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Alur - L'encadrement des loyers à Lille et Paris n'était certes pas légal, mais le dispositif est-il efficace ?

Après Lille, Paris vient de voir son dispositif d'encadrement des loyers annulé par le tribunal administratif, pour le même motif : il ne pouvait pas s'appliquer sur le périmètre de la ville (fut-elle une ville-centre) mais sur celui de son agglomération. Estimant que la mise en place du dispositif est trop récente pour pouvoir l'évaluer, le ministère de la Cohésion des territoires fait appel de ces deux décisions. Pour l'observatoire Clameur, encadrés ou pas, les loyers baissent et le marché locatif privé "s'enfonce dans la récession". Question de point de vue.

L'encadrement des loyers est-il un dispositif pertinent, inutile, ou inefficace ? Si chaque lobby a son argumentaire bien rodé pour démontrer que sa position est la meilleure (voir notre encadré ci-dessous), le ministère de la Cohésion des territoires estime toujours qu'il n'a pas assez d'éléments pour statuer sur le prolongement ou l'arrêt de cet outil introduit par la loi Alur et qui devait concerner 28 agglomérations tendues. "C’est un dispositif trop récent pour pouvoir établir son efficacité et pour mesurer ses effets sur l’évolution des loyers notamment en zone dense", ont redit Jacques Mézard et son secrétaire d'Etat Julien Denormandie, mardi 28 novembre, suite à la décision du tribunal administratif de Paris d’annuler l’encadrement des loyers instauré dans la capitale à l'été 2015 (voir notre article ci-dessous). "Le gouvernement s’est engagé à conduire une évaluation de ce dispositif sur la mandature", ont-ils rappelé, annonçant que "en concertation avec la ville de Paris, (il) fera appel de cette décision, comme il a fait appel de la décision du tribunal administratif de Lille".

De nouvelles mesures dans le futur projet de loi Logement

Les TA de Lille et Paris ont annulé les arrêtés parce qu'ils portaient sur les périmètres d'une ville alors que la loi imposait que ce soit sur la "zone d'urbanisation continue". Or le périmètre communal ne semble pas gêner le gouvernement, tout du moins dans sa démarche d'évaluation. Mais pour cela, il faudrait modifier la loi, par exemple pour permettre d'expérimenter le dispositif à cette échelle.
Quoi qu'il en soit, le ministère annonce que "des mesures seront présentées lors du projet de loi Logement afin de permettre le développement d’observatoires des loyers dans les communes qui le souhaitent". Ce texte devrait passer en conseil des ministres au début de l'année 2018.
La veille de la décision du TA de Paris, l'observatoire Clameur (Connaître les loyers et analyser les marchés sur les espaces urbains et ruraux) publiait sa note trimestrielle sur "La conjoncture du marché locatif privé et les loyers de marché à fin novembre 2017".
Clameur regroupe une trentaine de grands acteurs du logement privé (Fnaim, Nexity, Groupe SNI, Foncia, Bouygues Immobilier, Soliha, Crédit Foncier, UNPI, FFB, Century 21...), ce qui lui a permis de travailler sur un échantillon de 450.000 baux signés depuis le début de 2017, dans 1.892 villes et EPCI de plus de 10.000 habitants. Comme chaque fois, ces données ont été analysée par Michel Mouillart, professeur d'économie à l'université Paris Ouest, qui n'a jamais caché ses réserves sur l'encadrement des loyers (en pleine discussion parlementaire sur la loi Alur, il avait alerté que les ménages modestes seraient "les grands perdants du dispositif", voir notre article du 10 septembre 2013).

Hors inflation, les loyers de marché reculent de 1,2% en moyenne sur un an

La note de conjoncture à fin novembre 2017 relève que les loyers de marché affichent une baisse de 0,1% à la fin novembre 2017 (en glissement annuel). Compte tenu de la légère reprise de l'inflation, les loyers de marché reculent de 1,2% sur un an, hors inflation.
Clameur rappelle au passage que "pour l'ensemble du marché, les loyers n'ont progressé que de 0,2% par an, en moyenne, de 2013 à 2017, donc moins vite que l'inflation (+0,5% en moyenne annuelle, d'après l'Insee). Le ralentissement est remarquable, puisque de 2007 à 2012, la hausse des loyers était de 1,6% par an, pour une inflation annuelle moyenne estimée à 1,7%".
Si on s'en tient aux vingt villes de plus de 148.000 habitants, cinq affichent, depuis le début de 2017, une progression du loyer moyen plus rapide que l'inflation (Nice, Lyon, Montpellier, Nîmes et Lille), huit autres une progression moins rapide que l'inflation (Paris, Reims, Nantes, Strasbourg, Toulouse, Saint-Etienne, Toulon et Dijon), tandis que sept grandes villes enregistrent une baisse du loyer moyen depuis le début de l'année (Bordeaux, Angers, Villeurbanne, Marseille, Grenoble, Rennes et Le Havre).
C'est la seconde fois, depuis 1998, que les loyers enregistrent une telle baisse. Sans faire de catastrophisme, Clameur rappelle néanmoins que "l'autre fois, c'était en 2008, lors du déclenchement de la grande récession économique et financière qui avait ébranlé l'économie mondiale, lorsque le marché locatif privé s'était effondré".

Plusieurs raisons possibles à la baisse, mais pas l'encadrement

Clameur estime que "ce mouvement de ralentissement puis de baisse des loyers de marché trouve son origine dans la montée du chômage et la moindre progression, voire les pertes, de pouvoir d'achat qui ont fortement pesé sur le pouvoir d'achat des candidats à la location".
D'autres facteurs se sont également ajoutés, comme l'absence de revalorisation des aides personnelles au logement puis, à partir de 2012, le durcissement de leurs conditions d'octroi. Ces deux éléments auraient affecté les clientèles les plus fragiles "que le parc locatif privé accueille largement". En outre, dès 2015, la reprise de l'accession et de la primo-accession à la propriété aurait contribué au départ des locataires aux revenus moyens et élevés et à leur remplacement par des candidats relativement moins aisés.
En revanche, un chose est sûre pour Clameur : cette baisse des loyers ne doit rien à leur encadrement (à Paris et à Lille, jusqu'aux décisions de la justice administrative). En effet, "l'activité recule et les loyers de marché baissent même dans les communes rurales de la zone C", autrement dit des territoires qui ne sont pas concernés par l'encadrement et ne sont pas considérés comme des zones en tension en matière de logement.

Un effort d'amélioration des logements au plus bas depuis vingt ans

En terme de typologie, la situation apparaît très contrastée selon la nature des logements et selon la période de référence. Sur un an - et pour une évolution moyenne de +0,1% -, la tendance des loyers en glissement annuel est de +0,5% pour les studios et une pièce (21,6% du marché), de -0,1% pour les deux pièces (34,1%), de -0,5% pour les trois pièces (26,8%), de -0,7% pour les quatre pièces (11,9%) et de -1,2% pour les cinq pièces et plus (5,6%). L'évolution est en revanche inverse si on considère l'évolution depuis 2013. Il apparaît alors que les loyers des studios et une pièce ont progressé en moyenne de 0,1% par an, tandis que ceux des quatre pièces augmentaient de 0,7% par an.
Enfin, selon Clameur, la baisse relative des loyers a une autre conséquence : "Depuis le début de 2017, l'effort d'amélioration et d'entretien des logements recule de nouveau." Il porte en effet désormais sur 14,5% des relocations concernées, ce qui constitue le point le plus bas de ces vingt dernières années. Ce taux était encore supérieur à 30% dans les années 2009-2012 et la moyenne 1998-2017 s'établit à 22,2%.

La mobilité résidentielle en berne

La première phrase de la note de conjoncture avait donné le ton : "Le marché locatif privé s'enfonce dans la récession"... Selon Clameur, le recul de l'activité sur le marché locatif privé tend en effet à s'accélérer depuis le début de l'année, avec une baisse de 4,7% du nombre de baux signés (et de -7,2% depuis 2015). A l'opposé des cycles saisonniers habituels, Clameur constate que "le marché ne s'est guère ressaisi à la sortie de l'hiver et [que] le rebond estival de la demande n'a pas été au rendez-vous". Après un mouvement de reprise apparu à l'été 2014, puis amplifié en 2015, le marché a "commencé à hésiter dès la fin de l'été 2016, pour finalement s'engager dans la voie d'une nouvelle dégradation".
Conséquence : la mobilité résidentielle des locataires du parc privé se détériore depuis le début de 2017 et, avec un taux de mobilité de 28,4%, retombe sous sa moyenne pluriannuelle 1998-2017 (28,6%). Depuis 2015, où il atteignait 30,6%, le taux de mobilité recule de 3,7% en moyenne chaque année.
Au final, Clameur estime que "le repli de l'activité a ramené l'offre locative privée nouvelle (présentée chaque année sur le marché) au niveau qui était le sien en 2011, lorsque le marché sortait de sa récession des années 2008-2009 et commençait juste à retrouver une bonne fluidité".

 

Des réactions contrastées à l'annulation de l'encadrement des loyers parisiens
"L’Etat doit faire appel en demandant le sursis à exécution et la loi doit être modifiée pour garantir la sécurité juridique de l’encadrement des loyers", a déclaré Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris en charge du logement, mardi 28 novembre, immédiatement après la décision du tribunal administratif. Pour la ville de Paris, "l’encadrement des loyers a prouvé son efficacité à Paris, où avant sa mise en place l’augmentation des loyers était comprise entre 8 et 11%, par an. Cette augmentation est désormais contenue (1%), contrairement à Bordeaux (+4%) à Nice, à Lyon et à Montpellier (+2,5%) notamment".

Pour la fondation Abbé-Pierre, "la seule solution juste et conforme à la loi consiste désormais à étendre l’encadrement des loyers aux 412 communes de la banlieue parisienne dans les plus brefs délais". Selon elle, la décision du TA "est surtout la conséquence de la passivité des différents gouvernements qui, suivant la doctrine énoncée en 2014 par Manuel Valls, ont limité l’encadrement des loyers à Paris intramuros et à Lille, au mépris de la loi qui le prévoyait dans plus de 1.100 communes de 28 agglomérations tendues". La fondation rappelle avoir déposé "une requête en tierce opposition pour étendre l'encadrement à toute l'agglomération lilloise au lieu d'annuler à Lille".
Julien Bayou, président de l'association Bail à part, en profite pour demander que l'encadrement non seulement perdure à Paris mais que le préfet l'étende à la banlieue.

La décision du TA de Paris a suscité chez la Fnaim "un sentiment de victoire", aussitôt tempéré par une réaction de "vigilance" car "le gouvernement se hâte déjà de faire appel de l’annulation", ainsi que le souligne son président Jean-François Buet. De plus, "les loyers effectivement soumis au dispositif d’encadrement ont déjà pu causer des dégâts non négligeables sur le marché immobilier", estime-t-il, "On parlera par exemple de la fuite des investisseurs vers d’autres régions ou encore du déséquilibre territorial que cela aura pu causer ."

Pour Jean Perrin, président de l'Unpi (Union nationale des propriétaires immobiliers), le TA de Paris a annulé "à juste titre une réglementation incompréhensible et efficace".

V.L.

 

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