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Islam radical - La lutte contre la radicalisation en quête d'un discours

Annoncé au printemps dans le cadre du plan de lutte contre la radicalisation et le terrorisme, le "conseil scientifique de lutte contre la radicalisation" a été officiellement installé par le garde des Sceaux, le 31 août. Cette nouvelle institution rattachée au ministère de la Justice vient renforcer l'arsenal mis en place depuis 2014. Il dressera des ponts entre la justice et l'université pour "construire de puissants contre-discours", comme l'avait laissé entendre le Premier ministre au mois de mai. Il s'agit de mieux comprendre le phénomène et d'éviter les tâtonnements, voire les ratages dans la prise en charge des personnes radicalisées. Il travaillera notamment en "étroite collaboration" avec le Comité de pilotage de lutte contre le terrorisme et la radicalisation violente installé en juillet dernier au ministère de la Justice.
Le conseil sera composé d'une douzaine d'universitaires venus de divers horizons : sociologie, psychologie, science politique, droit, sciences cognitives et comportementales, sciences des religions, philosophie… Certains d'entre eux sont habitués à mener des travaux dans les prisons et d'autres non, a indiqué le ministre lors de son installation, sans donner le nom de ces futurs experts.
Le conseil devra "évaluer", "coordonner" et "harmoniser" les dispositifs de lutte contre le terrorisme et la radicalisation violente, précise le ministère. Ce qui pourra passer par des travaux de recherche. Il sera aussi chargé de "construire, à partir des différents travaux de recherche et des expériences déjà conduites, une doctrine d'évaluation et de prise en charge unifiée de la radicalisation violente". "L'essor du terrorisme et de la radicalisation violente nous pousse dans nos retranchements. Il fait éclater nos catégories, nos concepts, nos habitudes. Le danger serait de l'appréhender avec des méthodes classiques", a déclaré le garde des Sceaux cité par l'agence AEF.

"14.552 signalements actifs"

Lors de la Conférence des ambassadeurs, le 1er septembre, le Premier ministre, Manuel Valls, a recensé "14.552 signalements actifs" au sein du fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Il a appelé les ambassadeurs à s'emparer du plan de prévention qu'il a présenté en mai 2016 afin qu'ils le fassent connaître dans leur pays de rattachement. "Nous devons développer la coopération, les échanges de bonnes pratiques entre partenaires", leur a-t-il demandé, se félicitant d'avoir nommé une diplomate, Muriel Domenach, en qualité de secrétaire générale du CIPDR (comité interministériel de prévention de la délinquance et de lutte contre la radicalisation), devenu la structure pivot de la lutte contre la radicalisation en France. Le plan gouvernemental vise à doubler la prise en charge des personnes radicalisées. A cette fin, chaque région devrait être dotée d'un "centre de citoyenneté et de réinsertion" d'ici fin 2017. Mais la lutte contre la radicalisation, qui se cherche encore, a déjà connu de sérieux déboires. La Maison de prévention et de la famille de Seine-Saint-Denis inaugurée en 2014 dans un immeuble anonyme - mais à grand renfort de communication - fait aujourd'hui l'objet d'une enquête judiciaire. Dirigée par une militante associative, Sonia Imloul, cette structure faisait appel à des salafistes dits "quiétistes" (ultra-orthodoxes) pour dialoguer avec les jeunes pris en charge ! En novembre 2015, le gouvernement décidait de ne pas renouveler son contrat, faute de résultats tangibles. En début d'année, le Centre de prévention contre les dérives sectaires de l'islam (CPDSI) dirigé par l'anthropologue "du fait religieux" Dounia Bouzar avait décidé de cesser sa collaboration avec le gouvernement pour protester contre la déchéance de nationalité qui créait selon elle "un contexte politique défavorable à l'entreprise pédagogique et scientifique pour prévenir la radicalisation". Le CPDSI avait été missionné en avril 2015 pour constituer une équipe mobile d'intervention afin d'aider les préfectures et accompagner les jeunes et les familles. Mais le centre a lui-même essuyé de nombreuses critiques. Au-delà de son fonctionnement, c'est l'approche de Dounia Bouzar - assimilant la radicalisation à une dérive sectaire sans lien direct avec l'islam - qui était visée. Dernier épisode en date, celui de la sénatrice UDI de l'Orne Nathalie Goulet, qui s'est spécialisée dans les réseaux djihadistes. Dans un rapport de juillet, elle dénonçait l'influence étrangère sur l'islam en France. Elle n'avait pas hésité non plus, au mois de décembre, à demander des comptes au ministère de l'Intérieur sur le CPDSI. Or elle vient de reconnaître mi-août avoir facilité les démarches du maire de Lonlay-l'Abbaye dans sa circonscription pour obtenir la subvention d'une fondation saoudienne en vue de la réhabilitation d'un presbytère… Sauf que de l'Arabie saoudite au salafisme, le chemin est court. Bref, le nouveau conseil scientifique de lutte contre la radicalisation a du pain sur la planche.