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Action sociale - Le social, c'est de l'argent !

2009 restera comme l'année de la mise en oeuvre du RSA. 2011 - ou peut-être 2012 - devrait être celle de la mise en place du cinquième risque. Entre les deux, 2010 restera l'année où est tombé l'un des derniers tabous : celui de l'argent dans l'action sociale. Durant douze mois, dans une savante montée en charge, Etat et départements - principales collectivités concernées par l'action sociale - ont consciencieusement échangé récriminations, accusations, voire invectives, autour de cette question. Transferts non compensés, charges indues et promesses non tenues d'un côté ; autonomie et responsabilité des collectivités, conjoncture économique de l'autre : rarement la dimension budgétaire de l'action sociale aura été autant dans le débat public. Certes, passée l'euphorie des premières années de la décentralisation, les départements n'ont pas manqué de se plaindre du poids croissant des dépenses sociales, qui progressaient jusqu'à représenter 70 % des budgets de fonctionnement, limitant ainsi de plus en plus leurs marges de manoeuvre sur leurs autres compétences. Mais c'était mezzo voce, dans un petit cercle d'initiés ou d'oreilles amies. Jamais un président de conseil général ne se serait risqué à évoquer publiquement le poids insupportable des dépenses sociales. Aujourd'hui, c'est l'opinion qui est prise à témoin. Retour sur une année riche en événements...

Les hostilités commencent

Les hostilités débutent dès le lendemain du réveillon, lorsque l'Assemblée des départements de France (ADF) demande, le 6 janvier, une audience "de toute urgence" au Premier ministre pour lui présenter la situation des "premiers départements faisant face à de graves difficultés financières dans l'exécution de leurs dépenses ou dans l'établissement du budget 2010 et suivants [sic]". La démarche semble bien engagée puisque, quelques jours plus tôt, dans un arrêt du Conseil d'Etat du 30 décembre 2009, les départements ont obtenu la condamnation de l'Etat à mettre en place le fonds de financement de la protection de l'enfance, prévu par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance et réclamé en vain jusque-là.
Si l'ADF - rejointe par l'Association des régions de France (ARF) - décide finalement de boycotter la conférence sur le déficit public organisée par l'Elysée le 28 janvier, en estimant que "les départements ne sont pas responsables du déficit de la France", elle publie le 18 février son Mémorandum en faveur des départements en difficulté. Une note technique d'une quinzaine de pages presque exclusivement consacrée aux dépenses sociales, exception faite du cas des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis). Une note qui contient également des propositions en faveur d'un soutien accru de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et d'"un partage plus clair des responsabilités pour une meilleure maîtrise des coûts". L'appel à la CNSA tombe malheureusement à contretemps, puisque la situation financière de celle-ci se dégrade avec l'épuisement progressif des réserves des premières années, conduisant l'organisme à réduire sa participation aux dépenses d'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et de prestation de compensation du handicap (PCH). Mais l'heure reste néanmoins encore à la recherche de solutions négociées.

Le gouvernement n'est pas insensible

Sans répondre directement aux suggestions de l'ADF, le gouvernement ne se montre pas insensible à ces préoccupations. Par une lettre de mission du 29 janvier, François Fillon confie à Pierre Jamet, directeur général des services du département du Rhône et auteur d'un rapport de préfiguration sur la CNSA, une mission de "diagnostic et de propositions" sur "la consolidation des finances des départements fragilisés". Remis le 22 avril, le rapport Jamet suscite cependant une certaine déception. Entre la centaine de millions d'euros jugés nécessaires par Pierre Jamet pour soutenir les départements en difficulté en 2010 et 2011 et le chiffre de 3,8 milliards d'euros avancé par l'ADF, les positions apparaissent difficiles à concilier. Sans compter que l'on ne connaît toujours pas la liste des départements en difficulté : le rapport en cite une douzaine, quand l'ADF en dénombre vingt-huit... La "trêve" induite par le lancement de la mission Jamet est d'ailleurs de courte durée.
Si les clivages politiques restent très présents dans le débat sur le financement des dépenses sociales des collectivités, les départements de droite et du centre ne cachent pas, eux aussi, leur inquiétude. Réunis à Chartres le 27 mai, les quarante-quatre présidents de conseils généraux du groupe des départements de la droite, du centre et des indépendants (DCI) de l'ADF s'alarment de "la gravité de leur situation financière, mais aussi [de] leur spécificité par rapport aux autres collectivités territoriales du fait de la place des dépenses liées aux allocations universelles de solidarité (RSA, APA, PCH) versées pour le compte de l'Etat, sur lesquelles les départements n'ont pas de maîtrise". Ils appellent à des "avancées significatives" avant la fin de l'année et formulent plusieurs propositions. Le 1er juin, François Fillon reçoit ainsi une ADF "réunifiée" et annonce notamment la mise en place d'une "mission d'appui" et le lancement de la réforme de la dépendance "avant la fin de cette année".

Le flop du "contrat de stabilisation"

A la rentrée, Alain Marleix, secrétaire d'Etat aux Collectivités territoriales, a bien du mal à convaincre les départements d'accueillir la "mission d'appui" qu'il a mise en place au début de l'été pour proposer, si nécessaire, un "contrat de stabilisation". A la mi-septembre, seules les Ardennes (UMP) s'étaient manifestées... Il est vrai que nombre de départements - toutes tendances confondues - voient dans cette mission une forme de tutelle déguisée. Faute d'avancées après la rencontre avec le Premier ministre, l'ADF décide de mettre en place un groupe de travail chargé d'élaborer une proposition de loi "relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements". La première version du texte ne convainc pas tout le monde, loin de là, ni sur le plan juridique (gage budgétaire) ni sur le fond (compatibilité entre une compensation intégrale et l'autonomie de gestion des collectivités territoriales). Devant l'accueil plus que mitigé réservé à la proposition, le bureau de l'ADF engage une refonte du texte.

La réforme ne passera pas

Le 80e congrès de l'ADF, les 20 et 21 octobre, constitue un tournant important. Il marque en effet la cohésion - un temps - retrouvée de l'association, avec l'adoption, à l'unanimité et sous les applaudissements, d'une résolution de deux pages entièrement centrée sur la question du financement des dépenses sociales. Mais ce consensus ne résiste pas à l'épreuve du Parlement. Le 30 novembre, la commission des finances du Sénat rejette la proposition de loi relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements. Un rejet confirmé en séance - dans un hémicycle du Sénat très clairsemé - le 9 décembre. Aux arguments concoctés par l'ADF dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, le gouvernement et le rapporteur opposent le risque de "court-circuiter" le débat sur la dépendance annoncé par le chef de l'Etat, celui de "déresponsabiliser complètement les départements", un ticket modérateur de 10 % proposé pour l'APA jugé "particulièrement faible" et, enfin, le coût "excessif" d'une proposition de loi représentant une dépense pour l'Etat de 3,34 milliards d'euros.
Faute de perspectives parlementaires immédiates, les départements de gauche choisissent de déplacer le débat sur le terrain judiciaire, en utilisant l'arme nouvelle de la QPC (question prioritaire de constitutionnalité), introduite par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008. Le 21 décembre, par exemple, le département de Paris annonce ainsi avoir déposé devant la cour administrative d'appel une QPC fondée sur un moyen selon lequel "les lois organisant [les] transferts de compétences ne respectent pas les principes constitutionnels de compensation intégrale des charges, d'autonomie financière des collectivités locales et de leur libre administration". La plupart des départements de gauche devraient faire de même.

Tout ça pour ça ?

Un an après, quel bilan tirer de ces multiples démarches ? En termes concrets, il apparaît plus que limité. Aucune des démarches engagées - concertation, rapport Jamet, mission d'appui, proposition de loi... - n'a pour l'instant réellement débouché sur des résultats tangibles. Seul geste significatif, le gouvernement a prévu, dans le quatrième projet de loi de finances rectificative de l'année, une aide exceptionnelle de 150 millions d'euros, qui sera versée par la CNSA selon des modalités qui restent à préciser. Il s'est également montré conciliant sur la fiscalité locale, notamment dans la réforme des valeurs locatives et des taxes d'urbanisme. Mais l'écart reste cependant considérable entre ces gestes budgétaires et les demandes des départements.
En revanche, les démarches engagées en 2010 auront eu le grand mérite de mettre sur la table la question du financement des dépenses sociales des collectivités. Le débat dépasse d'ailleurs largement le cercle restreint des politiques et des experts. En voyant fondre leurs subventions 2010 ou 2011, de nombreux acteurs locaux ont touché du doigt les effets pratiques des difficultés budgétaires des départements, y compris sur des dépenses que l'on jugeait jusqu'alors intouchables. De leur côté, les départements de gauche ont largement utilisé leurs supports de communication pour sensibiliser la population aux affres des "départements étranglés".
La question du financement des dépenses sociales va-t-elle rester pour autant à la une en 2011 ? Sauf surprise - assez peu probable - du côté des QPC, rien n'est moins sûr, en tout cas sous cette forme. D'une part, l'épuisement des tentatives parlementaires et judiciaires va nécessairement conduire à rechercher d'autres terrains d'action. D'autre part, la reprise économique devrait donner un peu d'air aux collectivités. C'est notamment le cas pour les grands départements urbains, qui devraient bénéficier à plein de la reprise du marché immobilier et des rentrées fiscales qui l'accompagnent. La reprise pourrait également jouer sur les dépenses du revenu de solidarité active (RSA).
Mais la chute du tabou sur le coût de l'action sociale devrait néanmoins laisser des traces. Il est ainsi très vraisemblable que le débat sur le cinquième risque ait des conséquences très concrètes sur l'APA. Une suppression de cette dernière pour les personnes en GIR 4 - un projet régulièrement évoqué - aurait ainsi des conséquences sociales discutables, mais un impact positif sur les finances départementales. A condition toutefois que la réforme de la dépendance arrive rapidement et que l'Etat et les départements y travaillent de concert, ce qui reste à prouver...

 

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