L’apprentissage toujours en quête de financement

Les nouveaux modèles économiques des centres de formation par l’apprentissage étaient le thème central de la journée nationale de la Fnadir (Fédération nationale des directeurs de CFA/OFA) organisée le 2 juin 2022 à Paris. Si France Compétences accuse toujours un colossal déficit, plombé par l’envolée des contrats, les établissements doivent de leur côté trouver des recettes complémentaires pour financer leurs investissements.

La journée nationale d’information et d’échange de la Fnadir (Fédération nationale des directeurs de CFA/OFA) qui se tenait le 2 juin 2022 à l’Espace Champerret à Paris était consacrée aux "nouveaux modèles économiques" des centres de formation des apprentis. Un modèle chamboulé par la réforme de 2018 qui a, entre autres, instauré le financement des établissements en fonction du nombre de contrats qu’ils comptabilisaient. Mais si les premiers effets du fameux dispositif du coût/contrat commencent à être perceptibles, les vrais impacts n’interviendront réellement qu’en 2023. "C’est à partir de cette échéance qu’il faudra aller chercher des nouvelles sources de financement pour améliorer l’autofinancement des CFA", a prévenu le président de la Fnadir, Pascal Picault.

Car l’une des principales conséquences du coût/contrat est de ne couvrir que les dépenses de fonctionnement, laissant à la charge des établissements le financement de leurs investissements. "Les coûts d’ingénierie ne sont pas inclus non plus dans le coût/contrat", a ajouté Benoît Sénéchal, responsable du pôle formation à la Banque des Territoires. "Certains CFA sont gagnants et s’en sortent bien, mais ce n’est pas suffisant pour ceux qui ont beaucoup de charges. Ils doivent donc trouver des compléments de financement et cela va s’accentuer dans l’année", prévoit-il.

1 million de contrats en 2022 : difficile à atteindre

D’autant que depuis la libéralisation du secteur avec la réforme, le nombre d’établissements a triplé passant d’un millier à près de 3.000, ce qui exacerbe la concurrence entre eux. Pascal Picault a d’ailleurs pointé des difficultés de recrutements consécutives à l’ouverture massive de sections d’apprentissage. "Les entreprises cherchent des candidats, il ne s’agit donc pas un problème d’offre de contrats, mais plus d’orientation", a-t-il ajouté.

L’objectif du gouvernement d’atteindre 1 million de contrats en 2022 semble du coup difficile à atteindre, d’autant "qu’en avril, pour la première fois depuis 5 ans, le nombre de contrats a diminué de 12%", a également indiqué Pascal Picault, invitant à "identifier des poches encore peu exploitées". Si les jeunes se positionnent massivement sur les métiers émergents, en revanche il y a pénurie de postulants sur les secteurs en tension (santé, industrie, l’agriculture). "Sur certains métiers, il y a eu l’illusion que si on ouvrait des sections, elles allaient se remplir", a constaté Pascal Picault qui déplore que, face au manque de candidats, de plus en plus d’entreprises proposent des CDI à leurs alternants avant la fin de leur diplôme. Pour enrayer cette tendance, la Fnadir suggère de conditionner les primes à la présentation à l’examen de fin d’études.

Trouver d’autres recettes commerciales

Dans ce contexte, la question du financement des CFA reste entière, et d’autant plus qu’il n’existe quasiment pas de marge de manœuvre du côté de l’État, dépassé par le succès des primes à l’embauche des alternants. En effet, France compétences creuse son déficit d’année en année (lire ci-dessous). Tout l’enjeu pour les CFA consiste donc à arriver à "dégager des bénéfices afin de financer leurs investissements", a souligné Estelle Collet, du cabinet Orcom. "Nous passons d’une logique de centre de coûts à une logique de centre de profit", a résumé Jean-Philippe Audrain, premier vice-président de la Fnadir. Pour ce faire, il faut trouver des recettes supplémentaires et des ressources propres. Plusieurs pistes ont été abordées au cours de cette journée. Estelle Collet a suggéré de répondre à des appels à projets des Opco, tandis que Benoît Sénéchal a préconisé de développer l’offre en formation initiale et continue, "en écho aux nouveaux besoins des territoires", mais aussi de trouver d’autres recettes commerciales par exemple par les restaurants d’application pédagogique. "Ils peuvent accroître le résultat d’un CFA de 10 à 15 %", a-t-il indiqué. À condition toutefois "de ne pas faire de concurrence déloyale vis-à-vis des professionnels de la restauration", a réagi un participant.

Les régions toujours actives, l’État pourrait mieux faire

L’enjeu consiste aussi à aller chercher des fonds propres ou quasi-fonds propres, comme le propose depuis six mois la Banque des Territoires qui déploie des instruments spécifiques de financement pour les CFA, de manière à "renforcer le bilan, ce qui peut servir d’effet de levier pour entraîner d’autres investisseurs", a expliqué Benoît Sénéchal (lire ci-dessous).

Mais les régions ont aussi leur rôle à jouer. "Il faut garder de bonne relation avec les conseils régionaux pour récupérer des financements", a indiqué Estelle Collet. "Nous sommes encore dans l’ancien modèle avec les régions qui n’ont pas réduit la voilure", a prévenu Pascal Picault. Elles disposeraient ainsi des mêmes montants pour subventionner les CFA, soit 180 millions d’euros aujourd’hui contre 150 à 160 millions avant la réforme. "Les régions nous voient comme un instrument de développement des territoires, nous sommes des CFA à impact", a fait valoir le président de la Fnadir. Mais la balle est aussi dans le camp de l’État, via les ministères concernés, selon les directeurs de CFA. "L’État a un rôle d’accompagnement de l’évolution de nos modèles", estime Pascal Picault, "et d’aide à la transformation d’un modèle d’éducation et de ses mutations structurelles importantes".

  • Le nouveau soutien financier de la Banque des Territoires

Depuis décembre 2021, la Banque des Territoires a mis en œuvre un dispositif d’aide au financement des CFA qui vise à "renforcer la structure financière des organismes pour financer leur développement", a expliqué Benoît Sénéchal, le 2 juin devant les participants à la journée de la Fnadir. Il ne s’agit pas de prêt bancaire, mais de prise de participation au capital, l’intervention s’adaptant au statut de l’établissement (associatif ou société). "Nous n’avons pas vocation à satisfaire 100% de la demande, mais à co-investir avec un autre partenaire." Si l’enveloppe attribuée aux CFA n’est pas limitée, "l’intervention ne peut se faire qu’à partir d’un certain seuil fixé à partir de 400.000 euros (soit 200.000 pour la Banque des Territoires)", a prévenu Benoît Sénéchal. Pour sélectionner ses prises de participation, la Banque des Territoires privilégie les CFA intervenant sur la formation des publics les moins qualifiés, ceux des secteurs de l’industrie, car "ils ont un impact sur les territoires". À ce jour, trois établissements ont été financés. L’objectif est d’atteindre cind projets cette année et une quinzaine en 2023.

  • France compétences doit emprunter 5 milliards d’euros pour finir l’année

Stéphane Lardy, directeur de France compétences, a été très clair le 2 juin devant les directeurs de CFA : "Le modèle économique de financement des CFA n’est pas encore stabilisé." Et d’autant moins que "personne n’avait prévu une envolée aussi forte des contrats d’apprentissage", a-t-il admis. France compétences cumule ainsi 8 milliards d’euros de déficit, pour l’ensemble de ses compétences qui dépassent le simple champ de l’apprentissage. L’alternance, le compte personnel de formation (CPF) et le plan d’investissement dans les compétences (PIC) totalisent 92% des dépenses de l’organisme. Si l’État apporte 2,7 milliards, le reste doit être couvert par emprunt bancaire. Mais Stéphane Lardy redoute d’avoir du mal à trouver 5 milliards d’euros en septembre pour boucler son budget.

Pointant des effets d’aubaine, il préconise que "le système trouve de la régulation". Il faudrait notamment, selon ce dernier, équilibrer l’effet volume consécutif aux aides accordées aux entreprises pour embaucher des alternants, et l’effet prix lié au coût/contrat.

Mais "le risque est que la question financière prenne le pas sur tout, redoute Stéphane Lardy. La plus-value pédagogique est aussi importante. Ce n’est pas par la comptabilité analytique que l’on y arrivera." Si à court terme, l’urgence est de "trouver des moyens pour financer la rentrée", Stéphane Lardy a invité à engager à plus long terme une réflexion plus globale sur "la politique publique que l’on veut pour les jeunes".