Laurent Bonnaterre : "Nous allons ouvrir le chantier de la complémentarité des métiers de l'animation"

Un an après la publication de la feuille de route "Pour un renouveau de l'animation dans les accueils collectifs de mineurs", et alors que le comité de filière Animation a été installé en octobre 2022, son président Laurent Bonnaterre, maire de Caudebec-lès-Elbeuf (Seine-Maritime), revient pour Localtis sur ses premiers travaux et les premières solutions débattues.

Localtis - Quels constats ont amené, il y a un an, le secrétariat d'État à la Jeunesse à lancer un grand chantier autour du secteur de l'animation ?

Laurent Bonnaterre - À cette époque, j'étais déjà maire et employeur d'une cinquantaine d'animateurs. Je constatais sur le terrain la même chose que les autres employeurs publics, associatifs, privés. À savoir qu'après le covid, sans doute par la mise en lumière de quelque chose que l'on pressentait auparavant mais que nous n'avions pas vue avec autant d'acuité, nous constations une immense difficulté de recrutement. En octobre 2021, une étude nous alertait d'une telle difficulté pour 80% des opérateurs. On chiffrait alors en moyenne la pénurie entre 10% et 20% selon les périodes. Le déclencheur numéro un, c'est donc la pénurie de main-d'œuvre. On voyait moins de candidats et d'un niveau qualitatif un peu en baisse. Le nombre de diplômés du Bafa (Brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur, ndlr) avait également régressé, même si on remonte un peu depuis deux ans.

Combien de personnes travaillent actuellement dans cette filière ?

Il y a une vraie difficulté à chiffrer, nous avons d'ailleurs un groupe de travail spécifique sur la statistique et la donnée au sein du comité de filière, car c'est un milieu qui a du mal à se mesurer. On compte entre 350.000 et 450.000 animateurs. Mais la difficulté - et ce qui fait la richesse de ces métiers - est que si j'ai, par exemple, des animateurs dans ma collectivité facilement car ils sont là depuis longtemps et feront probablement toute leur carrière dans l'animation, d'autres ne vont faire que quelques années d'animation sous statut contractuel, que l'on peut aussi compter, et d'autres encore ne vont faire que deux mois d'été en format Bafa ou quelques semaines de remplacement. L'enjeu de la stabilisation de la statistique est donc pour nous fondamental.

Qui compose ce comité de filière Animation ?

Toutes les associations de collectivités sont présentes mais elles sont minoritaires dans ce comité dont le cœur est constitué des professionnels au sens large. Nous avons donc les employeurs, les grandes associations d'éducation populaire, mais également les représentants des syndicats de salariés, les représentants de professionnels, comme les directeurs de centres de loisirs, ainsi que les organismes qui concourent à l'organisation de la filière (Fonjep, Cnajep…). Le principal financeur, la Cnaf, n'est pas dans le comité de filière, mais c'est évidemment un de nos interlocuteurs principaux. Entre octobre 2022 et janvier 2023, une grosse partie de mon travail, avec l'équipe qui m'entoure, a consisté à consolider le tour de table pour qu'on soit tous à bord.

Quels sont les sujets prioritaires sur lesquels vous avez commencé à travailler pour améliorer les recrutements de la filière ?

Il y en a plusieurs. Le plus impalpable, c'est celui portant sur la reconnaissance. En parallèle du travail que je mène au niveau national, à Paris, je vais toutes les semaines sur le terrain, je fais des déplacements dans toute la France, et le mot que j'entends le plus souvent est reconnaissance. Mais on s'attaque aussi à d'autres sujets : recrutement, formation, place du Bafa, que l'on a élargi et dont on a renforcé le financement. Toutefois, nos considérons qu'un professionnel qui a décidé de faire sa carrière dans l'animation ne peut pas se contenter durablement du seul Bafa. La formation nécessite d'avoir des moyens de financement, mais aussi de laisser partir un animateur plusieurs semaines ou plusieurs mois, ce qui est très compliqué dans une petite structure de cinq, six ou huit animateurs. La question du temps fragmenté est un autre sujet. Les AESH (Accompagnants d'élèves en situation de handicap) sont un métier que l'on regarde beaucoup. Il n'est pas normal qu'il y ait autant de métiers fragmentés qui se côtoient sans trouver des passerelles.

Comment cela fonctionnerait-il ?

Quelqu'un qui vient faire quelques heures par le biais d'une association pour le compte d'une collectivité doit pouvoir, par un système simple, trouver des complémentarités. Dans mes équipes, j'ai quelques animateurs qui ont réussi. Mais en tant que salarié, si vous faites vous-même votre panel d'employeurs, cela marche beaucoup moins bien, il y a beaucoup plus de conflits d'agenda que si un employeur unique vous met à disposition de plusieurs structures et de plusieurs métiers. C'est un enjeu fondamental pour nous.

Aujourd'hui les AESH sont principalement employés par l'Éducation nationale sur le temps scolaire alors que vos animateurs sont, par définition, employés hors du temps scolaire. Quelle articulation pourriez-vous trouver ?

C'est à cela qu'on travaille. Nous n'en sommes qu'au tout début, mais nous savons en France employer quelqu'un sur une structure juridique et le mettre à disposition sur la base d'une convention, y compris sur plusieurs lieux et métiers d'exercice. Dans ma commune, des Atsem (Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles ) font de l'animation et viennent d'obtenir le Bafa. On a donc trouvé des passerelles importantes avec du temps d'animation qui leur permet d'avoir des journées moins fragmentées.

La collectivité serait-elle dans ce cas chef de file sur la mise à disposition d'animateurs ?

Beaucoup plaident pour cela, je n'y suis pas du tout hostile mais ce n'est pas arrêté. Nous sommes en discussion avec l'Éducation nationale. Il faut regarder la complémentarité des métiers. Il y a des métiers où elle est assez logique, par exemple avec les animateurs sportifs, mais ils sont souvent pris aux mêmes heures que nos animateurs périscolaires. Alors que l'AESH est par définition aux côtés de l'enfant sur le temps scolaire, et nous, nous aurions besoin de lui hors temps scolaire. C'est là qu'il y a une complémentarité forte à trouver. Vous imaginez bien que travailler sur ce type d'évolution avec l'Éducation nationale est un chantier assez lourd, mais on ne le repousse pas du tout, on va vraiment l'ouvrir. Par ailleurs, les AESH sont également un métier qui a besoin de reconnaissance et de complément de temps de travail.

Au-delà du Bafa, y a-t-il un manque de structuration de la filière en matière de formation ?

Tous les diplômes ne sont pas connus, mais cela commence à se structurer, des offres nouvelles apparaissent, il y a une réforme en cours. Mais le principal sujet pour les employeurs est de savoir qui finance la formation et comment on libère les animateurs.

Vous avez tenu une réunion du bureau de la filière Animation ce 30 janvier. Quelles en ont été les principales décisions ?

La décision la plus importante a été de nous positionner sur un premier bilan de nos groupes de travail, de nous mettre d'accord sur un constat partagé. Sur la question du SNU, qui divise les institutions de l'éducation populaire, j'ai réussi à convaincre le bureau que l'on s'autosaisisse de la question lorsque le président de la République aura annoncé une généralisation, car c'est ce qui semble se profiler. Notre secteur d'activité, qui sera fortement impacté et qui a beaucoup à en retirer même si des points de vigilance doivent être remontés, doit s'en saisir. Autre point du constat partagé : le Bafa doit être consolidé et ne peut pas être la seule formation du secteur. Nous sommes aussi d'accord pour renforcer la complémentarité entre Éducation nationale, collectivités et structures employeuses associatives, ainsi que pour mener des expérimentations sur certains territoires. Enfin, un autre sujet sur lequel nous sommes tombés d'accord est le contrat d'engagement éducatif, qui devrait surtout concerner les accueils de mineurs avec hébergement mais qui est très largement utilisé par de nombreuses structures alors qu'il est dérogatoire au droit commun du travail. Nous savons qu'il faut le réformer et en réduire le champ, mais on ne peut pas expliquer à des employeurs qui ont toujours vécu sur ce système que le coût de l'emploi va doubler et qu'on ne va pas les aider. C'est une équation qu'il nous reste à résoudre.

Vous tiendrez une plénière jeudi 2 févier avec la participation de Sarah El Haïry, secrétaire d'État à la Jeunesse. Quel sera votre agenda au-delà ?

Tous ceux qui nous observent considèrent qu'on mène un travail extrêmement intense. Nous avons aujourd'hui neuf groupes de travail différents qui se réunissent très régulièrement, la participation ne fléchit pas. Notre échéance est fixée à juillet, avec une première conclusion – on verra si elle est définitive, je n'y crois pas trop… – et j'espère que nous aurons pu porter des préconisations fortes avant cette date. Vu la diversité de nos membres, je ne vise pas l'unanimité mais un consensus large sur des résolutions fortes, atteignables et finançables, qu'on puisse porter en tenant compte des outils législatifs existants. J'attends aussi que Sarah El Haïry donne son impulsion politique et oriente l'évolution de notre travail.