Légalisation du cannabis : à l’Est du nouveau !

Si le Bundesrat ne s’y oppose pas le 22 mars, l’autoconsommation du cannabis sera libéralisée le 1eravril prochain en Allemagne pour les résidents de plus de 6 mois outre-Rhin. La mesure inquiète des deux côtés du fleuve : en Allemagne, où l’on redoute un afflux de consommateurs / trafiquants. Et en France, où l’explosion des narcotrafics n’épargne déjà plus aucun territoire.

"Je ne souhaite pas […] que nous devenions une zone d’approvisionnement de cannabis pour la ville de Strasbourg." Dans un entretien accordé aux Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA) le 8 septembre dernier, le maire de Kehl (Bade-Wurtemberg) faisait une nouvelle fois part de ses inquiétudes face aux conséquences de la prochaine libéralisation du cannabis décidée outre-Rhin. À quatre mains avec la maire de Strasbourg, l’édile avait donné l’alerte dès la présentation du projet de texte, comme nous le rappelle l’eurométropole, interrogée par Localtis : "Dès 2022, dans un courrier adressé au ministre fédéral allemand de la Santé, la maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian, et le maire de Kehl, Wolfram Britz, ont exprimé conjointement leur préoccupation concernant les possibles répercussions de la légalisation du cannabis en Allemagne. Ils mettent en avant le risque d'un effet frontière découlant de l’évolution du cadre juridique allemand, qui pourrait affecter la cohésion du bassin de vie commun entre Strasbourg et Kehl en instaurant la coexistence de deux approches très différentes. Les conseils municipaux de Strasbourg et Kehl, en dialogue permanent, suivent de près la mise en place de la légalisation du cannabis en Allemagne."

Depuis, le projet s’est en effet concrétisé : le Bundestag a donné son feu vert au texte le 23 février dernier et il devrait entrer en vigueur le 1er avril prochain, si le Bundesrat ne bouleverse pas le processus ce 22 mars (il pourrait saisir la commission de conciliation, ce qui permettrait de revoir le texte et retarderait, dans tous les cas, son entrée en application).

Autoconsommation, pour les seuls résidents allemands de plus de 6 mois

Concrètement, pour leur propre consommation (revente et partage restent interdits), les adultes résidant en Allemagne depuis plus de 6 mois pourront cultiver du cannabis à titre privé (jusqu’à trois plants) ou le récupérer dans des associations de culture, non commerciales (25g par jour ou 50g par mois, 7 graines de cannabis ou 5 boutures par mois). Ces "cannabis social clubs", qui pourront ouvrir à compter du 1er juillet prochain, pourront compter jusqu’à 500 membres. Il sera toutefois interdit d’y fumer et l’adhésion à un seul club sera permise. 

Les résidents en Allemagne depuis plus de 6 mois pourront détenir jusqu’à 25g de cannabis séché dans l’espace public et 50g dans l’espace privé. La consommation sera libre dans les zones piétonnes de 20h à 7h, sans être à portée de vue des écoles, aires de jeux, installations sportives… Le Centre européen de la consommation, service franco-allemand d’information juridique et de règlement amiable des litiges transfrontaliers, insiste sur le fait que les Français ne remplissant pas les conditions de résidence ne pourront pas posséder, consommer ou cultiver du cannabis et que l’accès aux associations de culture leur sera interdit. "Les Français contrôlés avec du cannabis seront lourdement sanctionnés. Ils encourront jusqu’à cinq ans d’emprisonnement pour possession illicite de stupéfiants ou au moins deux ans de prison pour importation illégale de produits stupéfiants", ajoute-t-il. Dans les prochains mois, il est prévu qu’un second volet du texte relatif à la vente en magasin spécialisé soit examiné. Il se heurterait pour l’heure à la législation européenne, que l’Allemagne entend faire évoluer. Son entrée en vigueur serait dans tous les cas conditionnée à une phase d’expérimentation conduite dans plusieurs Länder. 

Tourisme du cannabis

Cette libéralisation n’est pas sans inquiéter, des deux côtés du Rhin. À Kehl donc, on redoute l’afflux de consommateurs/trafiquants français, comme celui qu’a connu la ville avec les flambeurs français lorsque les casinos y bénéficiaient d’une législation particulièrement souple (voir l’étude qu’y consacrait le Centre européen de la consommation en 2019). Aux DNA, le maire souligne ainsi que sa ville est déjà aux prises avec le "tourisme de consommation de l’essence et du tabac, mais surtout de la fréquentation des salles de jeux et des bars à chicha de Kehl par les Français". En octobre dernier, il s’interrogeait encore sur l’identité de la personne compétente pour contrôler les clubs : "police nationale ou service d’ordre municipal ?". Plus largement, on redoute également que la légalisation ne favorise le marché noir – dont l’éradication constitue précisément l’un des objectifs visés par la législation –, comme ce serait le cas en Californie.

Ligne Maginot

De ce côté-ci du Rhin, on redoute également l’explosion du trafic, alors que les maires ruraux s’alarment déjà de l’augmentation "préoccupante" des narcotrafics (voir notre article du 29 février). Le sujet ne semble pour autant pas mobiliser les groupements transfrontaliers. Contactés par Localtis, l’eurodistrict Pamina et l’eurodistrict Strasbourg-Ortenau nous indiquent ainsi ne pas être directement concernés et renvoient vers les communes.
La légalisation a en outre ses partisans en France. En juillet dernier, plusieurs élus avaient co-signé une tribune lancée par le maire de Bègles, Clément Rossignol Puech, dans Le Journal du dimanche appelant "à expérimenter un modèle local de légalisation du cannabis" – parmi lesquels Gilles Avérous, en tant que maire de Châteauroux, ou Alain Rousser, le président de la région Nouvelle-Aquitaine. Et une énième proposition de loi visant la légalisation du cannabis avait été déposée au même moment par le sénateur Devinaz (Rhône, SER) et plusieurs de ses collègues, estimant que "la loi de 1970 [relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite de substances vénéneuses] fait office de ligne Maginot devant le problème endémique des addictions". Une "ligne Maginot" dont on prend le pari qu’elle ne manquera pas d’être régulièrement convoquée dans les débats ces prochains jours.