L'art préhistorique, ressource économique intercommunale

Il y a quinze mille ans, sur l'Anglin, en Poitou, l'Homo sapiens consacrait déjà une part de son temps à l'art. La communauté de communes des Vals de Gartempe et Creuse a réalisé le Centre d'interprétation Roc-aux-Sorciers d'Angles-sur-Anglin, pour valoriser cet art auprès de tous les publics.

L'Anglin est de ces rivières qui se plaisent à vivre cachées. Entre Indre et Vienne, lorsque son lit se resserre, les arbres de ses rives forment une voûte de verdure qui la cache aux regards. L'eau a creusé dans le calcaire de hautes falaises qui en rendent le franchissement difficile. De ce fait, plusieurs fois, au cours des siècles, cette rivière a servi de frontière ainsi qu'en témoignent les ruines impressionnantes du château fort d'Angles-sur-l'Anglin ou les récits sur le passage de la ligne de démarcation pendant la dernière guerre. Ces falaises ont aussi été des ateliers de sculpture. Pendant une période d'environ mille ans, l'Homo sapiens de l'âge du renne a résidé là dans les vastes abris creusés au pied de la falaise par l'érosion. Il a utilisé les accidents du calcaire (fissures, renflements...) non pour peindre des figures comme à Lascaux ou à Rouffignac mais pour sculpter la roche : poncer, entailler, percer et créer des volumes qui engendrent des figures au gré des lumières. Puis, les voûtes des abris se sont écroulées, sanctuarisant pour des millénaires, sous une couche d'alluvions et de végétaux, un trésor artistique exceptionnel.

"Des hommes qui, à coté de leur survie, faisaient une place à l'imaginaire et au symbolique"

"La découverte des différents emplacements de cette frise s'étale sur une soixantaine d'années et va encore mobiliser des générations d'archéologues car seul un petit fragment a été mis à jour", explique René Barré, ancien président de la communauté de communes des Vals de Gartempe et Creuse (11 communes, 7.600 habitants). "Mais ce temps n'est rien comparé aux 15.000 ans qui nous séparent de ces hommes qui, à coté de leur survie, faisaient une place à l'imaginaire et au symbolique. Lorsque Suzanne de Saint-Mathurin, archéologue découvreuse de la frise, décéda en 1991, elle légua ses collections et ses archives à l'Etat, sous réserve que celui-ci en assure la protection. Pour la communauté de communes, ce legs était tout à la fois une chance et un défi. La chance est d'abriter dans l'une de nos communes une frise unique au monde et que celle-ci soit située dans un site attractif comprenant le village médiéval d'Angles, les vestiges de son château gigantesque et les eaux de l'Anglin. Le défi était de transformer ce joyau en ressource économique, de concilier l'ouverture au public avec la mise à l'abri de l'original hors de toute dégradation."

Entre le conseil scientifique et les élus, une dizaine d'années d'échanges et de maturation

Avec l'aide de Geneviève Pinçon, préhistorienne rattachée au ministère de la Culture et de la Communication et  responsable scientifique des recherches conduites sur ce gisement, est mis en place un comité de pilotage  composé de préhistoriens mais aussi de spécialistes des diverses disciplines concernées (économie, tourisme, paysage...). Entre ce groupe d'experts et les élus il y a eu six années d'échanges et de maturation. "La frise originale, sculptée par les magdaléniens, ne pouvait pas être accessible au grand public. Par contre des copies, issues du moulage direct ou d'une empreinte numérique 3D pouvaient être montrées. Mais il fallait une mise en scène qui les rendent attractives et surtout imaginer comment faire vivre cette attraction, raconte René Barré. Nous voulions que le lieu à inventer ne soit pas seulement un site d'accueil touristique, mais aussi un lieu de travaux et de rencontres pour les scientifiques. Il fallait enfin qu'une place soit donnée à l'imaginaire, à la prise de conscience que ces hommes, si lointains de nous, étaient des sapiens, des gens ouverts à l'art. Car le Roc-aux-Sorciers n'était pas un lieu de culte fréquenté épisodiquement comme le sont souvent les grottes ornées. Ici, les abris, dont la voûte a été sculptée, étaient des espaces de vie. Il a donc fallu combiner tous ces facteurs et pour cela faire admettre l'idée que la communauté de communes serait non seulement partie prenante mais maître d'ouvrage. L'échelle de la communauté de communes était intéressante pour un projet touchant à un groupe culturel ancien."

Le Centre d'interprétation partage son parking avec la salle des fêtes municipale

A un jet de pierre du vieux château, en bordure de la "ville haute", le site du Roc-aux-Sorciers a ouvert ses portes en mars 2008. Sur la falaise dominant l'Anglin, la commune d'Angles possédait un terrain d'un demi-hectare aménagé en camping. Elle l'a mis à la disposition de la communauté pour y implanter le Centre d'interprétation. "Le premier parti d'aménagement du site est l'absence de cars ou de voitures dans la proximité immédiate du centre, explique son directeur, Oscar Fuentes. Pour que le Centre d'interprétation soit intégré à la vie du village, il partage l'espace parking de la salle des fêtes municipale." Un mois après son ouverture, le centre avait déjà accueilli 3.400 visiteurs, dépassant toutes les attentes. Guidant un groupe, Oscar Fuentes ouvre la marche vers la falaise. A chaque arrêt, il livre son  initiation à la civilisation de l'âge du renne. Bientôt, sur la droite, un bloc de vingt mètres de large par dix de profondeur. Sous un auvent évoquant un abri sous roche, se présente le fac-similé de la frise exhumée. Découpée en caissons qui permettent de mieux percevoir les figures, la frise s'étend telle une procession : bouquetins, chevaux, bisons. De son faisceau laser, le guide pointe les modelés, les regrattages, les figures effacées puis recouvertes. Une demi-heure plus tard, les visiteurs pénètrent à l'intérieur du bâtiment. Dans le noir absolu, sur vingt mètres de long, la frise est là de nouveau, dans sa version numérisée.

Le produit phare du projet d'aménagement touristique intercommunal

"Le projet a coûté 2,5 millions d'euros", explique Aurélie Bridier, directrice de la communauté de communes, financés par le conseil régional (571.596 euros), le conseil général (510.380 euros), le Feder (625.000 euros), L'Etat (DDR : 250.000 euros), la Fondation Crédit agricole (20.000 euros) et la communauté de communes (523.024 euros).  Maître d'ouvrage, l'intercommunalité a élaboré un cahier des charges conforme à ses projets. Elle a confié la maîtrise d'oeuvre à un cabinet pluridisciplinaire (paysagiste, architecte, scénographe et concepteur). La gestion du Centre a été confiée à une société privée, la Sarl Roc-aux-Sorciers, qui a contracté une délégation de service public. Elle emploie cinq personnes et verse à la communauté un pourcentage sur chaque billet vendu. Mais le principal du retour sur investissement ne se situe pas là.  Pour les élus de la communauté de communes, présidée aujourd'hui par Bernard Doury, un effort aussi exceptionnel s'explique par le fait que le Roc-aux-Sorciers constitue le produit phare dans la mise en place d'un projet d'aménagement touristique au niveau de l'intercommunalité toute entière. Des lieux de restauration/hébergement sont en cours de rénovation ou en création sur d'autres communes. L'objectif est de répartir les revenus de la fréquentation touristique sur tout le territoire.

François Poulle, pour la rubrique Expériences des sites Mairie-conseils et Localtis

Communauté de communes Vals de Gartempe et Creuse

27 avenue Jourde
86450 Pleumartin
info@vals-gartempe-creuse.com

Aurélie Bridier

Directrice

Bernard Doury

Président

René Barré

Maire de La Roche-Posay, ancien président de la communauté de communes

Centre Interprétation Rocs-aux-Sorciers

2 route des Certeaux
86260 Angles/l'Anglin

Fuentes Oscar

Directeur

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