Le Parlement européen veut replacer l’enjeu des ressources propres de l’UE "en haut de l’agenda politique"

Alors que la hausse des taux d’intérêt menace le budget de l’Union européenne, le Parlement européen exhorte le Conseil et la Commission à réviser d’urgence le cadre financier pluriannuel et à dégager rapidement de nouvelles ressources propres pour rembourser le plan de relance. Il entend conjurer le spectre d’une coupe sombre dans les programmes et fonds européens et/ou d’une explosion des contributions des États membres, et donc de leurs contribuables.

"Les finances de l’Union traversent actuellement une période critique." L’alerte émane des parlementaires européens, qui viennent d’adopter le 10 mai en session plénière deux résolutions dans lesquelles ils font part de leur "profonde préoccupation" sur la situation budgétaire de l’Union.

La hausse des taux d’intérêt…

La première s’alarme de l’impact de la hausse des taux d’intérêt sur les remboursements du plan de relance. Le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 a programmé 12,9 milliards d’euros (au prix de 2018, soit 15 milliards en prix courants) sur la période afin de rembourser les (seuls) intérêts de l’emprunt souscrit pour le plan de relance NextGenerationEU (NGEU) – le capital ne commençant à être remboursé qu’à compter de 2028, jusqu’en 2058. Ce montant reposait "sur l’hypothèse d’une augmentation progressive des taux d’intérêt pour les emprunts de 0,55% en 2021 à 1,15% en 2027". Or ils s’élèvent déjà à plus de 3%. En conséquence, "ce serait probablement 15 milliards d’euros [en prix de 2018, ndlr], peut-être même le double que l’on aura payé fin 2027", prédit la députée Valérie Hayer (Renew), se risquant ici à donner un nombre que rechigne toujours à formuler la Commission européenne.

… menace le budget de l’UE

L’inquiétude ne porte pas sur la capacité de l’UE à répondre à ses obligations. L’Union remboursera, "quoi qu’il arrive", rappelle le Parlement. Mais sur l’impact que ce remboursement fera peser sur le budget de l’UE, par ailleurs mis à mal par l’inflation. Les parlementaires redoutent l’utilisation "de la plupart, sinon de la totalité" des marges disponibles au sein du budget, limitées du fait du refus du Conseil à l’époque de placer ces coûts de remboursement au-dessus du plafond du CFP (à gros traits, une réserve entre le budget prévu et les ressources disponibles). Et ce, contrairement à ce que réclamait – et réclame plus que jamais – le Parlement, pour lequel cette mesure permettrait "de réduire la pression sur le CFP, de préserver le financement des programmes déjà approuvés et de garantir une marge de manœuvre suffisante dans le cadre des plafonds pour financer de nouvelles initiatives". Le Parlement invite en conséquence à une "révision urgente et ambitieuse du CFP", qui devrait selon lui être "mise en place avant le 1er janvier 2024". "J’espère qu’en juin, avec la révision à mi-parcours du CFP, une solution à la question du paiement des intérêt de la dette de NGEU sera trouvée", déclare Johan Van Overtveldt (BE, CRE), rapporteur de la résolution. 

L’urgence de nouvelles ressources propres

La solution tient en grande partie, pour ne pas dire plus, dans les fameuses nouvelles "ressources propres" de l’Union. "On les a toujours défendues", rappelle l’élu belge, en observant que "cela évite le ‘juste retour’, le ‘I want my money back’" (le Parlement déplore au passage que "les contributions nationales continuent d’occuper une place prédominante, environ 80%"). Face au remboursement de NGEU, il sait qu’elles sont désormais incontournables. Sinon, "soit on réduit les budgets – une coupe de 10% dans les programmes et les fonds –, soit on demande aux États membres de mettre plus d’argent", prévient-il. Et même beaucoup plus d’argent, singulièrement pour la France (voir notre article du 16 novembre 2020). Deux solutions inenvisageables pour des parlementaires qui avaient précisément obtenu que NGEU ne soit financé "ni par les contribuables de l’Union", via une hausse des contributions des États membres, "ni par de futures coupes dans les fonds et programmes européens" (voir notre article du 12 novembre 2020). 

Un premier panier de ressources encore virtuelles, et dans tous les cas insuffisantes

Dans sa seconde résolution adoptée le 10 mai, les parlementaires européens invitent donc solennellement Commission et Conseil à s’activer pour dégager ces nouvelles ressources et donner par là-même "un nouveau départ pour l’Europe". "Il faut remettre les ressources propres en haut de l’agenda politique", insiste Valérie Hayer (FR, Renew), rapporteur de ce texte, dans lequel les élus ne dissimulent pas leurs craintes. 

D’abord, ils relèvent que les ressources propres proposées le 14 décembre 2021 par la Commission dans un "premier panier" – qui seraient tirées du système d’échange de quotas d’émission (Seqe), du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) et du premier pilier de la convention de l’OCDE sur l’imposition internationale des sociétés – n’ont toujours pas été approuvées par le Conseil. Jugeant ce "non-respect de la feuille de route inacceptable", ce dernier est invité à adopter "sans tarder" la proposition de la Commission.

Ensuite, les parlementaires jugent que "le montant des recettes que génèreront ces nouvelles ressources propres ne suffira pas à couvrir l’ensemble des coûts liés à NGEU, estimés à au moins 15 milliards d’euros par an en moyenne jusqu’en 2058". Et ce, d’autant plus que "si le processus de décarbonation se poursuit comme prévu, les revenus tirés des ressources propres écologiques diminueront". 

Un second panier attendu avec impatience…

Aussi exhortent-ils la Commission à présenter son nouveau panier de ressources propres "dès que possible et au troisième trimestre 2023 au plus tard", en la conviant en sus à "abandonner le dogme d’un budget de l’Union limité à 1% du PIB de l’Union". 

Certaines sont déjà plus ou moins annoncées. Ainsi par exemple d’une ressource tirée d’une harmonisation de l’impôt sur les sociétés, attendue avec la prochaine initiative de la Commission "Entreprises en Europe : cadre pour l’imposition des revenus" (Befit pour les intimes), prévue pour le troisième trimestre et qui devrait couvrir davantage de sociétés que "les seules grandes et plus rentables multinationales couvertes par l’accord sur le premier pilier de l’OCDE". Ainsi également d’une taxe sur les transactions financières, déjà discutée, le Parlement invitant ici Commission et États membres à "faire tout leur possible pour parvenir à un accord avant la fin du mois de juin". Ainsi encore d’une contribution des "grands fournisseurs" de contenus numériques aux coûts du réseau, redevance que le Parlement propose à la Commission de présenter "en cas d’absence manifeste de progrès au niveau de l’OCDE concernant la convention multilatérale d’ici à la fin 2023".

… que le Parlement entend garnir

Le Parlement dessine également d’autres pistes, "plus innovantes, voire totalement disruptives", selon Valérie Hayer, pour laquelle il ne s’agit pas seulement "de ramener de l’argent dans les caisses de l’UE, mais aussi de changer les comportements". Sont ainsi proposés :

- un "mécanisme d’ajustement équitable aux frontières", décalque social du mécanisme carbone (MACF), exigeant des entreprises qui importent des marchandises dans l’Union de verser aux travailleurs employés dans leur chaîne d’approvisionnement mondiale un salaire journalier supérieur au seuil de pauvreté. À défaut, elles seraient contraintes de payer une redevance équivalente à la différence entre ce seuil et le salaire effectivement perçu par ses travailleurs, qui viendrait alimenter le budget de l’Union ;

- l’instauration d’un droit d’accise sur le rachat d’actions par les entreprises ;

- la création d’une taxe européenne sur les cryptoactifs ; 

- des contributions nationales dans les domaines sociaux ou environnementaux "qui inciteraient les États membres à mettre en œuvre de manière résolue les politiques adoptées au niveau de l’Union", sous la forme de malus. Elles pourraient "remplacer et rendre superflus les réductions artificielles, rabais forfaitaires ou mécanismes de correction au niveau des recettes, lesquels nuisent à la cohérence et à la puissance incitative de la politique des ressources propres", s’enthousiasme le Parlement. Concrètement, ce dernier suggère des contributions visant à réduire l’écart salarial entre les hommes et les femmes, à réutiliser et à valoriser une plus grande proportion de déchets (autres que les emballages plastiques), singulièrement les biodéchets et les déchets alimentaires, ou encore à réduire la production de déchets dangereux. 

La résolution propose également "que toute recette publique générée par la mise en œuvre de politiques de l’Union, l’application de la règlementation de l’Union ou l’utilisation d’infrastructures financées par l’Union vienne, par défaut et afin de mutualiser les bénéfices, alimenter le budget de l’Union, au titre de ressource propre ou de recette autre, notamment lorsque sa perception, son encaissement et le contrôle de celles-ci sont orchestrés de manière centralisée par une institution de l’Union", proposition dont on peine à mesurer les effets. 

Unanimité

Un panier de mesures particulièrement rempli, ce que Johan Van Overtveldt justifie par la nécessité de donner aux États-membres du grain à moudre. "La décision sur les ressources propres est la plus complexe de toutes. Elle requiert l’unanimité au Conseil et la ratification de tous les États-membres", rappelle-t-il.