Les 67 recettes du Sénat pour mettre la commande publique au service de l'économie
Mutualiser la fonction achat à l'échelle intercommunale, confier le pilotage global au Premier ministre, mieux soutenir les entreprises françaises, notamment les start-up… la commission d'enquête du Sénat sur la commande publique a livré le 9 juillet 67 recommandations pour que celle-ci, estimée à 400 milliards d'euros, devienne un véritable levier d'action vers une plus grande souveraineté économique.

© Capture vidéo Sénat/ Dany Wattebled, Simon Uzenat et Karine Daniel
La commande publique, représentant 400 milliards d'euros, est le seul levier capable d'emmener la France vers une plus grande souveraineté agricole, numérique et industrielle. Mais elle n'est pas pilotée et de nombreux freins sont à lever. Ce sont les principales conclusions du rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la commande publique qui s'est penchée sur le sujet à l'initiative du groupe Les Indépendants – République et Territoires (LIRT). Durant 4 mois et à travers 51 auditions et trois déplacements en France et à l'étranger, la commission a rencontré les représentants de 134 structures incarnant la commande publique (élus locaux, services de l'État, experts, juristes, économistes, acheteurs publics).
Son potentiel est énorme : 170 milliards d'euros en 2023, en comptant uniquement les contrats d'un montant supérieur ou égal à 90.000 euros HT, soit deux fois plus qu'il y a dix ans, et près de 400 milliards d'euros par an au total, d'après la Cour des comptes européenne. Le tout principalement porté par les collectivités territoriales, qui représentent 80% de l'ensemble des marchés publics contre 8% pour l'État et 12% pour les entreprises publiques et les opérateurs de réseaux. Mais "aucune administration ne peut être sérieusement qualifiée de pilote de la commande publique à l'échelle nationale", indique le rapport tandis que l'un de ses auteurs, Dany Wattebled, sénateur LIRT du Nord, estime même qu'il "n'y a pas de pilote dans l'avion". D'où deux des 67 propositions du rapport : confier au Premier ministre la responsabilité du pilotage, de la cohérence et de l'efficience de la commande publique en France et mieux associer le Parlement à son suivi à l'occasion d'un débat annuel consacré à la politique d'achat de l'État.
Mutualiser la fonction achats à l'échelle des intercommunalités
Autre problème identifié : le manque de professionnalisation de la fonction achat qui incite au renforcement de la formation des acheteurs publics et au recours aux procédures de mutualisation des achats. La commission préconise notamment de mutualiser la fonction à l'échelle des intercommunalités.
Au-delà de ces aspects, les sénateurs estiment aussi qu'il s'agit de mieux piloter la commande publique pour la mettre au service de la souveraineté économique et en soutien des start-up et PME françaises. Une préconisation qui rejoint celle du consultant Olivier Lluansi qui estime à 15 milliards d'euros les gains potentiels pour le Made in France grâce à la commande publique (voir notre article du 1er octobre 2024). Les occasions ratées sont fréquentes, comme l'appel par l'Imprimerie nationale pour la conception et la fabrication de la carte nationale d'identité électronique, à des prestataires, sans consulter une des entreprises françaises bien placées sur le sujet. Ou un autre cas, dénoncé de longue date par les parlementaires, l'hébergement de la plateforme des données de santé par Microsoft… Une situation qui ne garantit ni la protection ni la souveraineté des données publiques et qui amène la commission à demander le transfert, dans les meilleurs délais, de l'hébergement de la plateforme sur une solution souveraine, "immune" aux législations extraterritoriales. Les sénateurs plaident en outre pour une préférence européenne élargie, alors qu'elle est pour le moment limitée à certains secteurs critiques avec, aussi, une exception alimentaire à l'échelle européenne, permettant de faciliter le recours aux producteurs locaux et de développer les circuits courts au profit de la restauration collective publique.
Un "Small Business Act européen"
L'idée d'un "Small Business Act" européen, à l'image de ce qui se fait aux États-Unis et réservant aux PME au moins 30% en valeur des marchés publics passés par l'ensemble des pouvoirs adjudicateurs, est avancée. "Ce Small Business Act européen devra réserver aux PME les marchés publics d'un montant inférieur au seuil des procédures formalisées pour les fournitures et les services et à 100.000 euros HT pour les travaux", indique le rapport.
Les sénateurs estiment qu'il faut davantage faire bénéficier la commande publique aux start-up. "Les entreprises innovantes ne demandent pas de subventions mais de la commande publique", a martelé Dany Wattebled. En 2022, seul 1,75 milliard d'euros a été dédié aux start-up au titre de la commande publique, la structure des appels d'offres n'étant pas adaptée aux particularités de ces entreprises et les acheteurs publics leur préférant des grands groupes, jugés plus fiables mais pourtant souvent moins innovants. Parmi les recommandations dans ce domaine : relever le seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence pour les achats innovants et le porter entre 143.000 et 443.000 euros HT selon la catégorie d'acheteur public, alléger les contraintes qui pèsent sur les entreprises avec un abaissement notamment du plafond du chiffre d'affaires minimal des entreprises candidates, et renforcer les efforts financiers consentis en faveur des start-up.
Critiquant le travail (non) réalisé par l'Union des groupements d'achats publics (Ugap) en la matière, les rapporteurs estiments qu'il faut confier sa tutelle au ministère chargé de la souveraineté industrielle et numérique, en limitant également à deux mandats successifs l'exercice des fonctions de membre du conseil d'administration.
Simplifier les procédures, sécuriser les acheteurs publics
Des mesures de simplification, pour les acheteurs comme pour les entreprises, sont également mises en avant (suppression de la procédure adaptée, autorisation de recourir librement à une procédure formalisée avec négociation, mise à disposition des acheteurs publics via une plateforme en ligne d'un passeport commande publique attestant du respect des obligations légales et réglementaires des candidats…) ainsi que des mesures pour redonner confiance aux acheteurs qui doivent souvent faire face à la peur du risque pénal et qui, en réaction, ont tendance à sécuriser leurs actes. Les sénateurs proposent d'exclure du champ du délit de favoritisme les méconnaissances du droit de la commande publique dès lors qu'elles visaient à permettre l'atteinte d'un objectif d'intérêt général impérieux et qu'elles n'ont pas été commises dans l'intention d'octroyer un avantage injustifié.
Enfin, la commission propose de constituer un outil statistique national public et transparent avec un recensement des données des marchés publics dès le premier euro dépensé, de développer des outils pour assurer une traçabilité de la création de valeur de la commande publique (pour être sûr que la création de valeur se fait bien en France, ce qui n'est pas toujours le cas même si l'entreprise choisie a son siège en France) et de développer, chez les acteurs publics, la programmation des achats et sa publicité. "Aujourd'hui, c'est très compliqué pour les TPE et PME de connaître les intentions d'achat, a expliqué Simon Uzenat, sénateur du Morbihan (SER). C'est pourquoi nous proposons une vision triennale."