Laïcité / Education - Laïcité : vous seriez plutôt "responsable communautarien" ou "libéral convaincu" ?
La frontière "entre le permis et le toléré", entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas au regard de la laïcité dans l'espace scolaire "est bien souvent implicite et repose sur un équilibre fragile", estime la sociologue Clémentine Vivarelli, dans une formation organisée le 16 mars par l'Ifé (Institut français de l'Education). Clémentine Vivarelli a travaillé dans des collèges et lycées de Strasbourg, ville située dans le cadre concordataire, et où la présence d'immigrés est importante, près de 13%, soit 5 points de plus que la moyenne nationale.
Selon elle, la loi de 2004 - qui interdit le port de signes religieux ostentatoires dans l'espace scolaire - s'est certes inscrite dans un contexte de tensions, mais elle se serait par la suite rapidement banalisée. La sociologue constate que "les établissements scolaires ont pu faire appel à des dispositifs hétérogènes" pour s'assurer de la bonne mise en application de la loi lors de sa promulgation.
Cross et ramadan
"Dans un collège, on a sollicité l'imam pour expliquer le bien-fondé de la loi, dans un autre, on a convoqué des anciennes élèves qui sont venues parler de la nécessité de retirer le voile dans le domaine professionnel, dans d'autres établissements, on a fait le choix d'une mise en application progressive de la loi et on a mis en place un espace transitionnel où les élèves pouvaient se changer…"
Mais bien d'autres questions se posent, pendant la période de ramadan par exemple. Ainsi un professeur d'EPS trouve légitime d'adapter ses exigences, un responsable de cantine "veille à ce qu'il y ait systématiquement un plat de substitution de la viande", une équipe éducative "accompagne les élèves internes pratiquants à la cantine à la tombée de la nuit", des assistants d'éducation estiment légitime "que les élèves de l'internat prient dans leur chambre le soir"...
A l'inverse, un chef d'établissement "refuse de décaler le cross scolaire" car il estime que "l'école publique laïque ne doit pas tenir compte de la pratique religieuse des élèves dans l'organisation de ses activités". Dans un collège, la tradition voulait que les élèves puissent venir voilées à la fête de fin d'année, considérée comme un temps non scolaire, mais le nouveau principal a estimé qu'elle s'inscrivait dans l'espace scolaire, et que la loi de 2004 devait s'appliquer.
Une instrumentalisation du religieux pour contester l'autorité
La conférencière note aussi que les attitudes de certains élèves (crachats pendant le ramadan, refus de consommer un repas prévu pour tous, y compris un couscous halal, contestation des connaissances à partir d'une lecture religieuse, etc.) sont perçues par les équipes "comme une instrumentalisation du religieux par les jeunes pour contester l'autorité institutionnelle de l'école ou l'autorité du savoir scientifique, pour ne pas participer aux activités scolaires, pour tester les frontières établies entre le permis et l'interdit".
Si deux philosophies s'opposent, "elles se rejoignent dans leur rejet du système multiculturaliste anglo-saxon". Elles permettent d'identifier quatre types de professionnels : le "responsable libéral", celui qui par exemple "décide de mettre à disposition des élèves voilées une salle leur permettant de se changer à l'intérieur de l'établissement" ; le "libéral convaincu", qui met en place d'un menu halal à la cantine" ; le "responsable communautarien", qui refuse la mise à disposition d'un tel menu ; le "communautarien convaincu", qui refuse d'aménager le cross scolaire pendant la période du ramadan.