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Le Sénat vote une proposition de loi pour protéger la librairie indépendante et contrer les plateformes

Cette proposition de loi portée par Laure Darcos et soutenue par le gouvernement entend notamment mettre un terme à la "quasi-gratuité des frais de livraison pratiquée par certaines plateformes de e-commerce" et donc à une distorsion de concurrence en défaveur des librairies indépendantes. Elle prévoit aussi la possibilité pour les communes et leurs groupements d'attribuer des subventions aux librairies.

Le Sénat a adopté en première lecture, le 8 juin, la proposition de loi "visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs". Le texte avait été déposé le 21 décembre dernier par Laure Darcos, sénatrice (LR) de l'Essonne et ancienne cadre dirigeante d'Hachette Livre. Adoptée à l'unanimité, la proposition de loi devrait – sous réserve du calendrier parlementaire – prospérer sans difficulté, dans la mesure où elle a reçu en séance un soutien appuyé de Roselyne Bachelot, la ministre de la Culture et de la Communication.

Amazon n'est pas "le défenseur de la ruralité et des plus modestes"

Évoquant l'importance du livre, Laure Darcos a expliqué que "quarante ans après la loi Lang, il faut continuer à préserver cette pierre angulaire de notre culture, au nom du principe d'équité". Pour cela, l'un des objectifs principaux du texte est de "mettre fin à une distorsion de concurrence contraire à l'esprit de la loi du 10 août 1981, à savoir la quasi-gratuité des frais de livraison pratiquée par certaines plateformes de e-commerce" (comprendre, bien sûr, Amazon). Non seulement cette gratuité crée une distorsion de concurrence, mais elle empêche de facto les librairies indépendantes de proposer leurs propres plateformes. Au passage, Laure Darcos a écarté l'argument des plateformes garantes de l'accès à la culture dans les territoires les plus isolés : "On me dit qu'Amazon est le défenseur de la ruralité et des plus modestes. Mais son marché principal se trouve dans les grandes agglomérations, chez les catégories professionnelles favorisées, parfaitement à même de payer des frais de livraison."

Lors de la discussion générale, Roselyne Bachelot a confirmé que "le livre n'est pas un bien comme les autres". Elle estime que "la proposition de loi complète et parfait l'encadrement de la vente à distance introduit par le législateur en 2014" (loi du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition). Elle juge également essentiel de "clarifier la distinction entre livre neuf et d'occasion, qui brouille la perception du principe du prix unique du livre neuf".

Évoquant la proposition de loi, la ministre a donc confirmé que "le gouvernement la soutient pleinement et veillera à son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale". Emmanuel Macron lui-même avait d'ailleurs mentionné le sujet le 23 mai lors de son déplacement à Nevers consacré au pass culture, regrettant "une sorte de concurrence qui se crée, où certains grands groupes ont la possibilité de vous envoyer quasiment sans frais votre livre, quand votre libraire indépendant va vous faire payer les frais postaux" et souhaitant donc un vrai "prix unique du livre".

Au nom de la concurrence, la fin de la livraison gratuite

Le texte adopté par le Sénat comporte plusieurs dispositions. Il prévoit ainsi que "le service de livraison du livre ne peut en aucun cas, que ce soit directement ou indirectement, être offert par le détaillant à titre gratuit". Ce service sera dorénavant facturé dans le respect d'un montant minimum de tarification fixé par arrêté ministériel, tenant compte "des tarifs proposés par les prestataires de services postaux sur le marché de la vente au détail de livres et de l'impératif de maintien sur le territoire d'un réseau dense de détaillants".

Par ailleurs, les personnes vendant simultanément des livres neufs et des livres d'occasion, ainsi que celles qui mettent à la disposition de tiers des infrastructures leur permettant de vendre ces deux types de produits (comprendre les plateformes), devront s'assurer "que le prix de vente des livres est communiqué en distinguant à tout moment et quel que soit le mode de consultation l'offre de livres neufs et l'offre de livres d'occasion". Dans le même esprit, "l'affichage du prix des livres ne doit pas laisser penser au public qu'un livre neuf peut être vendu à un prix différent de celui qui a été fixé par l'éditeur ou l'importateur".

Possibilité d'aide des collectivités aux librairies, sur le modèle de la loi Sueur

Une autre disposition importante autorise les communes et leurs groupements, dans des conditions qui seront fixées par décret en Conseil d'État, à attribuer des subventions à des établissements existants ayant pour objet la vente au détail de livres neufs. Il s'agit de la transposition, au secteur de la librairie, des dispositions prévues pour les salles de cinéma par la loi Sueur du 13 juillet 1992 "relative à l'action des collectivités locales en faveur de la lecture publique et des salles de spectacle cinématographique". Ces subventions seront attribuées conformément aux stipulations d'une convention conclue entre l'établissement et la collectivité.

La proposition de loi comprend également quelques mesures plus techniques. C'est le cas d'une disposition qui sécurise les auteurs en cas de cessation d'activité d'une maison d'édition, en prévoyant la production d'un état des comptes afin de permettre aux auteurs de connaître le nombre d'exemplaires des ouvrages vendus depuis la dernière reddition des comptes le montant des droits dus au titre de ces ventes, ainsi que le nombre d'exemplaires disponibles dans le stock de l'éditeur, chez le ou les distributeurs, ainsi que dans les réseaux de vente au détail. Dans le même esprit, un autre article ouvre aux auteurs et à leurs organisations de défense la possibilité de saisir le médiateur du livre dans le cadre de sa mission de conciliation préalable pour les litiges qui lui sont soumis au titre de la loi du 10 août 1981 sur le prix unique. De même, un autre article modernise la partie du code du patrimoine relative au dépôt légal en prévoyant, par exemple, une amélioration de la collecte automatisée des sites web et des documents numériques.

À noter : le texte prévoit également une disposition spécifique à l'édition musicale, en donnant une portée législative au "Code des usages et des bonnes pratiques de l'édition des œuvres musicales", signé le 4 octobre 2017 par six organisations professionnelles. Ce code modernise et clarifie les relations contractuelles entre éditeurs et auteurs, en donnant à ces derniers des moyens accrus pour contrôler l'exécution des contrats et obtenir une meilleure connaissance des paramètres de leur rémunération œuvre par œuvre ainsi que de l'état de l'exploitation de leurs œuvres.

Référence : proposition de loi visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs (adoptée en première lecture par le Sénat le 8 juin 2021).
 

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