Le Parlement européen tire le rideau après un florilège de textes

Le Parlement européen a tenu sa dernière session plénière, la semaine dernière, au terme d'une législature particulièrement mouvementée. Au menu : pas moins de 89 textes dont un bon nombre intéressent les collectivités. C'est le cas des nouvelles lignes directrices sur les réseaux transeuropéens de transport (RTE-T), de la révision de la directive sur la qualité de l'air ou encore de la loi sur le déploiement des réseaux à haut débit dans l'Union européenne.

Clap de fin pour le Parlement européen qui a tenu sa dernière session la semaine passée (du 22 au 25 avril), avant les élections du 6 au 9 juin, au terme d'une législature 2019-2024 très mouvementée (Brexit, Covid, Ukraine…). À cette occasion, les députés ont adopté pas moins de 89 textes (un record), dont bon nombre intéressent les collectivités. On retiendra tout particulièrement la mise à jour des lignes directrices du réseau de transports transeuropéens (RTE-T). Ces dernières doivent encore être adoptées par le Conseil avant une entrée en vigueur 20 jours après leur publication du Journal officiel de l'UE. 

Le RTE-T est le grand projet d'interconnexion des réseaux de routes, chemins de fer, aéroports, voies fluviales et maritimes de courte distance à travers l'Europe. L'objectif : créer une zone unique de transport à horizon 2050 (le "réseau global"), avec un objectif intermédiaire prévu en 2040. Mais pour y parvenir, le règlement adopté mercredi 24 avril prévoit que tous les grands projets d'infrastructures ("réseau central") soient achevés avant la fin 2030. 

Proposé par la Commission en 2021, ce règlement tient compte des nouvelles orientations du Pacte vert sur les émissions de carbone et de l'augmentation à venir du trafic (v. notre article du 16 décembre 2021). "Il s'agit de provoquer un choc de report modal en faveur du ferroviaire, de connecter les grands ports et aéroports, de doter l'Union d'une vraie stratégie pour le déploiement des terminaux multimodaux et d'intégrer les grandes métropoles au dispositif", a commenté le Français Dominique Riquet (Renew Europe), rapporteur du texte, lors de la séance. 

Résorber les goulets d'étranglement

Le règlement cherche ainsi à éliminer "'les goulets d'étranglement" en mettant en place "les chaînons manquants en matière d'infrastructures au sein des États membres ainsi qu'entre eux et, le cas échéant, les pays voisins et en tenant compte des négociations en cours avec d'autres pays candidats et candidats potentiels". À cet égard, il répond aux enjeux géopolitiques actuels : suspension des projets d’infrastructures de transport avec la Russie et le Bélarus, alors qu'au contraire ceux avec la Moldavie et l'Ukraine sont renforcés. "Les députés ont convaincu les gouvernements de l’UE de tenir compte des besoins militaires (poids et taille du transport militaire) lors de la construction ou de la modernisation d’infrastructures qui chevauchent les réseaux de transport militaire, afin de garantir le transfert sécurisé des troupes et des équipements", indique le Parlement, dans un communiqué. 

Parmi les grands projets figurent le tunnel Lyon-Turin, la ligne ferroviaire entre Paris et Le Havre, qui permettra de relier Marseille au Bénélux et à l’Irlande, la ligne ferroviaire à grande vitesse Lisbonne-Madrid ou encore le canal Seine Nord Europe, pierre angulaire du contrat de plan État-région signé vendredi dernier dans les Hauts-de-France, avec un budget de 6 milliards d'euros, dont 2,1 en provenance de l'UE. "Quand on transporte quelque-chose par le fluvial au lieu de le transporter par la route, on divise par 5 son empreinte carbone. Et quand on sait que dans notre pays, le fret fluvial ne représente que 2% du total des transports de marchandises, on mesure les marges qu'on est capable de faire", a commenté le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, lors de cette signature.

Même constat avec le fret ferroviaire où les marges de progrès restent très importantes. Entre 2010 et 2020, la part des transports de marchandises par train ou voie fluviale a même diminué, passant de 25 à 23% du total du fret intérieur, avait pointé la Cour des comptes européenne, l'an dernier (voir notre article du 30 mars 2023). 

Fluidifier le fret ferroviaire

Alors pour fluidifier le fret ferroviaire, le règlement prévoit de limiter le temps de passage des frontières à "25 minutes en moyenne". Cette limite ne s'appliquera pas en cas d'écartement des voies différents, comme entre l'Espagne et la France, même si l'Espagne met actuellement les bouchées doubles pour s'aligner sur l'écartement standard (1,435 m.), dans le cadre du corridor méditerranéen. La coexistence d'écartements différents "entrave gravement l'interopérabilité des réseaux ferroviaires dans l'ensemble de l'Union et nuit même à la compétitivité des réseaux ferroviaires isolés", souligne d'ailleurs le règlement, qui demande aux États concernés d'"étudier la conversion des lignes existantes". Et la norme standard devient une obligation pour les nouvelles lignes (exceptés dans les territoires insulaires). Le règlement instaure aussi un système unique de signalisation et de gestion du trafic (ERTMS).

Les colégislateurs ont également cherché à renforcer le volet urbain du RTE-T. Le texte prévoit l’adoption par les collectivités, au plus tard le 31 décembre 2027, d’un plan de mobilité urbaine durable (PMUD) dans les "noeuds urbains", la mise en place de plateformes multimodales d’ici le 31 décembre 2030 et la mise en place, sous réserve d’une analyse socio-économique coûts-avantages, d’au moins un terminal de fret multimodal d’ici le 31 décembre 2040. D'ici fin 2040, les tronçons ferroviaires "reliant les plateformes multimodales pour le transport de passagers de deux nœuds urbains ou les plateformes multimodales pour le transport de passagers d'un nœud urbain à un point de passage frontalier" devront rouler à 160 km/h sur 75% de la longueur du trajet. La vitesse est fixée à 100 km/h pour le transport de marchandise.

Placée au "carrefour des grands axes européens", la région Grand-Est a salué, dans un communiqué, l'adoption du règlement mais dit regretter "fortement" la non-inscription des liaisons ferroviaires transfrontalières Haguenau-Rastatt et Colmar-Freiburg. Ces liaisons dites "missing links" (liaisons manquantes) n'ont pas été retenues "en raison de l'absence de consensus entre l'ensemble des colégislateurs lors de l'adoption du compromis final du texte". Mais la région n'entend pas renoncer et continuera de porter ces projets au niveau européen.

Déploiement du haut débit

Par ailleurs, le Parlement et le Conseil ont tour à tour adopté l'accord interinstitutionnel trouvé le 6 février sur le déploiement des réseaux à haut-débit dans l'Union européenne (Gigabit Infrastructure Act). Le texte sera publié "dans les prochains jours" indique le Conseil, et entrera en vigueur trois jours après la publication. L'un des enjeux de ce règlement est d'accélérer le déploiement à "très haute capacité" tels que la fibre optique et de la 5G et de résorber les écarts de connectivité entre les zones rurales et isolées et les zones urbaines d'ici à 2030. Le règlement vise en particulier à accélérer la délivrance des permis de travaux et de droits de passage dans les États, sans toutefois parvenir à une harmonisation des règles (Localtis y reviendra dans une prochaine édition).

Autres textes définitivement adoptés : le paquet réformant les règles de gouvernance économique de l’UE (voir notre article du 14 février), avec une directive révisant les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres et deux règlements réformant les volets préventif et correctif du pacte de stabilité et de croissance : le règlement révisant la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs et un règlement relatif à la coordination efficace des politiques économiques et à la surveillance budgétaire multilatérale. Le Conseil a à son tour donné son feu vert à ces trois textes, le 29 avril, qui ont été publiés au JOUE le lendemain et sont entrés en vigueur. Au terme de ce paquet, les États membres devront présenter à la Commission en septembre leur premier plan macroéconomique pluriannuel. 

Les députés ont aussi adopté :

- le règlement relatif aux emballages et aux déchets d’emballages, qui impose la réduction de quantité de déchets d’emballages produits par habitant de 5% d’ici 2030, de 10% d’ici 2035 et de 15% d’ici 2040 (vs 2018). Le texte impose notamment un système de consignes pour les bouteilles en plastique et les canettes au plus tard le 1er janvier 2029 pour assurer la collecte séparée d’au moins 90%, en poids, de ces emballages mis à disposition sur le marché. Une exemption sera possible si ce taux est supérieur à 80% en 2026 (voir notre article du 5 mars). Il dispose encore que tous les emballages mis sur le marché devront être recyclables à compter de 2030, avec plusieurs exemptions, notamment pour le bois léger, la cire, la céramique ou la porcelaine. À noter qu’afin de réduire les déchets, les députés ont également adopté une directive visant à promouvoir la réparation des biens d’une part, et un règlement renforçant les exigences en matière d’écoconception d’autre part. Ils ont en outre adopté un règlement relatif à la prévention des pertes de granulés plastiques.

- le règlement sur l'industrie "à zéro émission nette" (voir notre article du 22 novembre 2023), qui vise à favoriser le déploiement industriel de technologies "vertes" nécessaires à l’atteinte des objectifs climatiques européens, en facilitant notamment les procédures d’octroi de permis de construction ou d’extension pour les projets ayant un grand potentiel de décarbonation ou l’accès aux marchés, notamment publics, de ces produits ou services – parmi lesquels figurent les panneaux solaires, les éoliennes, les batteries, les pompes à chaleur ou encore le nucléaire. La constitution de "vallées d’accélération zéro net", dans lesquelles l’octroi de permis sera facilité, sera favorisée afin de renforcer l’attractivité de l’UE et contribuer à la réindustrialisation ;

- la directive sur la qualité de l’air ambiant, qui fixe des limites d’émissions plus strictes pour divers polluants atmosphériques à l’horizon 2030, notamment les particules fines (PM2,5, PM10), le dioxyde d’azote (NO2) et le dioxyde de soufre (SO2), un report de l’échéance de dix ans pouvant être négocié sous conditions. Le texte augmente également le nombre de points de prélèvements. Il facilite par ailleurs les actions en justice et renforce le droit à indemnisation (voir notre article du 21 février) ainsi que la directive sur les polluants des eaux de surface et des eaux souterraines ;

- les révisions de la politique agricole commune (PAC) proposées par la Commission (voir notre article du 19 mars), qui n’avaient précédemment été modifiées qu’à la marge par le Conseil. Ils ont dans le même temps adopté le règlement relatif aux mesures de libéralisation temporaire des échanges avec l’Ukraine, qui suspend les droits de douanes sur les importations ukrainiennes jusqu’en juin 2025 (voir notre article du 23 février).

- la première directive sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, qui impose aux États membres de rendre passibles de sanctions en tant qu’infractions pénales les mutilations génitales, les mariages forcés, la diffusion non consentie en ligne d’images sexuellement explicites, la traque, le cyberharcèlement ou encore l’incitation à la violence ou à la haine en ligne. Il prévoit différentes circonstances aggravantes, notamment lorsque l’infraction a été commise à l’encontre d’une personne parce qu’elle était un représentant public, ou si l’intention était de préserver ou de rétablir le soi-disant "honneur" d’une personne, famille, communauté ou autre groupe similaire. Le texte renforce le soutien aux victimes : il dispose notamment que les États membres veillent "à ce que des professionnels formés pour travailler auprès des enfants apportent leur aide lors des procédures de signalement". Des refuges et autres hébergement provisoires doivent également être mis à disposition "en nombre suffisant" et être "facilement accessibles" ;

- un règlement créant un espace européen des données de santé électronique, permettant aux patients et aux professionnels de santé de le consulter y compris depuis un autre pays de l’UE que le leur ;

- la directive établissant la carte européenne du handicap et la carte européenne de stationnement pour les personnes handicapées, qui permettront à leurs titulaires et accompagnants de bénéficier des mêmes droits que les titulaires de cartes nationales pour les courts séjours ;

- la directive facilitant l’échange transfrontalier d’informations concernant les infractions en matière de sécurité routière, qui élargit notamment les infractions pouvant déclencher une assistance transfrontalière, dont les conditions de mise en œuvre sont par ailleurs renforcées. Y figurent notamment les infractions au stationnement dangereux (n’incluant donc pas le non-paiement des redevances de stationnement) ;

- un règlement relatif à l’interdiction des produits issus du travail forcé sur le marché de l’Union. Les produits concernés devront être recyclés, rendus inutilisables ou donnés. 

Les députés ont enfin donné leur feu vert au retrait de l’Union du traité sur la Charte de l’énergie, jugé "hostile au climat". 

Ainsi s'achève ce cycle de cinq ans. En quelques jours, les députés ont adopté près du cinquième de l'ensemble des textes de la législature. La prochaine séance plénière se tiendra à Strasbourg le 16 juillet, avec une assemblée renouvelée.