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Petite enfance / Laïcité - L'Assemblée ne votera pas la proposition de loi sur la laïcité dans les crèches privées

Il y a quelques jours, la commission des lois de l'Assemblée nationale adoptait, dans un climat consensuel - et avec le soutien de tous les groupes -, la proposition de loi "visant à étendre l'obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité" (voir notre article ci-contre du 6 mars 2015). Ce texte, déjà adopté en première lecture par le Sénat le 17 janvier 2012, devait en principe être adopté en séance par les députés le 12 mars.

Renvoi en commission

Il n'en sera finalement rien et le texte devrait faire l'objet d'un renvoi en commission, en vue d'un éventuel retour devant les députés. Selon l'entourage du Premier ministre, la proposition de loi pourrait revenir devant l'Assemblée au mois de mai. La situation est pour le moins paradoxale, puisque la proposition de loi émane du groupe RDSE du Sénat, composé principalement des Radicaux de gauche, membres de la majorité gouvernementale. Elle a reçu le soutien du groupe socialiste au Sénat et en commission des lois de l'Assemblée, à l'exception de quelques rares individualités, comme le député des Bouches-du-Rhône Patrick Mennucci. Enfin, le texte avait le soutien de l'opposition. Et finalement, le groupe socialiste ou le RDSE déposera lui-même, moins d'une semaine après l'adoption en commission, une motion de renvoi en commission...
Les raisons de ce revirement spectaculaire sont multiples. Certaines sont d'ordre juridique. Le texte présente en effet des risques constitutionnels, même si la commission des lois en a retiré la disposition relative à la neutralité religieuse des assistantes maternelles - adoptée par le Sénat -, qui courrait droit à une censure du Conseil constitutionnel (voir notre article ci-contre du 6 mars 2015 sur le contenu de la proposition de loi et sur les modifications apportées par la commission des lois).

Les religions montent au front

Mais les raisons de ce revirement sont avant tout politiques. Avec une question de calendrier tout d'abord. S'exprimant, le 10 mars, juste avant la réunion du groupe socialiste sur la question, Bruno Le Roux, son président, a ainsi indiqué regretter l'inscription de ce texte "dans cette période officielle de campagne électorale d'un texte dont on voit bien que juridiquement il ne pose pas de grandes difficultés, mais soulève de grands débats qui sont quelquefois loin de la réalité". En d'autres termes, "la période me semble mal adaptée pour un examen serein".
Le texte a en effet soulevé une levée de boucliers qui n'a pas échappé aux députés. Sans surprise, la Conférence des évêques de France avait ainsi réagi dès la semaine dernière, en pointant une proposition qui "n'est pas du tout dans l'esprit de la loi de 1905" portant séparation des Eglises et de l'Etat et présente donc "un danger". Plus virulent, l'Observatoire contre l'islamophobie - rattaché au Conseil français du culte musulman (CFCM) - a dénoncé, le 10 mars, "une vision totalitaire et extrémiste de la laïcité, [qui,] au mépris de la tolérance et de l'intelligence met en danger l'esprit du vivre-ensemble porté par les citoyens de France le 11 janvier dernier".

"Arrêter cette mécanique infernale"

Plus inattendue, la dénonciation la plus cinglante est venue de l'Observatoire de la laïcité, rattaché au Premier ministre. Son président, Jean-Louis Bianco, a jugé le texte "extraordinairement dangereux ; on met le doigt dans un engrenage". Dans un communiqué, l'ancien ministre socialiste estime qu'"imposer une neutralité générale et absolue pourrait être contre-productif et contrevenir aux principes constitutionnels et de la Convention européenne des droits de l'Homme d'égalité et de liberté de conscience".
Le président de l'Observatoire de la laïcité a également affirmé à l'AFP que "l'étape suivante, ce sera les mamans accompagnatrices de sorties scolaires, puis le débat sur le voile à l'université, ensuite la menace d'une stricte neutralité pour les usagers du service public, voire la neutralité en entreprise". Conclusion de Jean-Louis Bianco : "J'espère vraiment qu'on va arrêter cette mécanique infernale". Apparemment, le message a été entendu...

Jean-Noël Escudié / PCA

Références : proposition de loi visant à étendre l'obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité (adoptée en première lecture par le Sénat le 17 janvier 2012, examinée en séance publique par l'Assemblée nationale le 12 mars 2015).

 

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