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Citoyenneté - Et si la "vieille démocratie" finançait les conditions de son renouveau ?

La démocratie représentative dispose de beaucoup de ressources, la "démocratie d'initiative citoyenne" en a très peu... La coordination nationale "Pas sans nous" propose donc de ponctionner de 5% la première pour soutenir la seconde. Et de permettre ainsi aux personnes les plus fragiles de raccrocher les wagons du débat public.

La solution à la "crise démocratique dans laquelle s'enfonce notre société" passera par le "faire ensemble", pour la coordination nationale "Pas sans nous". Cette dernière a rendu public le 17 septembre un avis, préparé lors d'une conférence de consensus organisée les 4 et 5 septembre derniers et signé par une trentaine de personnalités – responsables associatifs, élus ou encore universitaires –, sur la nécessité de faire vivre, et donc de financer, une "démocratie d'initiative citoyenne".
Les signataires de l'avis proposent ainsi la "création d'un 'fonds pour la démocratie d'initiative citoyenne', doté annuellement de 5% du montant total de l'argent public consacré au fonctionnement de la démocratie représentative (financement des partis politiques, remboursement forfaitaire des élections, réserves parlementaires, etc.)".

Une fondation pour les projets des habitants dans la loi Lamy

Issue du rapport remis à François Lamy en 2013 par la sociologue Marie-Hélène Bacqué et le porte-parole du collectif AC Le Feu Mohamed Mechmache (voir ci-contre notre article du 9 juillet 2013), la proposition, jugée compliquée à mettre en œuvre, n'avait alors pas totalement convaincu le ministre délégué à la Ville. Pourtant, la loi Lamy du 21 février 2014, dans son chapitre dédié à la co-construction avec les habitants, porte à bien des égards la marque de ce rapport (voir notre article du 18 mars 2014).
La loi prévoyait notamment dans son article 9 la création d'une fondation "destinée à mobiliser, au bénéfice des quartiers prioritaires, des financements permettant l'accompagnement d'actions et de projets présentés par leurs habitants en faveur de la cohésion sociale". Yannick Blanc, président de la Fonda, avait par la suite été mandaté par François Lamy pour réaliser le rapport de préfiguration de cette fondation (voir notre article du 20 mars 2014).
Or, il n'a depuis plus été question de ce rapport qui devait être rendu en juin 2014. D'ailleurs, pour la coordination "Pas sans nous", co-fondée il y a un an par Mohamed Mechmache, la bonne approche ne correspond pas à ce que prévoit la loi.

La "démocratie d'initiative" n'est pas la "démocratie participative"...

Dans la forme, c'est plutôt un "fonds de dotation, plus souple qu'une fondation" qui devrait être envisagé, selon Patrick Braouezec, président (Front de gauche) de la communauté d'agglomération Plaine Commune et signataire de l'avis. Et cela afin de recueillir, outre les financements publics, des contributions privées issues d'organisations ou de particuliers. Ce fonds serait "géré par une instance indépendante et pluraliste (...) conçue de manière inédite et inventive" et accordant une large place aux habitants des territoires concernés.
Sur le fond, la coordination "Pas sans nous" insiste sur la nécessité de dédier ce fonds à la véritable "initiative citoyenne" et, en particulier, à celle "des personnes les plus éloignées du débat public et des lieux de décision" dans les quartiers populaires urbains, mais aussi dans les territoires ruraux et périurbains.
Il s'agirait de "soutenir des processus émergents ou des dynamiques existantes" – formations, débats, évaluations, initiatives locales ou nationales… -, "à l'exclusion des actions de démocratie participative portées par l'Etat, les collectivités territoriales, les acteurs économiques et les partis politiques".

50 millions d'euros, en partie pris sur la réserve parlementaire

Pour réduire la "distance" entre ces derniers et "la créativité de terrain", "on veut pousser un mouvement ascendant", résume Véronique Fayet, présidente du Secours catholique, qui a présidé les deux jours d'échanges de début septembre. Pour financer cette "démocratie d'interpellation", le prélèvement de 5% des sommes dédiées à la démocratie représentative, qui correspondrait à environ 50 millions d'euros, est "très ambitieux et en même temps réaliste", a poursuivi l'ancienne maire adjointe de Bordeaux. Il est vrai que le fonctionnement de la réserve parlementaire a récemment été critiqué par la Cour des comptes (voir notre article du 16 février 2015) et que, au nom de la transparence, des voix s'élèvent jusque dans les rangs des parlementaires pour le faire évoluer.
Les organisations présentes ce 17 septembre entendent rallier à leur démarche d'autres acteurs et, notamment, d'avantage d'élus. Des élus qui seraient d'accord pour inverser la vapeur : se laisser inviter à la table des habitants, de la société civile organisée, plutôt que d'être eux-mêmes aux commandes d'un dispositif.

Peu de foi dans les conseils citoyens  

En effet, au-delà des moyens demandés, c'est bien un problème de confiance – envers les pouvoirs publics – et de manque de légitimité – pour les habitants des quartiers populaires - dans les dispositifs participatifs traditionnels qui est mis en avant par l'association "Pas sans nous". En dépit des intentions de la loi, les tout premiers conseils citoyens ne feraient pas mieux que les instances qui les ont précédés. "L'esprit a été détourné, le cadre de référence n'est pas respecté", déplore Djamel Blanchard, délégué régional Pays de la Loire de "Pas sans nous".
Raphaël Le Méhauté, commissaire général délégué à l'égalité des territoires, indiquait, les 10 et 11 septembre derniers à l'occasion des rencontres territoriales de la cohésion sociale (voir notre article du 14 septembre 2015), que seuls 300 conseils citoyens sont aujourd'hui actifs (et 1.005 seraient en cours de création). Il reconnaissait que les habitants n'ont pas été jusque ici associés à l'élaboration des contrats de ville, en tous les cas "pas au sens de la loi", avait-il nuancé. Selon lui, ce n'est pas forcément du fait d'une mauvaise volonté des acteurs locaux, car "on s'adresse à des habitants qui sont les plus pauvres, il faut aller les trouver, il faut les convaincre".
Dix ans après les émeutes de 2005, la participation des plus fragiles à la vie de la cité reste un défi. D'où la nécessité pour les associations de terrain, conclut Mohamed Mechmache, de se fédérer pour jouer un rôle de "passerelle" et de "laisser les égo de côté".

 

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