Le Conseil d’État pose des limites à la dématérialisation imposée

Dans une décision et un avis portant sur la dématérialisation des demandes de titre de séjour, le Conseil d’État pose des limites aux téléprocédures. Il demande au gouvernement de proposer une solution alternative à la formalité en ligne compte tenu de la sensibilité de la démarche.

Plusieurs associations d’aide aux étrangers avaient demandé l’annulation du décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 et des arrêtés associés faisant obligation aux étrangers de recourir à une téléprocédure pour prendre rendez-vous et effectuer une demande de titre de séjour. Les tribunaux administratifs de Montreuil et Versailles se sont tournés vers le Conseil d’État pour solliciter son avis sur cette demande d’annulation.

Tenir compte de l’illectronisme

Dans une décision et un avis du 3 juin 2022, le Conseil d’État donne en partie raison au ministère de l’Intérieur. Ainsi, "l’obligation d’avoir recours à un téléservice pour l’accomplissement de démarches administratives auprès de l’État peut être instaurée par le gouvernement", "aucun droit ou principe constitutionnel ne s’y opposant". Néanmoins, la haute juridiction assortit cette obligation de plusieurs conditions. L’obligation de recourir à un téléservice ne peut être imposée "que si l’accès normal des usagers au service public et l’exercice effectif de leurs droits sont garantis". Plus précisément, l’administration doit "tenir compte de la nature de la démarche qui est dématérialisée, et de son degré de complexité, des caractéristiques de l’outil numérique proposé, ainsi que de celles du public concerné – notamment des difficultés d’accès ou d’utilisation des services en ligne".

Proposer une solution de substitution

Le Conseil d’État rejoint ensuite le Défenseur des droits (notre article du 16 février 2022) en demandant "une solution de substitution" pour "certaines démarches particulièrement complexes et sensibles". Une caractéristique qui s’applique pleinement aux demandes de titres de séjour. En conséquence, le gouvernement est invité à revoir sa copie en mettant en place un "accompagnement des usagers" et "une solution de substitution" pour les personnes incapables d’utiliser les outils numériques. Si l’accompagnement existe – notamment via les Maisons France services et les conseillers numériques France services –, le Conseil d’État relève que la procédure de substitution fait défaut. Il invite donc le gouvernement à modifier les textes pour la créer. Ces conditions, précisent les juges, "visent à prendre en compte les caractéristiques et situations particulières des étrangers demandant un titre de séjour, qui pourraient perdre le droit de se maintenir sur le territoire si leur demande n’était pas enregistrée".

On notera enfin que cet arrêt considère qu’une prise de rendez-vous en ligne tout comme le dépôt de pièces justificatives sur une plateforme constituent un téléservice au même titre que le remplissage d’un formulaire en ligne, avec des exigences d’accessibilité qui sont donc identiques.