Politique agricole commune : la Commission européenne révise sa copie

Pour répondre à la colère des agriculteurs européens, la Commission européenne a, comme elle l’avait annoncé, publié sa proposition de révision de l’actuelle politique agricole commune afin d’alléger la charge pesant sur ces derniers. Elle propose notamment d’assouplir certaines modalités de la conditionnalité des aides et d’exempter de contrôles et de sanctions les petites exploitations.

Alors que la révolte agricole menace à nouveau en France, faute pour le gouvernement d’avoir tenu ses engagements sur le versement des aides de la politique agricole commune (PAC), la Commission européenne vient, comme elle l’avait promis (voir notre article du 2 février), de proposer une révision ciblée de cette dernière afin "d’alléger la charge administrative pesant sur les agriculteurs". Cette proposition législative se veut une réponse "aux centaines de demandes reçues des organisations représentatives des agriculteurs et des États membres", alors que le mouvement traverse toute l’Europe (voir notre article du 19 février). Des demandes qui ne devraient pas se tarir, puisque la Commission a lancé par ailleurs le 7 mars dernier (et jusqu’au 8 avril) une enquête en ligne afin de "comprendre le fardeau imposé aux agriculteurs par les procédures et les règles liées au soutien financier dans le cadre de la PAC, ainsi que par d’autres règles de l’UE en matière d’alimentation et d’agriculture".

La "conditionnalité" revue à la baisse

"La première année d’application concrète de ces règlements [2021/2115 et 2021/2116], par l’intermédiaire des plans stratégiques nationaux (PSN) relevant de la PAC, a clairement montré la nécessité de procéder àcertains ajustements limités du cadre juridique", concède d’emblée la Commission dans son projet de règlement. Elle propose principalement de modifier plusieurs "bonnes conditions agricoles et environnementales" (BCAE) que les agriculteurs doivent respecter pour bénéficier de certaines aides (la "conditionnalité") : 

• celles relatives aux "zones non productives" (BCAE 8) : les agriculteurs ne seraient plus contraints de consacrer une part minimale de leurs terres arables à des zones (terres en jachère) ou éléments (haies, arbres…) non productifs. "La Commission répond à la demande de la France de pérennisation de la dérogation accordée pour 2024" (voir notre article du 13 février), se félicite le ministère français de l’agriculture. Lequel souligne qu’"en contrepartie, les États membres sont tenus de proposer aux agriculteurs de leur pays des options d’écorégime permettant de rémunérer des pratiques qui contribuent aux objectifs de maintien, création d’éléments et surfaces non productifs sur les terres arables, ce que la France propose déjà dans son PSN" ;

• celles relatives à la rotation des cultures (BCAE 7), en permettant aux agriculteurs de satisfaire à cette obligation par une diversification des cultures ;

• celles relatives à l’interdiction de sols nus pendant les périodes sensibles (BCAE 6), dont la Commission reconnaît "qu’elle a engendré des rigidités administratives et une incertitude considérable pour les agriculteurs, qui se réfèrent souvent au 'calendrier agricole', lequel ne tient pas compte de la variabilité (croissante) des conditions climatiques" (en les contraignant par exemple à semer avant une date précise alors que les conditions ne s’y prêtent pas). Elle propose d’octroyer aux États membre davantage de souplesse dans la définition de ces périodes et des pratiques permettant de répondre à cette exigence ;

• celles relatives à l’interdiction de convertir ou de labourer les prairies permanentes des sites Natura 2000 (BCAE 9), en autorisant le labour dans le cas où elles auraient été endommagées par des prédateurs ou des espèces envahissantes.

• Le ministère de l’agriculture souligne également que des modifications des contours de l’obligation du maintien des prairies permanentes (BCAE 1 – prise en compte de la déprise de l’élevage dans le calcul des ratios de référence, prise en compte des surfaces qui ne sont plus déclarées par des agriculteurs qui ne répondent plus au critère d’agriculteur actif à compter de 2023, assouplissement de l’obligation de réimplantation notamment en cas d’artificialisation des terres), accompagnées "en France du passage du suivi des ratios prairies au niveau national", permettront de "lever les contraintes sur les agriculteurs dans les régions concernées : Grand Est, Normandie, Pays de la Loire et Bretagne".

De même, les États membres pourraient exempter certaines cultures, certains types de sol ou certains systèmes d’exploitation agricole du respect d’obligations en matière de travail et de couverture du sol ainsi que de rotation/diversification des cultures. D’autres dérogations temporaires sont également envisagées dans le cas de conditions météorologiques extrêmes. 

Les petites exploitations exemptées de contrôles et de sanctions

Par ailleurs, les exploitations de moins de 10 hectares seraient exemptées des contrôles des sanctions liées au respect des exigences de conditionnalité. "Étant donné que les petits agriculteurs constituent 65 % des bénéficiaires de la PAC, mais ne représentent qu’environ 10% de la surface agricole totale, il s’agit par-là de simplifier la tâche à de nombreux agriculteurs et administrations nationales, sans amoindrir significativement le rôle des exigences en matière de conditionnalité dans la réalisation de leurs objectifs, vu la surface agricole relativement réduite que gèrent les petits agriculteurs", argue la Commission.

À la fois plus et moins de révisions des PSN

Pour favoriser les révisions des PSN, la Commission propose de doubler (2 au lieu d’1) le nombre de modifications que pourraient lui soumettre les États membres par année civile. À l’inverse, les États membres ne seraient plus tenus de mettre à jour automatiquement leurs PSN pour tenir comptes des modifications de certains actes législatifs concernant l’environnement et le climat qui entreront en vigueur après le 31 décembre 2025.

La balle dans le camp du Conseil et du Parlement… et des États membres

Reste désormais aux institutions européennes d’adopter cette révision. "La Commission a travaillé dur pour proposer un ensemble rapide de premières actions concrètes pour répondre aux préoccupations des agriculteurs et des États membres. Il est maintenant de la plus haute importance que le Conseil et le Parlement européen se mettent d’accord sur cette proposition législative en temps opportun", prévient la Commission (la plupart des dispositions prévues seraient rétroactives au 1er janvier). Laquelle prend également le soin de rappeler que la présente PAC est mise en œuvre par les États membres via leurs plans stratégiques et donc que "tout exercice de simplification réussi" implique que les Vingt-Sept "fassent également leur part, utilisent pleinement les nouvelles flexibilités introduites et n’imposent pas d’exigences qui vont au-delà de ce qui est requis par la législation de la PAC".

De son côté, la députée européenne Anne Sander (PPE) – pour qui ces annonces, "si elles sont bien appliquées, devraient libérer les capacités de production" – appelle "à une grande vigilance face au risque de renationalisation de la PAC et à la manière dont la France se saisira de cette nouvelle flexibilité". Hostile à ces assouplissements, France Nature Environnement (FNE) estime pour sa part que "plus les élections européennes approchent, plus les reculs avancent !".

La taille des haies exceptionnellement possible jusqu’au 15 avril

Aux termes de la norme BCAE 8, la taille des haies et/ou de coupe des arbres est normalement interdite entre le 16 mars et le 15 août. Considérant que "depuis octobre, la multiplication des épisodes pluvieux a rendu, dans certains territoires, l’accès aux parcelles agricoles impossible", le ministre de l’Agriculture a toutefois "décidé de mobiliser toutes les marges possibles de la procédure de la force majeure permise par la réglementation européenne" pour y remédier. Dans les zones concernées (une cartographie est arrêtée par la direction départementale territoriale), l’agriculteur pourra effectuer jusqu’au 15 avril, sans en justifier individuellement, des opérations d’entretien et de coupe des haies, arbres et bosquets, "en évitant la destruction de nids d’espèces protégées". "Devant la présence d'un nid ou d’oiseaux protégées dans la haie restant à entretenir, l'exploitant peut se rapprocher de la DDT ou de l'OFB ou identifier des solutions alternatives possibles, ou reporter la taille de ce tronçon de haie après le 15 août", précise ainsi la préfecture de Loir-et-Cher.

Le ministère ajoute que la force majeure sera également mobilisée au titre de la campagne 2024, "dans ces mêmes zones et parce qu’aucun semis hivernal n’a pu être réalisé dans les parcelles", pour la norme BCAE 7 relative à la rotation des cultures sur les terres arables, et pour l’écorégime.