors de sa visite au Salon européen de la mobilité ce 13 juin, la ministre des transports Elisabeth Borne a précisé le calendrier et le périmètre d'ouverture des données de mobilité. Une ouverture qui a un coût et, peut-être, un prix.

A l’occasion du Salon européen de la mobilité, la ministre des Transports Elisabeth Borne a annoncé l'ouverture, d'ici à 2021, de toutes les données de mobilité (lire ci-dessous notre article du 13 juin 2018). Une obligation qui concernera les données statiques (arrêts, horaires théoriques, tarifs, accessibilité) mais aussi celles générées en temps réel (perturbations, retard, disponibilité de véhicules en partage). Des données "rendues accessibles à tous, dans des formats ouverts, d'ici 2020 dans les principales métropoles et sur les axes transeuropéens, et d'ici 2021 sur tout le territoire"a-t-elle précisé. C'est l'Arafer, le régulateur du secteur, qui sera chargé de contrôler ces dispositions. L’ambition du gouvernement est de faire émerger grâce à cette ouverture de nouveaux services du type type "Mobility as a Service" (MaaS), qui proposent des parcours de porte à porte combinant plusieurs modes de déplacement, avec un seul billet.

Des obligations existantes mais contestées

Ces annonces ne sont pas véritablement nouvelles dans la mesure où les obligations d’ouverture existent sur le papier depuis 2015. A l’occasion d’un atelier organisé dans le cadre du salon, Maud Choquet, chargée de mission juridique à Etalab a rappelé ce cadre. "La loi Macron a prévu une ouverture de toutes les données des services de mobilité.  La loi Lemaire consolide ce droit en instaurant un open data par défaut pour toutes les données produites par les administrations. La spécificité du cadre français est de contraindre aussi les entreprises opérant des services publics à ouvrir leurs données". L’article 4 de la loi Macron étendait cette ouverture des données aux services de mobilité privés comme les vélos en free floating ou le transport à la demande. Le problème est que cette disposition n’a jamais été mise en œuvre faute de décret d’application, tant elle a suscité une levée de boucliers. Car loin de favoriser l’innovation, cette ouverture tous azimuts est accusée de favoriser avant tout les Gafam et autres Uber. "Dans les faits, seules les grandes entreprises ont les capacités techniques de traiter en masse les données brutes publiées en open data. Et Google et Amazon n’hésitent pas à siphonner ces data pour les enrichir et nous les revendre derrière", a fustigé Arnaud Julien,  directeur "Innovation et Digital"chez Keolis. Chez Transdev, on alerte aussi sur la nature des données concernées par l’open data : "il faut être extrêmement vigilant sur les données liées à la commercialisation des titres de transport. Il faut que les interfaces entre les différents systèmes de transport permettant les services MAAS restent sous le contrôle des autorités organisatrices de transport", a mis en garde Xavier Aymonod, directeur de l’innovation chez Transdev. 

Des coûts de mise à disposition importants

Ces craintes suscitent beaucoup d’espoir autour de la future loi d'orientation sur les mobilités (LOM), qui doit éclaircir le périmètre d’ouverture des données de mobilité tout en apportant des garanties aux acteurs. Si les objectifs sont connus et partagés, le diable se cache dans des détails qui font encore l’objet de négociations. Ce qui paraît acté, c’est que la loi devrait intégrer l’ouverture et la normalisation des données en temps réel, réglementer l’usage des web services (ou API) et créer un point d’accès national avec des déclinaisons régionales. Ces dispositions sont en effet imposées par la nouvelle mouture de la directive PSI sur la réutilisation des données du secteur public, sur laquelle planche actuellement Bruxelles. Concernant la gratuité, le débat ne semble pas totalement tranché. Du côté de l’Etat, on fait surtout valoir le garde-fou des licences pour protéger les acteurs. "La licence OdBL ou share-alike, qui fait partie des deux licences validées par l’Etat, impose un repartage des données enrichies à l’identique", justifie Maud Choquet. Côté opérateurs de mobilité, on met en avant les investissements que vont générer la mise à disposition des données en temps réel. "Facturer les coûts, comme l’autorise la loi Valter, c’est bien mais cela ne va pas assez loin. D’abord, il faut les justifier ce qui n’est pas forcément très évident. Ensuite, pour offrir un service de qualité, il nous faut investir dans une infrastructure de serveurs et assurer leur maintenance", explique Arnaud Julien. Et de proposer un système de seuils d’usage qui concilierait gratuité pour les petits acteurs, et notamment les startups, et facturation dès lors qu’il s’agit de réutilisations massives par de grands opérateurs. "Attention toutefois car les Gafam sont très inventifs pour contourner ces dispositifs", met en garde Xavier Aymonod. "Les Gafam sont ensuite très riches : ce n’est pas ce qui les arrêtera. L’important est surtout de faire monter en compétence les acteurs européens sur la data. Il est également possible de leur imposer un principe de réciprocité", a fait valoir Robert Bodjak, en charge du sujet Politiques et innovation en matière de données au sein de la Commission européenne.