L'enseignement supérieur privé à but lucratif sur la sellette
La ministre de l'Éducation nationale et son homologue chargé de l'Enseignement supérieur ont annoncé des mesures visant à réguler le secteur de l'enseignement supérieur privé à but lucratif. Parmi les points à renforcer : les contrôles portant sur le financement de l'apprentissage. Une proposition de loi signée Emmanuel Grégoire entend elle aussi mieux réguler ce secteur.

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L'étau se resserre sur l'enseignement supérieur privé à but lucratif et ses cas de dérives. Dans un communiqué du 10 mars 2025, Élisabeth Borne, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, et Philippe Baptiste, ministre chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, ont indiqué qu'une inspection interministérielle allait être missionnée "pour une plus grande transparence du fonctionnement" de ces établissements. C'est le deuxième acte fort posé par le gouvernement en quelques semaines à peine sur le sujet. Le 10 janvier dernier, une procédure de déréférencement des formations sur Parcoursup avait été annoncée pour permettre d'exclure de la plateforme d'inscription dans l'enseignement supérieur "les formations aux pratiques commerciales mensongères ou frauduleuses" en cas de manquement (lire notre article du 13 janvier).
Des propositions de loi sur la table
Au-delà de l'action gouvernementale, les avancées dans la régulation de l'enseignement supérieur privé à but lucratif pourraient aussi passer par la loi. Les deux ministres concernés se disent d'ailleurs "très attentifs" aux propositions de loi (PPL) déposées sur ce thème et estiment qu'elles "vont dans le bon sens et feront prochainement l'objet d'échanges entre leurs auteurs et les ministres".
La dernière de ces PPL émane du député de Paris Emmanuel Grégoire. Dans son exposé des motifs, il est question de "pratiques commerciales abusives", d'"offres éducatives dont la qualité est souvent incertaine" ou encore d'"une opacité généralisée, qui rend difficile pour les familles de faire une distinction entre des établissements répondant aux standards académiques et ceux dont les priorités sont avant tout économiques".
Dès lors, la PPL propose de rééquilibrer les relations contractuelles entre les étudiants et les établissements d'enseignement supérieur privés en interdisant le versement de "droits de réservation" pour garantir une place au sein d'un établissement, en limitant la durée des contrats à une année renouvelable ou en imposant le remboursement des frais de scolarité en cas de départ anticipé de l'étudiant. Dans le même esprit, elle souhaite interdire certaines clauses contractuelles déséquilibrées, voire abusives, cette fois dans les CFA (centres de formation des apprentis), afin de tenir compte des spécificités du contrat d'apprentissage.
En miroir de ces interdictions, la PPL entend empêcher le dépôt par un organisme de formation d'une nouvelle demande d'activité en cas de faits particulièrement graves, et prévoit des sanctions en cas de constatation de pratiques commerciales trompeuses pouvant aller jusqu'à des peines de prison pour les responsables d'établissements.
Mais au delà de la relation entre les étudiants et les établissements d'enseignement supérieur privés à but lucratif, c'est aussi sur la politique en faveur de l'apprentissage, telle qu'elle a été amplifiée à partir de 2018, qu'il convient de se pencher.
L'apprentissage en question
Dans un des – très rares – rapports consacrés à l'enseignement supérieur privé lucratif, rendu en avril 2024 (lire notre article du 16 avril 2024), les députées Béatrice Descamps et Estelle Folest estiment que "les établissements privés lucratifs ont su tirer parti [de la réforme de l'apprentissage]". Elles ajoutent qu'"un apprenti post-bac sur quatre effectue sa formation dans ce type d'établissement. Et s'ils se financent majoritairement à travers les frais de scolarité payés par les étudiants, certains de ces établissements tirent désormais jusqu'à 45% de leurs revenus de l'apprentissage".
Dans l'exposé des motifs de sa PPL, Emmanuel Grégoire précise encore que le coût total pour les finances publiques de la politique publique de l'alternance était estimé, en 2022, par la Cour des comptes, à 16,8 milliards d'euros. Pour le député, cette manne financière "a attiré de nombreux acteurs privés, qui profitent aujourd'hui de la faible régulation du secteur pour maximiser leurs profits tout en bénéficiant de ressources publiques".
Dans leur communiqué du 10 mars, Élisabeth Borne et Philippe Baptiste ne s'y trompent pas. Ils affirment en effet que la "transparence" sur les établissements privés lucratifs "passera notamment par le renforcement du dispositif Qualiopi qui conditionne l'obtention des financements de l'apprentissage". Ils annoncent d'ailleurs une future version du label Qualiopi, "plus exigeante s'agissant des critères d'évaluation de la qualité des formations".
Selon le rapport de Béatrice Descamps et Estelle Folest, l'enseignement supérieur privé lucratif regrouperait de 8 à 15% des quelque trois millions d'étudiants de France, soit entre 240.000 et 450.000 étudiants.