Archives

La smart mobilité invitée à se réinventer après la pandémie

Le salon Autonomy, organisé les 16 et 17 mars à Paris, a été l’occasion de faire un point sur les projets des grandes métropoles européennes en matière de véhicule autonome et de mobilité en tant que service (Maas). Si les villes lâchent la pédale sur les projets de véhicules autonome, elles accélèrent sur les données, pierre angulaire de la Maas.

Après une annulation et une session en visioconférence, le salon Autonomy, consacré à l’innovation dans la mobilité, se tenait à nouveau en "présentiel". Le faible nombre de start-up, à l’exception notable des jeunes pousses liées au vélo, et la quasi-absence des grands acteurs de la mobilité en disent long sur la morosité générale. Avec le Covid et la baisse drastique des recettes des transports publics, l’heure est au recentrage de l’innovation.

Pas d’expérimentation nouvelle de véhicule autonome en Île-de-France

La prudence s’impose notamment sur le déploiement de véhicules autonomes (VA) dans le secteur public. "Notre ligne c’est wait and see", résume Elodie Hanen, directrice générale adjointe en charge du développement à Île-de-France Mobilités. La région, qui a lancé il y a sept ans plusieurs projets "toujours au stade d’expérimentation" n’envisage pas d’en lancer de nouvelles. En cause ? Le caractère très déceptif du VA dont elle déplore "la lenteur" et les conditions de mise en circulation. Car aujourd’hui, pour une circulation sans opérateur humain à bord, il faut des voies dédiées. "Et même un bus autonome ne répondrait pas à nos besoins de transports de masse". Aussi l’autorité organisatrice des mobilités (AOM) francilienne serait-elle plus intéressée par les trains ou les trams autonomes et en attendant se focalise sur le verdissement de son parc de véhicule.

Écosystème d’innovation

À Göteborg (Suède) l’avis est plus nuancé. "Nous avons modifié le cadre juridique pour leur permettre de circuler et nous continuons à mener des expérimentations. Mais nous nous focalisons plutôt sur le court terme, et notamment les enjeux autour des données", a détaillé Mikael Ivory, le représentant de l’AOM de la cité suédoise. Rikesh Shah, en charge de l’innovation à Transport of London invite pour sa part à "éviter toute vision binaire", de nombreuses pistes étant à explorer dans le domaine du véhicule connecté ou encore du contrôle automatisé de la vitesse. Il insiste surtout sur la nécessité pour les structures publiques d’animer un "écosystème pour cocréer les services". L’autorité londonienne travaille ainsi aujourd’hui avec plus de 700 start-up avec qui elle partage, notamment, des données.

Pistes low tech

Alexandra Millonig, chercheuse sur la ville résiliente au sein de l’institut de technologie autrichien estime que "le VA a encore besoin de quelques années de recherche et d’investissement avant de voir le jour". En attendant, elle invite à résoudre les grands défis de la mobilité – congestion, pollution, accès, sécurité – par des moyens plutôt low tech. Elle suggère aux villes de réfléchir aux moyens de limiter le besoin de mobilité (relocalisation, télétravail…), de travailler sur l’accessibilité physique et numérique des services, ainsi que sur les ressorts culturels des comportements de mobilité. "Ce n’est pas parce qu’on lance un nouveau service qu’il est utilisé. Ce qu’il faut c’est une ambition et donner du sens au projet", ajoute-t-elle. Des pistes qui sont en outre valable pour tous les territoires, quelle qu’en soit la taille. 

La Maas se structure

Le développement de l’intermodalité et de la multimodalité au travers d’offres de mobilité servicielle ou Maas (mobility as a service en anglais), objet d’une autre table ronde, semble faire beaucoup plus consensus. L’heure n’est cependant plus au développement frénétique des alternatives aux transports en commun mais à la rationalisation de l’offre. À Berlin, on tient à "garder la main sur la plateforme" et "seules les autorités publiques sont habilitées à vendre des tickets de transport", explique Jakob Michael Heider, en charge de l’application unique multimodale berlinoise Jelbi. Autre conviction : la nécessité de ne pas chercher à tout faire pour les acteurs publics. "À Talinn, les acteurs privés sont tous les bienvenus mais ils doivent prouver qu’ils ont un modèle économique avant qu’on les aide, par exemple en prenant en charge des kilomètres gratuits pour les habitants", explique Andrei Novikov. L’élu de la capitale estonienne estime que la clé de la réussite d’un projet Maas est de bien comprendre les besoins du citoyen : bénéficier de transports à bas coût, faire gagner du temps et proposer une expérience de qualité.

Créer des API interopérables

La première condition du développement de la Maas reste cependant l’accès et le partage des données sur l’offre de mobilité, l’infrastructure et les réseaux. Des données, a expliqué Philippe Crist, de l’International Transport Forum, qui ont deux fonctions, "le partage de données entre les acteurs du marché et le contrôle de ces acteurs par la puissance publique". Et de son avis, "on a encore beaucoup à faire pour l’infrastructure data des AOT".  La clé de ces échanges est l’interopérabilité des données et des connecteurs, les API. "Nous travaillons sur des standards d’API et espérons publier nos travaux l’été prochain", a expliqué Gemma Schepers, en charge de la smart mobilité à Amsterdam. Ces standards internationaux pourraient ouvrir la voie à un système de roaming (comme pour la téléphonie mobile) "pour utiliser notre application dans d’autres pays européens", espère le responsable de Jelbi. Si les données sont la clé de la Maas, les responsables de grands réseaux de transport européens pointent la difficulté à recruter des datascientists et autres compétences en matière de smart mobilité.

Multimodalité globale

La multimodalité n’est cependant pas qu’une affaire de numérique. Philippe Crist estime qu’il faut en travailler "l’affordance", mal traduit en français par accessibilité. "Il s’agit de concevoir un design des espaces publics comme des interfaces numériques qui en suggèrent naturellement l’usage". Beaucoup d’applications multimodales – voir l’expérience désastreuse de SNCF Connect – se révèlent compliquées à utiliser, même pour des personnes à l’aise avec le numérique. Mais l’affordance est aussi applicable à l’espace public, à l’image des "BuurtHubs" d’Amsterdam. Ces micro hubs de mobilité permettent aux habitants comme aux touristes de trouver une large gamme de solutions de déplacement propres en bas de chez eux : vélos électriques, vélos-cargo, autopartage… leur évitant d’avoir à posséder un véhicule. Et comme une seule application y donne accès, la multimodalité des BuurtHubs est autant physique que numérique.