Politique de la ville - Les conseils citoyens vus par les associations et les habitants

Quel regard les acteurs associatifs et les habitants portent-ils sur les conseils citoyens dont ils sont membres ? Sur la base d'une enquête et de témoignages, des échanges animés le 10 juin par l'Institut de la concertation et la coordination "Pas sans nous" ont fait ressortir des approches assez contrastées, quelques motifs de satisfaction et encore beaucoup de défis à relever. Sur le droit d'interpellation et les moyens attribués aux conseils, l'Inter-réseaux des professionnels du développement social urbain propose trois amendements au projet de loi Egalité et Citoyenneté.

Plus de deux ans après la loi Lamy ayant institué le principe de "coconstruction" de la politique de la ville "avec les habitants, les associations et les acteurs économiques", où en sont les conseils citoyens ? Pour établir leur propre bilan, l'Institut de la concertation et la coordination "Pas sans nous" se sont intéressés au regard de ceux qui font vivre ces conseils, les habitants et les représentants associatifs, à travers une enquête menée entre février et mai 2016 puis une journée d'échanges qui s'est tenue le 10 juin 2016.
Sur la base de 200 réponses - dont 34% de conseillers citoyens du collège "acteurs-associations" et 24% de conseillers "habitants" -, cette enquête nous renseigne sur la réalité des conseils - effective dans 52% des cas - et sur les modalités de leur fonctionnement. En moyenne, les conseils citoyens (CC) sont composés de 25 membres ; la plupart ont toutefois 16 à 20 membres, la moyenne étant "tirée vers le haut par quelques CC qui n'ont pas fixé de limites", avec parfois plus de 100 membres.
La majorité des CC sont composés d'au moins 50% d'habitants ; les conseillers "acteurs" sont moins nombreux - le plus souvent entre 20 et 50% d'acteurs associatifs et assez peu d'acteurs économiques.
Dans l'échantillon de l'enquête, les CC sont d'abord animés par la collectivité (58%) - parfois même avec la présence d'élus -, puis par une association locale (12%) ou un groupe de travail ad hoc incluant acteurs et/ou habitants (10%). Le budget alloué aux CC est faible (le plus souvent inférieur à 3.000 euros) ou inexistant - notamment dans les cas où ce sont des agents de collectivité qui assurent l'animation. Il dépasse parfois les 5.000 euros, en particulier lorsqu'un intervenant extérieur a été mandaté pour accompagner le CC.

Faire le deuil d'une réelle autonomie des conseils citoyens ?

"Les membres habitants et les membres acteurs estiment en priorité que leur conseil citoyen n'est pas indépendant." A Toulouse, le pilotage municipal, le manque d'informations et de moyens ou encore le temps passé à structurer les conseils en associations ont provoqué une "démobilisation" chez les habitants, estime Nicky Tremblay, vice-présidente de "Pas sans nous". La coordination a fait pression pour que des ajustements soient opérés, avec quelques petites victoires telles que l'adoption d'un avenant au contrat de ville prévoyant des plans opérationnels pour chaque territoire.
Les militants associatifs misent parallèlement sur le développement des tables de quartier, un format de participation des habitants qui avait été préconisé dans le rapport Bacqué-Mechmache de 2013 (voir notre article du 9 juillet 2013). Actuellement, douze tables de quartier sont financées dans le cadre de la bourse nationale d'expérimentation pour la participation des habitants, mais ces démarches ont fait "plein de petits", selon Mohamed Mechmache, président de la coordination "Pas sans nous", qui appelle à "ne pas opposer" conseils citoyens et tables de quartier. Ces dernières, pas forcément perçues d'un très bon œil par les pouvoirs publics, favoriseraient davantage d'autonomie, d'ouverture et de prise en compte des préoccupations réelles des habitants. En l'occurrence, dans le cas du quartier de Bagatelle à Toulouse, le logement, les discriminations et l'éducation.

Partir des "thèmes qui intéressent les habitants" et "se faire connaître"

Selon l'enquête, les thématiques les plus abordées jusqu'à présent lors des réunions des CC sont le voisinage et la convivialité, la sécurité, l'accès à l'emploi, l'urbanisme, la qualité des logement et la réussite scolaire. A Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), le conseil citoyen du centre-ville a ainsi organisé un événement sur l'éducation, la santé et l'accès aux loisirs. Accompagné par l'association Couleurs d'avenir et constitué en association, le CC a pour objectif de partir des "thèmes qui intéressent les habitants" et de "se faire connaître", témoigne Monica, membre habitante du conseil. Quant à la participation du CC au pilotage du contrat de ville, la municipalité entend la favoriser progressivement, à travers des groupes de travail thématiques associant des élus de la ville, des agents et des habitants.
Sur le rôle de ces conseils vis-à-vis du contrat de ville, deux résultats de l'enquête démontrent qu'il est encore faible : une minorité de CC (12%) aurait participé à la rédaction du contrat de ville et 37% des conseils participeraient à des réunions de pilotage de la politique de la ville. Pour expliquer ce manque d'articulation, les auteurs de l'enquête évoquent les horaires souvent inadaptés des réunions ou encore le "statut d'expert ambigu" des habitants membres du conseil.

Fédérer les conseils citoyens d'un territoire pour peser davantage

A Angers, des représentants des CC ont été intégrés tardivement au comité de pilotage du contrat de ville et y occupent actuellement une position de "spectateur", selon Djamel Blanchard, de la coordination "Pas sans nous". Pour parler d'une seule voix et peser ainsi davantage dans le processus, les sept conseils citoyens d'Angers se réunissent désormais en "inter-conseils citoyens".
Entre les témoignages des membres de "Pas sans nous" et ceux des habitants qui bénéficient d'un accompagnement commandité par la collectivité, deux approches des conseils citoyens semblent se dessiner : celle, plus politique, du rapport de force et celle d'un partenariat plus institutionnalisé. Bien que progressif et partiel, ce dernier semble porter ses fruits lorsque, comme dans le centre-ville d'Epinay-sur-Seine, les habitants ont le sentiment d'être pris en considération. A l'inverse, plus de 30% des répondants à l'enquête estiment que les élus et agents des collectivités "ont essayé de bloquer le développement" du conseil ou l'ont tout simplement ignoré. 
De l'avis de la sociologue Marie-Hélène Bacqué, "la réforme radicale de la politique de la ville n'a pas eu lieu". La coordination "Pas sans nous" entend pourtant continuer à tenter d'influencer la mise en œuvre des conseils citoyens. Pour Mohamed Mechmache, malgré les résistances observées chez de nombreux élus, "un outil s'est créé, c'est une brèche, il faut l'utiliser". Tout en plaidant pour le financement d'autres formes de participation, moins pilotées d'en haut, via un fonds d'initiative citoyenne (voir notre article du 21 septembre 2015). Une campagne sera menée en septembre sur le sujet par la coordination "Pas sans nous", qui souhaite interpeler les candidats aux élections présidentielles.

Caroline Megglé

Trois propositions de l'IRDSU pour renforcer les conseils citoyens

Alors que l'examen du projet de loi Egalité et Citoyenneté par une commission spéciale démarre cette semaine à l'Assemblée nationale, l'Inter-réseaux des professionnels du développement social urbain (IRDSU) a publié le 7 juin trois propositions d'amendements relatifs aux conseils citoyens (article 34 du projet de loi).
Il s'agit en particulier de permettre au conseil citoyen "d'interpeller non pas uniquement le préfet mais les membres du comité de pilotage du contrat de ville" et de "participer à l'élaboration du diagnostic et des préconisations d'actions". En effet, pour l'IRDSU, le dispositif tel que proposé dans la rédaction actuelle de l'article "met à mal le caractère partenarial et concerté de la politique de la ville".
Les deux autres amendements visent à donner aux membres des conseils citoyens les moyens leur permettant d'exercer pleinement leur rôle : des moyens d'ingénierie et "une indemnité compensant une éventuelle perte de rémunération" pour les habitants impliqués.

C. Megglé

 

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