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Le député Jean-Noël Barrot plaide pour un "droit à la reconversion des territoires"

Auteur du rapport "Accélérer le rebond économique des territoires" remis au Premier ministre en juin, le député Modem des Yvelines Jean-Noël Barrot revient pour Localtis sur la situation des territoires au moment de la reprise. Il préconise un "droit à la reconversion des territoires" à l'heure des grandes transitions, notamment écologique. Alors que les différents zonages "n'ont pas eu les effets escomptés", estime-t-il, le "contrat de relance et de transitions écologique" doit être le périmètre de nouvelles relations entre l'État et le bloc communal en matière de développement économique. À l'intérieur de ce périmètre, les territoires qui subiront le plus fortement ces transitions devront faire l'objet d'un soutien spécifique.

Localtis - Cinq mois après avoir remis au Premier ministre votre rapport "Accélérer le rebond économique des territoires", vous poursuivez vos déplacements. Quelle situation observez-vous aujourd’hui ?

Jean-Noël Barrot - Tout d’abord, je me réjouis que certaines préconisations du rapport de la mission aient trouvé un écho. C’est le cas du fonds Friches qui, après avoir été doublé (de 350 à 600 millions d’euros), a été pérennisé suite aux annonces du président de la République, lors des rencontres Action cœur de ville au mois de septembre. Une autre annonce : dans certains territoires un peu en déprise, il fallait un outil d’aide à la création d’entreprise pour les jeunes. C’est ce qui a été fait dans le plan "Marseille en grand" présenté par le président de la République.
Dans les territoires, la reprise est là, très vigoureuse. Ce qui a des effets sur les entreprises qui sont confrontées à des effets collatéraux, des difficultés de recrutement et d’approvisionnement, y compris en matière d’emballages de cartons. J’étais il y a quelques semaines dans les Pyrénées-Orientales pour visiter la confiserie du Tech, une PME familiale de confection et de distribution de confiseries catalanes. Ses responsables témoignaient de l’augmentation de l’ensemble des prix de consommation intermédiaire jusqu’au prix du carton qui augmente de façon assez forte, car certains acteurs du secteur ont fait des stocks pour éviter d’en manquer…

Vous parlez des difficultés de recrutement, liées parfois à la mise en place du passe sanitaire. D’autres sont plus structurelles, comme dans l’industrie. Qu’est-ce que l’État et les régions peuvent faire ?

Nous avons d’une part la réforme de l’assurance chômage qui entre en vigueur et qui va réorienter les incitations vers le retour sur le marché du travail. D’autre part, le Premier ministre et la ministre du Travail, Élisabeth Borne, ont lancé le grand plan de formation des demandeurs d’emplois très éloignés du marché du travail, auquel s’ajoute le contrat d’engagement pour les jeunes avec pour but d’aller vers 500.000 jeunes très éloignés du travail. On joue à la fois sur les incitations et sur la montée en compétences des publics très éloignés. Il y a aussi la question des rémunérations : un certain nombre de branches ont lancé des discussions. Dans un secteur comme l’hôtellerie-cafés-restauration, qui est parmi ceux qui connaissent les plus fortes difficultés de recrutement, on peut espérer une revalorisation de 10% en moyenne des rémunérations. J’ai également proposé la défiscalisation des pourboires par carte bancaire pour faire en sorte que ces bonnes habitudes reviennent. L’idée a été reprise par le président de la République à Lyon, le 27 septembre. Le groupe Modem a fait voter un amendement au projet de loi de finances pour 2022 pour permettre cette défiscalisation.

Sur la mise en place de la relance, deux grandes tendances sont ressorties du Congrès des maires la semaine dernière : les élus ont mis en place de nouvelles formes de coopération entre eux et avec le secteur privé, par contre beaucoup de maires de petites communes s’estiment lésés par les politiques d’appels à projets. La mise en place des nouveaux contrats de relance et de transitions écologique (CRTE) n’aurait toujours pas changé la donne…

Il y a effectivement une vraie question d’ingénierie qui est posée, avec une acuité particulière dans le cadre de la relance. Un certain nombre de dispositifs nouveaux sont lancés très rapidement et leur appropriation est encore plus difficile pour les communes de petite taille ou moins équipées en services d’ingénierie. Ce sont des points que nous avions soulignés dans le rapport. J’ai la satisfaction de constater que le volontariat territorial en administration (VTA) est en train de monter en puissance : 800 VTA viendront en soutien à ces petites collectivités d’ici à 2022. Le rapport de la mission soulignait aussi l’importance d’affecter des hauts fonctionnaires, comme les sous-préfets à la relance, dans les territoires où l’ingénierie fait défaut. On a souligné qu’en réalité, il y avait beaucoup d’offres d’ingénierie, l’objectif est de les rendre plus facilement accessibles, y compris via des outils numériques, des plateformes recensant cette offre, qu’elle provienne de l’ANCT, du Cerema, etc. ou d'un type un peu plus nouveau, comme les VTA.
Vous avez assez peu d’élus locaux qui soient très critiques envers cette logique nouvelle de contractualisation qui passe par Action cœur de ville, Petites Villes de demain, les Territoires d’industrie, les pactes territoriaux comme le Sambre-Avesnois-Thiérache, dans les Hauts-de-France, où le président de la République s’est rendu vendredi pour lancer la deuxième phase, et les CRTE. Pourquoi ces logiques nouvelles sont-elles bien acceptées par les élus ? Parce qu’elles s’opposent aux logiques anciennes de zonages et s’appuient sur un dialogue des acteurs du territoire. L’État apporte une labellisation, des financements. La logique me semble être la bonne.

Et sur les coopérations entre les collectivités, comment voyez-vous l’avenir ?

Dans l’urgence des premières semaines de crise s’est constitué un capital territorial à partir des relations entre État, élus locaux et responsables économiques. Ce capital est très précieux. C’est lorsque ces acteurs se coordonnent que l’on arrive à engager le territoire dans une trajectoire de prospérité.
Dans le rapport, il y avait l’idée de créer un "droit à la reconversion des territoires", un peu comme les personnes qui, en cours de carrière, aspirent à un changement. Il s’agirait d’un droit à pouvoir réparer ce qui s’est brisé sur un territoire pris par surprise, par un choc industriel, la fermeture d’établissements… Avec les grandes transitions en cours, notamment la transition écologique, certains territoires sont mis à rude épreuve. Alors comment anticiper ce droit à la reconversion ? Il s’agit de faire converger les deux logiques : la logique des anciens zonages très descendante, très jacobine, qui permettait à l’État d’ouvrir des exonérations, des dérogations aux territoires en risque de déclin, avec la logique nouvelle, celle des contractualisations, beaucoup plus ascendante. Cette logique procède du projet de territoire. Le périmètre des CRTE peut servir de maille géographique pour repenser la manière dont l’État et le bloc communal et intercommunal peuvent coopérer sur le plan économique. Les zonages n’ont pas produit les résultats escomptés. Dans les périmètres des CRTE, les territoires qui ont ou vont subir des chocs importants pourraient bénéficier d’un pack rebond en plus du contrat, avec un accès privilégié à de l’ingénierie, aux fonds européens, à des dérogations supplémentaires, sur la base d’indicateurs partagés.

De quels indicateurs par exemple ?

Selon la spécialisation industrielle d’un territoire, l’émission de CO2 par emploi va varier de manière très nette. Les informations sont encore peu connues. Des travaux vont commencer sur ces sujets. Dans les prochains mois, on aura une cartographie de ces différences territoriales. Cela ne veut pas dire qu’un territoire qui émet beaucoup de CO2 sera immédiatement en difficulté. Mais dès lors que, collectivement, on choisit de faire baisser les gaz à effet de serre, il faut veiller à ce que ces efforts ne conduisent pas à une fragilisation territoriale.