La restauration collective plus que jamais dans l'impasse

Le président du Syndicat national de la restauration collective donne une nouvelle fois l'alerte sur la santé plus que précaire du secteur, confronté à la forte hausse du prix des matières premières et des salaires. Mettant en exergue le risque de désengagement des entreprises des marchés publics – mais aussi celui des filières amont et du personnel –, il propose aux collectivités un certain nombre de pistes pour réduire les coûts et plaide pour une révision, à l'étude, du mécanisme de révision des prix dans les contrats publics. 

"80% des marchés publics [de restauration collective] sont déficitaires. Des entreprises se désengagent aujourd'hui de ce métier, et notamment des TPE/PME qui ne veulent plus entendre parler de marchés publics […]". L'alerte est lancée par Philippe Pont-Nourat, président du Syndicat national de la restauration collective (SNRC), au cours d'une audition organisée ce 8 juin 2023 par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, dans le cadre du suivi de son rapport sur "la hausse du coût des énergies et son impact pour les collectivités territoriales" publié en 2022 (notre article du 29 août). Elle résonne d'autant plus fortement que ces marchés publics représentent selon lui le quart du chiffre d'affaires de la quarantaine d'entreprises membres de cette fédération, qui exploitent 20.000 restaurants en France, emploient 80.000 salariés et représentent quelque 2,6 milliards d'euros d'achats annuels. L'alerte n'est toutefois pas nouvelle (notre article du 10 juin 2022), et la profession avait déjà sonné le tocsin à l'automne 2022 (notre article du 8 novembre 2022). Mais les difficultés vont toujours croissant.

Risque d'un désengagement des filières amont et du personnel

Pour Philippe Pont-Nourat, elles sont aujourd'hui telles que les filières amont, elles aussi, se "disent que ce n'est plus un débouché possible et rentable et réfléchissent à se désengager de la restauration collective. C'est absolument dramatique au regard de l'enjeu de notre souveraineté alimentaire et du soutien que l'on veut donner à notre agriculture française […]". Il pointe encore le fait qu'alors "qu'il manque 200.000 à 250.0000 salariés à la profession des hôteliers, cafetiers et restaurateurs, si nous ne sommes pas capables d'avoir les moyens de maintenir la progression des salaires et le développement des carrières, on va se retrouver les uns et les autres avec de moins en moins de gens qui veulent faire ce métier". Et de se faire grave : "J'y vois même un enjeu de santé publique si demain il n'y a plus de gens qui veulent être cuistot à l'hôpital".

Matières premières et salaires

En dépit du thème de l'audition sénatoriale, la hausse des coûts de l'énergie ne constitue qu'une cause indirecte du phénomène. Les principales difficultés tiennent à l'inflation des matières premières – "20% entre janvier 2022 et janvier 2023", plus que les "15% constatés dans les grandes et moyennes surfaces commerciales" – et à l'augmentation des salaires, portée "par les augmentations successives du Smic", et ses répercussions sur celui des autres salariés "si l'on veut éviter un tassement de la grille". Philippe Pont-Nourat estime que les négociations salariales en cours (leur conclusion est attendue autour du 20 juin) devraient aboutir à une "augmentation moyenne sur les 9 échelons de 12% en 18 mois". Or les matières premières représentent 40% du coût d'un repas et les salaires 45%. 

Réflexion en cours sur le mécanisme de révision des prix

"Le problème, c'est que l'on ne peut augmenter nos prix qu'une seule fois par an, à la date anniversaire du contrat", explique le président du SNRC. Une révision qui n'est en outre pas suffisante pour couvrir ces hausses des coûts, du fait d'une "décorrélation entre les structures des coûts et les indices des formules de révision de prix". "Pour les contrats révisés au 1er septembre – 70% des cas –, l'application mécanique du cahier des charges a conduit à une hausse de 4,4%. Pour ceux révisés au 1er janvier – 30% des cas –, l'augmentation était de 5,1%". Un hiatus d'autant plus funeste que "la marge de la restauration collective, les bonnes années, c'est 3% avant impôts", souligne Philippe Pont-Nourat. Il indique qu'un "travail est actuellement conduit avec la direction des affaires juridiques de Bercy et avec l'Insee pour trouver un mécanisme de révision plus équilibré, moins en dents de scie". Reste que de l'autre côté, les moyens des collectivités, "qui représentent une bonne part de ces marchés publics avec la restauration scolaire", sont aussi plus que contraints…

Des pis-aller

Pour contourner le problème, la profession a présenté plusieurs pistes à l'Association des maires de France, dont certaines sont déjà mises en œuvre (notre article du 9 septembre 2022). Philippe Pont-Nourat évoque "le passage de 5 à 4 composantes (entrée, plat protidique et garniture, fromage, dessert et pain), certaines collectivités ayant fait le choix d'en retirer deux jours par semaine, voire tous les jours", la réduction du conditionnement ("tous les restaurants scolaires n'ont pas de cuisine"), la réduction des gaspillages via la diminution de la largeur de la gamme proposée et une prévisibilité plus fine de la fréquentation (en demandant aux parents d'annoncer les présences une semaine à l'avance, et le cas échéant en facturant les repas non consommés, sauf "bonne raison") ou encore la réorganisation du service, notamment en procédant à "des livraisons très tôt le matin, pour éviter l'afflux de 7h30 – 8h30", ce qui permet de réduire le nombre de camions et de chauffeurs nécessaires. Autant de pistes qui "permettent de dégager des marges de manœuvre, mais qui ne représentent que 15% de ce qu'on doit aller chercher", déplore-t-il toutefois. Et le salut ne viendra guère selon lui de la prochaine révision des prix des contrats au 1er septembre, puisqu'il table sur une hausse comprise "entre 5 et 7%, qui ne couvrira pas la hausse des coûts". Et ce, même si cette dernière se fait un – tout petit – peu moins forte sur les matières premières ("17%").

Égalim : "arrêt sur images"

Philippe Pont-Nourat insiste par ailleurs sur le fait que ces hausses se font "à caddie équivalent". "Elles n'ont donc pas permis la montée en gamme attendue par [les lois] Égalim", pour laquelle "c'est arrêt sur images". Et de relever que 25% des appels d'offres lancés par les collectivités pour acheter des denrées alimentaires pour les cantines scolaires sont aujourd'hui infructueux. 

Interrogé par ailleurs par les sénateurs sur le caractère pérenne de la situation, le président du SNRC a douché les espoirs. "Il n'y aura forcément pas de retour en arrière pour les salaires, et c'est heureux. Ils ne doivent pas devenir la variable d'ajustement budgétaire de la transition environnementale, agricole et alimentaire". Quant aux prix des matières premières, il relève qu'entre la hausse de population mondiale, la baisse des rendements du fait du changement climatique ou encore la nécessité de soutenir l'agriculture française, dont les exploitants ne trouvent déjà plus de successeurs, il va falloir "s'habituer à payer plus cher son alimentation".

 

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