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La rénovation des contrats de ville : une opportunité pour faire plus d'ESS dans les quartiers ?

Économie sociale et solidaire et politique de la ville font-elles bon ménage ? Durant un colloque organisé par le RTES et le CGET, collectivités territoriales et acteurs de l'ESS ont mis en avant la complémentarité des deux et les freins qu'il reste encore à lever pour favoriser leur développement commun. Un développement qui pourrait être facilité dans le cadre de la rénovation des contrats de ville.

"Parfois, l'économie sociale et solidaire oublie qu'elle a à agir sur ces territoires, et parfois la politique de la ville oublie la dimension économique !" Lors d'un colloque organisé par le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES) et le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) le 10 septembre, Emmanuelle Rousset, vice-présidente du conseil départemental d'Ille-et-Vilaine, déléguée à l'économie sociale et solidaire et à la politique de la ville, a résumé le paradoxe du rapport entre les deux pans de sa double casquette.
De plus en plus d'acteurs locaux s'intéressent toutefois à la complémentarité des deux dimensions pour construire des politiques publiques efficaces à l'échelle des quartiers politique de la ville. À l'heure actuelle, d'après une étude du Conseil national des chambres régionales de l'économie sociale et solidaire (CNCRESS) publiée en juin 2019, l'ESS concerne 103.900 salariés dans les quartiers prioritaires, avec 10.600 établissements employeurs, dont près de 90% sont des associations. Et globalement, ces établissements sont plus présents dans les quartiers qui rencontrent le plus de difficultés. Les activités de ces structures sont variées mais les domaines des arts et spectacles, des sports et loisirs, de l'éducation populaire, des réseaux et fédérations associatives, sont les plus développées. Ainsi, les franges plus marchandes de l'ESS comme la banque-assurance, le commerce ou l'industrie-construction, sont moins présentes. "Des activités qui représentent moins d'emplois ou qui ont souvent recours au bénévolat, mais qui sont structurantes dans le dynamisme des quartiers", comme le soutien aux entreprises, la mobilité, le logement, le numérique ou encore l'alimentation avec les circuits courts, indique l'étude.

ESS et contrats de ville : "Il y a une marge de manoeuvre très importante"

Pour Sylvie Bouvier, du pôle pilotage, contrats de ville et coordination du CGET, la rénovation des contrats de ville représente une opportunité pour faire encore plus d'ESS dans les quartiers. Ces contrats, au nombre de 435, ont été prorogés jusqu'en 2022, selon des modalités précisées dans une circulaire publiée en janvier 2019. Ils doivent permettre de fixer le cadre des futurs projets de renouvellement urbain. Succédant aux contrats urbains de cohésion sociale (Cucs), ils prévoient l'ensemble des actions à conduire pour favoriser la bonne articulation entre les projets et le volet social de la politique de la ville. Mais il s'agit "juste d'un cadre qui permet aux acteurs locaux de fonctionner, il y a une marge de manœuvre très importante, l'ESS doit être intégrée dedans", a précisé Sylvie Bouvier.
L'augmentation de 20% des crédits la politique de la ville, votée en loi de finances, constitue aussi selon elle une opportunité pour développer l'ESS. "N'hésitez pas à activer les choses car il y a des possibilités, l'ESS apporte et peut apporter énormément dans la culture de la politique de la ville et inversement, nous avons une marge de manœuvre, il faut être proactif", a conseillé Sylvie Bouvier aux responsables des collectivités et autres acteurs de l'ESS.

La commande publique, une ressource inouïe souvent sous-estimée

Plusieurs actions ont été mises en avant durant la journée, montrant ainsi les apports spécifiques de l'ESS : l'installation en colocation de jeunes qui s'engagent avec les habitants des quartiers, menée par l'Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev) ; une école pour enfant, Digifab, créée il y a trois ans, qui est aussi un organisme de formation aux métiers du numérique pour adultes ; la mise en place d'actions de proximité par le biais de la musique dans des quartiers populaires en Gironde, portée par l'association Ricochet sonore ; ou encore APRES, une initiative destinée aux personnes éloignées de l'emploi visant la revalorisation de l'estime de soi...
Si ces actions semblent montrer leur efficacité, la question de leur pérennisation reste encore en suspens. "Aujourd'hui, il est facile de partir d'une idée et d'être financé pour une expérimentation de trois ans, a expliqué Emmanuelle Rousset. Mais après il y a des difficultés pour changer d'échelle, avec cette logique d'appels à projets qui va finir par nous tuer ! Avec cette logique, il faut rajouter des projets pour continuer à exister…"
Pour la responsable du conseil départemental, c'est aux collectivités d'assumer le risque en considérant qu'il s'agit d'un investissement. Et les marchés publics laissent encore de la marge de manœuvre dans ce sens. "Il faut qu'il y ait une offre, après les juristes peuvent travailler les détails pour réserver certains marchés à des structures de l'ESS, a souligné Emmanuelle Rousset. La commande publique est une ressource inouïe que nous sous-estimons tous ! À Rennes, nous conventionnons avec les associations sur des durées de six ans, donc quand on veut, on peut !"
L'image de l'ESS qui évolue permet de mieux sensibiliser les uns et les autres. "Il y a quinze ans, on ne savait pas que cela existait, a indiqué Boris Tavernier, directeur-fondateur de Vers un réseau d'achat en commun (Vrac). Petit à petit cela évolue, et ensuite, c'est par l'action que nous menons sur le terrain que nous pouvons attirer l'œil du politique et du médiatique." Un avis partagé par Dounia Besson, vice-présidente du RTES : "Tant que nous n'arrivons pas à former et sensibiliser les équipes de la politique de la ville, nous n'arriverons pas à transformer le territoire."