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Logement - L'encadrement avance à Paris, les loyers reculent... partout

La conférence de presse de Clameur - association "Connaître les loyers et analyser les marchés sur les espaces urbains et ruraux", qui regroupe les principaux acteurs du logement privé dont le Groupe SNI, filiale de la Caisse des Dépôts - ne manquera pas d'apporter de l'eau au moulin de ceux qui considèrent que l'encadrement des loyers instauré par la loi Alur du 24 mars 2014 - et appliqué pour l'instant uniquement à Paris - intervient à contretemps.

Une nette inversion de tendance

François Davy, le président du conseil d'administration, et Michel Mouillart, le directeur scientifique, ont en effet présenté, le 8 septembre, la dernière livraison de l'étude semestrielle sur la conjoncture du marché locatif privé et sur les loyers de marché à la fin du mois d'août 2015. L'étude porte sur plus de 4.500 communes et intercommunalités comptant plus de 2.500 habitants.
Certes, Michel Mouillart - qui n'a jamais caché ses réserves sur le principe de l'encadrement des loyers - surjoue quelque peu l'effondrement du marché, en évoquant le risque d'une "crise quantitative sévère", en particulier dans les grandes villes. Mais, au-delà de prises de positions non dénuées d'arrière-pensées, il n'en reste pas moins que les chiffres publiés par Clameur - dont le sérieux de la méthodologie n'est pas contesté - témoignent d'une très nette inversion de tendance. Celle-ci se situe, en outre, à l'opposé de la tendance sur les prix à l'achat, qui esquissent au contraire une remontée.

Une baisse moyenne de 1,4% en tendance annuelle

La baisse des loyers de 1,4% en tendance annuelle constitue en effet la plus forte enregistrée depuis 1998. Entre 1998 et 2006, les loyers moyens avaient au contraire progressé de 4% par an (pour une inflation annuelle de 1,8%), puis de 1,1% entre 2007 et 2014 (pour une inflation autour de 0,8%). Au total, la progression moyenne annuelle des loyers sur la période 2006-2014 a été de 2,5%, donc très loin de la tendance observée en 2015.
C'est également la première fois, depuis le creux de la crise de 2009, que plus de la moitié (55,4%) des villes de plus de 10.000 habitants affichent simultanément une tendance baissière. Cette proportion monte même à 85% pour les vingt villes de plus de 150.000 habitants. Parmi ces dernières, les baisses observées en 2015 vont de -0,1% à Dijon à -5,2% à Marseille. Avec Lyon (-3,6%), cette ville constitue toutefois un cas extrême, toutes les autres villes orientées à la baisse se situant au-dessous ou autour de 2% (dont -1,8% à Paris et -2,0% à Lille, qui a également fait part de son souhait de mettre en place un encadrement des loyers). Seules trois grandes villes affichent une - légère - tendance à la hausse des loyers en 2015 : Reims (+0,3%), Bordeaux (+0,3%) et le Mans (+0,7%).

Encadrement des loyers : des baisses, mais aussi des hausses

L'étude de Clameur donne également quelques précisions intéressantes sur le cas de Paris, seule ville où l'encadrement des loyers s'applique effectivement depuis le 1er août. Ainsi, 19,8% des nouveaux baux signés au mois d'août - hors impact du mécanisme de complément de loyer - affichent une baisse des loyers, qui se situe en moyenne à 21,4%. A terme, près de 6% des loyers parisiens devraient baisser fortement, soit environ 23.000 logements locatifs privés chaque année.
L'étude de Clameur présente également l'intérêt de rappeler qu'il y aura aussi des cas de hausses de loyers (pour les loyers inférieurs au loyer médian de référence minoré). Ces loyers sous-évalués représentent 10,6% du marché parisien et 12,3% des baux en cours. Compte tenu du taux de mobilité des locataires parisiens - et si les propriétaires concernés appliquent effectivement ces hausses potentielles -, 3,3% des locataires parisiens du parc privé (environ 13.000 ménages) pourraient voir leur loyer augmenter, avec des hausses de l'ordre de 10 à 20%. Entre les hausses et les baisses, ce sont ainsi environ 9,2% des logements parisiens (36.000 ménages) qui devraient ressentir l'impact de l'encadrement des loyers.

A chacun sa chapelle, en attendant d'y voir plus clair...

Au-delà de cette inversion de tendance assez brutale révélée par l'étude de Clameur, il convient de rester prudent. Il faudra sans doute attendre au moins un ou deux semestres pour savoir d'il s'agit réellement d'une tendance durable.
En attendant - et en termes d'interprétation - chacun y trouvera de quoi nourrir ses arguments. Les adversaires de l'encadrement des loyers ne manqueront pas d'y lire à la fois une remise en cause du principe de l'encadrement - pourquoi encadrer puisque les prix baissent spontanément, y compris dans les villes non concernées ? - et d'alimenter leurs inquiétudes sur les effets délétères du dispositif (la baisse des loyers va détourner les investisseurs du marché locatif et donc réduire la production ou la mise sur le marché de logements).
Les partisans argueront au contraire que, si l'encadrement ne s'applique qu'à Paris, la peur est le commencement de la sagesse : la perspective d'une éventuelle extension à une cinquantaine d'agglomérations - prévue par la loi Alur - inciterait ainsi les bailleurs à une soudaine modération. 

Jean-Noël Escudié / PCA

L'Unpi Paris attaque l'encadrement des loyers

"Il a été constaté que des appartements n'avaient pas été remis en location à la rentrée et il est à craindre que le phénomène prenne de l'ampleur dans les mois prochains, au détriment de ceux qui cherchent un logement à louer", indique l'Unpi Paris (Union nationale de la propriété immobilière). La faute, selon elle, au dispositif d'encadrement des loyers dans la capitale qui "ne peut que décourager les bailleurs privés". Pour mieux mesurer le phénomène, l'Unpi annonce avoir mis en place son observatoire "qui analyse l'offre locative à Paris et permettra de mesurer l'impact négatif de l'encadrement des loyers".
Fort de ce diagnostic, l'Unpi Paris passe à l'offensive. Après la Chambre nationale des propriétaires (voir notre article du 8 septembre 2015), elle annonce avoir déposé, elle aussi, le 24 août dernier, devant le tribunal administratif de Paris, un recours contre l'arrêté préfectoral du 25 juin fixant les loyers médians à Paris. Elle reproche au préfet d'avoir "retenu de façon arbitraire les 80 quartiers administratifs de Paris qui sont définis par un arrêté du Préfet de la Seine de 1859 !", alors que la loi Alur et le décret du 10 juin "imposent une fixation des loyers en fonction de secteurs géographiques délimitant des zones homogènes, et en fonction de la structuration du marché locatif". Conclusion de l'Unpi Paris : "l'arrêté conduit donc à une forte pénalisation de certains logements, sans rapport avec la réalité du marché locatif actuel". Autre argument : "l'arrêté ne respecte pas la loi puisqu'il n'a pas fixé de durée de validité des loyers de référence comme la loi le demandait".

V.L.