Le Cerema a "le changement climatique optimiste"

Auditionné ce 10 avril à l’Assemblée nationale, le directeur général du Cerema a insisté sur la nécessité d’être à la fois lucide sur l’ampleur des changements à venir et confiant sur notre capacité collective à les traiter. À la condition de s’atteler à la tâche "dès aujourd’hui", et à la bonne échelle. Interrogé par ailleurs sur une éventuelle fusion Cerema-Ademe-ANCT, il estime qu’il est, ici, urgent d’attendre.

"Au Cerema, on a le changement climatique optimiste", a répété à l’envi le directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l’aménagement, Pascal Berteaud, auditionné ce 10 avril par la commission du développement durable de l’Assemblée nationale. Non pas qu’il sous-estime l’ampleur des changements à venir et la difficulté d’y faire face. 

Des changements d’ampleur, des problèmes de plus en plus complexes…

Il appelle ainsi à "être lucide" sur les mutations à l’œuvre, invitant par exemple à "réinventer le dispositif assurantiel face à quelque chose qui va être systémique. L’assurance est censée intervenir pour des événements exceptionnels. S’ils reviennent tous les ans, cela ne relève plus d’un système assurantiel", expose-t-il, non sans rejoindre ainsi les conclusions du rapport Langreney-Le Cozannet-Myriam Merad (v. notre article du 2 avril 2024). 

De même concède-t-il que "les problèmes sont de plus en plus complexes. On a affaire à des sujets qu’on n’imaginait même pas il y a une quinzaine d’années". Conséquence, "on a besoin de plus en plus d’ingénierie, et de bon niveau, parce qu’on n’est plus simplement dans la réplication de méthodes qu’on a faites depuis 50 ans ou 100 ans, mais dans l’invention de nouvelles méthodes". "Cela suppose qu’on arrive à mobiliser tous les moyens, à la fois d’ingénierie publique et privée", explique-t-il, en confessant que la règle qu’il a fixée, "c’est que quand l’ingénierie privée peut répondre, le Cerema se retire et va faire autre chose". Il relève de même que, toujours afin de concentrer les moyens, "on a fait le choix de ne garder que les sujets sur lesquels il y avait un vrai enjeu en matière de politiques publiques et où on a une vraie expertise – en gros, où on est bon –, ce qui nous a amenés à diviser par trois le champ d’activité du Cerema". À l’inverse, considérant "le rôle de passeur de savoirs" de l’établissement "entre la recherche et l’application sur terrain", le choix a été fait d’y "créer une activité de recherche" – "une douzaine d’équipes". "Pour être proche de la recherche, il faut en faire soi-même", estime le dirigeant.

… mais une confiance affirmée…

Pour autant, Pascal Berteaud se dit "très confiant dans notre capacité collective à traiter" ces changements. "Derrière chacune des conséquences du changement climatique, il existe aujourd’hui des solutions ; et dans les années qui viennent, on va sans doute en inventer d’autres", assure-t-il. Et d’ajouter qu’"à chaque fois qu’on travaille dans le détail avec les élus, on arrive à bâtir des projets sur quasiment tous les territoires et sur tous les sujets, on trouve des solutions quand on se retrousse les manches".

… pour peu qu’on agisse dès maintenant…

Un optimisme qui tient toutefois à une condition : la chasse à la procrastination. "Le grand avantage, c’est qu’on est sur du temps long. Les conséquences sont énormes, mais on a largement de quoi s’adapter. Le sujet, c’est de commencer dès aujourd’hui. Si on attend vingt ans de se retrouver au pied du mur, pour le coup ce sera quelque chose de vraiment très très catastrophique. Mais si on s’y prend aujourd’hui, on a effectivement une chance que cela ne se passe pas si mal que cela", croit-il. Pour justifier cette nécessaire action sans délai, il prend l’exemple du littoral face à l’érosion côtière, ou celui des stations de montagne, "dont la moitié n’auront plus d’enneigement dans environ cinquante ans", en prévenant que si "on reste dans le déni, ce sera très difficile le jour où on sera au pied du mur". C’est encore le cas selon lui avec la lutte contre l’artificialisation des terres – le ZAN –, "qui répond à une question posée depuis des années". Si Pascal Berteaud est conscient des difficultés que cela pose, "à un moment, il faut y aller !", exhorte-t-il. Il invite ainsi les élus "à plonger" et "à commencer par mettre en œuvre la loi" plutôt qu’à remettre cette dernière une nouvelle fois sur le métier, "même s’il y a sans doute encore des choses à changer". Et d’avertir : "Sinon, dans quarante ans, on y sera encore". 

… et à la bonne échelle

À condition également de trouver la bonne échelle, question qu’il qualifie d’"absolument majeure". Et de prendre l’exemple des programmes "Ponts" 1 et 2, déplorant que toutes les communes concernées – "les 28.000" petites communes – n’y aient pas répondu alors qu’ "on a vraiment tout fait pour [les] joindre. Cela interpelle sur quel est le bon périmètre" (v. notre article du 14 mars). Une question dont il relève qu’elle est "également majeure pour la compétence eau" (sujet qui fait toujours débat – v. par exemple notre article du 12 juin 2023) ou pour le ZAN. "Après, la vraie question qu’il y a derrière cela, c’est est-ce qu’il doit y avoir qu’une seule tête et selon les sujets, le découpage est toujours le même, ou est-ce qu’on peut avoir des découpages différents ?". S’il indique que "le Cerema ne peut pas avoir d’avis là-dessus", l’ancien directeur de l’eau indique néanmoins que "des communes isolées pour la gestion de l’eau, franchement c’est prendre un énorme risque".

Le territoire, pour un repas à la carte

Si l’on pressent que le périmètre doit selon lui varier en fonction des sujets, une chose semble certaine : l’échelle est nécessairement territoriale. "Quand j’ai rejoint il y a six ans le Cerema, ce dernier travaillait quasi exclusivement pour l’administration centrale, sur des sujets qui sont à 100% des sujets de territoires. On a assez largement retourné le système", se félicite-t-il. Il indique notamment qu’à la demande de la ministre chargée des collectivités territoriales, Dominique Faure, il est en train de mettre en place "une personne du Cerema dans les 20 départements les plus ruraux pour être un échelon avancé" de ce dernier, et "monter des grappes de projets", autrement dit agréger des projets "d’une dizaine de petites collectivités" permettant ainsi "d’envoyer des experts, etc.". Évoquant par ailleurs le fonds vert, il avoue que si "le choix d’une gestion déconcentrée n’est pas toujours très simple pour des organisations comme la nôtre, cela nous a conduits à changer notre façon de travailler et ce n’est pas plus mal comme ça". Sébastien Dupray, à la tête de la direction technique Risques, eaux, mer du Cerema, confirme en évoquant le sujet particulier des digues : "L’enjeu, c’est de prendre conscience qu’il n’y a pas qu’une seule solution. […] La réponse doit être locale", y compris "les processus de décision".

  • Fusion Cerema-ANCT-Ademe : urgent d’attendre

Sans surprise, à l’heure de la nécessaire résorption des déficits publics, le sujet d’une éventuelle fusion entre le Cerema, l’Ademe et l’ANCT a été à plusieurs reprises mis au menu des discussions par les députés. Pascal Berteaud l’estime évidente à moyen terme, et se déclare même "persuadé qu’on y arrivera un jour". Si l’on partait aujourd’hui d’une feuille blanche, "il est évident que l’on ne ferait qu’un seul établissement", concède-t-il. Il relève encore qu’il a "du mal à être contre" un tel regroupement, "puisque le Cerema est lui-même né d’une fusion, il y a dix ans, de onze services de l’État. Faire des fusions, on sait ce que c'est". C’est d’ailleurs précisément cette expérience qui le conduit à considérer qu’il est, cette fois, urgent d’attendre : "On n’est pas mûrs". Relevant qu’il a fallu "huit ans pour fusionner ces 11 services", qui partageaient pourtant "la même culture", il pointe les différences de gouvernance entre le Cerema, où elle est "partagée entre l’État et les collectivités", et l’Ademe, qui dépend "à 100% de l’État", mais aussi juridiques : le Cerema est un établissement public à caractère administratif, avec des fonctionnaires ; l’Ademe est un établissement à caractère industriel et commercial, avec des collaborateurs sous statut privé. Il met également en exergue "des métiers assez différents" : "À l’Ademe, le métier dominant, c’est distribuer de l’argent […]. Au Cerema, c’est l’expertise" – la "maison de l’ingénieur", a-t-il vanté en préambule, alors qu’il observe "une culture plus militante à l’Ademe". Si Pascal Berthaud juge "qu’aucune de ces questions n’est rédhibitoire", il considère qu’une telle fusion "prendrait énormément de temps. Or, pendant que l’on fait ça, on ne fait pas autre chose", prévient-il. Lui préfère aussi "rapprocher les troupes" – vantant à son tour "les comités de direction communs avec l’Ademe tous les trois mois" (v. notre article du 14 février) – et réduire ainsi progressivement "le gap pour une fusion".

Le fonctionnaire est moins disert sur l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), qu’il évoque néanmoins par la bande : "Nous avons tous fait collectivement une grosse bêtise, qui était de supprimer l’ingénierie publique des DDE et des DDA. À un moment peut-être faut-il simplement avoir le courage de reconnaitre qu’on a fait une grosse connerie – tous collectivement en plus – et recréer cela, pas forcément dans tous les départements, évidemment pas sous la même forme". D’autant qu’il estime que "ce n’est pas si compliqué que cela", en relevant qu’aujourd’hui, "avec les différents programmes – Cœur de ville, Petites villes de demain, les programmes de l’Ademe […] –, on subventionne plus de 3.000 chargés de mission dans les collectivités. Avec une vraie difficulté : c’est évidemment souvent des jeunes, et le problème c’est que ces personnes sont toutes seules […]. Or un jeune, s’il n’est pas encadré, s’il n’est pas au sein d’une équipe, il n’apprend pas son métier". Et de conclure : "La question, assez paradoxalement, n’est pas tellement celle des moyens – car en subventionnant 3.000 personnes, c’est largement plus qu’il n’en faut –, elle est sur l’organisation des moyens, de faire en sorte qu’il y n’ait pas des gens émiettés un peu partout". À n’en point douter, lui les verrait bien réunis au sein du Cerema…