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Terrorisme - Le gouvernement renforce les pouvoirs de la police et du parquet

Le gouvernement a saisi, mercredi 6 janvier 2016, le Conseil d'Etat d'un projet de loi pénal renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, dont les grandes orientations ont été présentées par la garde des Sceaux en conseil des ministres et par le Premier ministre devant la presse le 23 décembre 2015, ont indiqué les services du Premier ministre dans un communiqué. Selon le texte, dévoilé le 5 janvier par Le Monde, il s'agit d'adapter "notre dispositif législatif de lutte contre le crime organisé (...) et le terrorisme" afin de "renforcer de façon pérenne les outils et moyens mis à la disposition des autorités administratives et judiciaires", en dehors du cadre temporaire de l'état d'urgence instauré après les attentats parisiens du 13 novembre qui ont fait 130 morts.
Lors de son audition par la mission d'information relative à la réforme de la procédure pénale de l'Assemblée nationale mardi 5 janvier, Robert Gelli, directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, est revenu sur la genèse de ce texte. Il a rappelé que ce projet de loi, évoqué par Manuel Valls en octobre 2015, était "quasiment bouclé le 13 novembre 2015. Les attentats ont conduit à le modifier de façon à pouvoir aussi répondre à un certain nombre de problématiques liées à la lutte contre la criminalité organisée, le terrorisme et son financement". Le texte a donc été "un peu modifié, diminué par rapport au texte initial pour être plus resserré et comprendre d'autres dispositions provenant du ministère des Finances sur le financement du terrorisme et le ministère de l'Intérieur pour améliorer des dispositions de contrôle". 

"Irresponsabilité pénale" en raison de "l'état de nécessité"

Parmi les dispositions les plus marquantes figure un assouplissement des règles d'engagement armé des policiers, une mesure réclamée de longue date par les forces de l'ordre. Le projet de loi dispose ainsi le principe d'une "irresponsabilité pénale" en raison de "l'état de nécessité" pour tout fonctionnaire de police ou gendarme qui "hors cas de légitime défense fait un usage de son arme rendu absolument nécessaire pour mettre hors d'état de nuire une personne venant de commettre un ou plusieurs homicides volontaires et dont il existe des raisons sérieuses et actuelles de penser qu'elle est susceptible de réitérer ces crimes dans un temps très voisin des premiers actes".
Une autre disposition vise les personnes soupçonnées d'avoir fait le jihad en Syrie ou en Irak et de vouloir commettre des attentats en France. Elle renforce le contrôle administratif des personnes "dont il existe des raisons sérieuses de penser qu'elles ont accompli (...) des déplacements à l'étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes (...) dans des conditions susceptibles de les conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de leur retour sur le territoire français". Ces personnes contre lesquelles il n'existe pas aujourd'hui d'éléments suffisants pour les mettre en examen pourraient dans ce cadre être assignées à résidence ou subir des contrôles administratifs, des mesures décidées par le ministère de l'Intérieur. Ces mesures pourraient être suspendues si la personne se soumet à une action de réinsertion et d'acquisition des "valeurs de citoyenneté" dans un centre habilité.

Utilisation de l''Imsi-catcher' pour intercepter des communications 

Le texte élargit la possibilité offerte aux policiers et gendarmes de procéder à des fouilles de bagages et véhicules, sous l'autorité du préfet et non plus du procureur, "aux abords des installations, d'établissements ou d'ouvrages sensibles". Les perquisitions de nuit, jusqu'alors réservées aux juges, pourront désormais être ordonnées dans les enquêtes préliminaires du parquet, y compris dans les logements et même de façon préventive pour "prévenir un risque d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique". Le texte entend également donner au parquet et aux juges d'instruction l'accès à de nouvelles mesures d'investigation en matière de communication électronique et à de nouvelles techniques comme les "'Imsi-catcher', qui interceptent les communications dans un périmètre donné en imitant le fonctionnement d'un relais téléphonique mobile".
Le projet de loi vise aussi à mieux protéger les témoins avec des témoignages sous numéro et en prévoyant le recours au huis clos durant leur témoignage dans certains procès sensibles. La lutte contre le financement du terrorisme sera également facilitée par un encadrement et une traçabilité des cartes prépayées, la possibilité pour Tracfin, organisme antiblanchiment du ministère de l'Economie, de signaler aux banques des opérations et des personnes à risque, et une extension du champ du gel des avoirs. Enfin, une incrimination nouvelle visant à réprimer le trafic des biens culturels sera créée pour éviter que des groupes terroristes syriens ou libyens puissent "recycler sur notre sol le fruit du pillage du patrimoine de l'humanité".

Des garanties pour les citoyens

Le texte comporte un certain nombre de garanties pour les citoyens. Ainsi, il instaure "le débat contradictoire dans les enquêtes préliminaires qui durent plus d'un an", a annoncé Robert Gelli lors de son audition à l'Assemblée. "Une personne mise en cause depuis six mois dans une enquête préliminaire commencée depuis plus d'un an peut demander au procureur de la République de lui communiquer le dossier dans son entier, puis faire des observations sur le fond. Au vu de ces observations qui devront intervenir dans un délai d'un mois, le procureur choisira de classer sans suite, de continuer l'enquête et d'entendre d'autres personnes, d'ouvrir une information judiciaire…" Le projet de loi introduit également des mesures pour poser "des limites sur les écoutes téléphoniques" décidées pendant l'instruction, qui devront notamment être "davantage motivées".
Concernant l'assignation à résidence administrative - qui a fait l'objet de nombreux recours - les services du Premier ministre indiquent que "le gouvernement, conformément à l'avis rendu par le Conseil d'Etat le 17 décembre 2015, a veillé à concilier l'atteinte à la liberté d'aller et venir avec les exigences d'une vie professionnelle et familiale, comme à organiser un degré de contrainte moindre que celle prévue par l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence."

Des simplifications prévues par décret

Robert Gelli a enfin indiqué la préparation, "au-delà de la loi, d'une série de dispositions réglementaires qui correspondent aux attentes formulées notamment par les services de police et très largement partagées par les magistrats". Parmi les "simplifications prévues dans une série de décrets qui accompagnent le projet de loi", il a cité "la possibilité d'avoir un procès-verbal unique adapté notamment pour les contentieux de masse", ainsi qu'un "procès-verbal récapitulatif de garde à vue". "Nous avons également prévu la possibilité de mise sous scellés par les agents de la police technique et scientifique (PTS), qui sont très demandeurs, car la PTS ne pouvait pas procéder à la mise sous scellés sans un officier de police judiciaire", a-t-il poursuivi.
Il a en outre annoncé la préparation d'une circulaire "sur la possibilité pour les procureurs de faire des instructions permanentes d'autorisation de réquisitions". "Aujourd'hui, à chaque fois que les policiers veulent requérir les images de vidéosurveillance d'une ville, ils doivent demander l'autorisation au procureur de la République". Une circulaire du directeur des affaires criminelles et des grâces permettra donc "de donner des instructions permanentes de faire des réquisitions pour accéder aux caméras". Une seconde circulaire permettra la mise en œuvre de "procédures simplifiées" et une "circulaire datée du 23 décembre 2015 définit une nouvelle doctrine d'emploi du traitement en temps réel", a-t-il précisé.

L'adoption du projet de loi en conseil des ministres est prévue début février, avant sa présentation au Parlement.