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Formation - Les pistes de l'économiste Nicolas Bouzou et de la FFP pour réformer la formation professionnelle

Pour faire face au tsunami technologique véhiculé par la nouvelle économie destructrice d'emplois en nombre, l'économiste Nicolas Bouzou et la FFP (Fédération de la formation professionnelle) publient un livre blanc dans lequel ils proposent des pistes de réforme de la formation professionnelle. Objectifs : créer un vrai continuum de formation pour tous, centrer la formation sur l'individu via le CPF et libérer l'offre de formation pour favoriser l'innovation.

L'économiste Nicolas Bouzou, directeur de la société d'analyse économique Asterès défend le projet de loi Travail. Mais il déplore que ce texte ait "complètement oublié la formation professionnelle". A cet égard, cette loi est d'après lui "hémiplégique" car "la question de la flexibilité et la sécurisation des parcours sont absolument complémentaires". Nicolas Bouzou plaide pour une remise au goût du jour de la formation professionnelle afin que la société française puisse faire face à "la plus grande mutation de l'histoire de l'humanité depuis la révolution industrielle et même depuis la Renaissance": la numérisation, ou ce que les anglo-saxons nomment "mutation NBIC" (convergence des nanotechnologies, biotechnologies, sciences de l'information et sciences cognitives). "Nous traversons une phase de destruction-créatrice inédite", souligne l'économiste qui vient de co-signer avec la Fédération de la formation professionnelle (FFP) un livre blanc intitulé "Libérer la formation" proposant une série de mesures en faveur d'une formation "réellement continue et inclusive".
Nicolas Bouzou et la FFP estiment que le système français de formation est "mal adapté" pour affronter cette nouvelle révolution économique. Trois obstacles s'opposent à "un véritable continuum de formation pour tous" : la formation initiale prépare insuffisamment les jeunes à l'emploi, le système de formation reste "hypercomplexe", et l'offre de formation est "prisonnière de dispositifs administratifs et financiers qui l'empêchent de s'adapter efficacement aux innovations technologiques et organisationnelles". Ils formulent cinq propositions pour une nouvelle réforme de la formation, en vue de l'élection présidentielle de 2017.

Le CPF : outil de la "pleine autonomie de l'individu"

Toutes placent l'individu au centre du système et font du Compte personnel de formation (CPF), l'instrument de sa pleine autonomie. Ils proposent ainsi d'en faire "une voie d'accès unique et accessible à la formation professionnelle tout au long de la vie", sans pour autant proposer de supprimer le plan de formation des entreprises. Le CPF et le Congé individuel de formation (CIF) fusionneraient, le CPF deviendrait réellement universel, c'est-à-dire, ouvert aux salariés comme aux indépendants et aux agents publics. Il pourrait financer toute sorte de formation, y compris non certifiantes. Les auteurs proposent de confier à l'Etat la gestion des comptes CPF en s'appuyant sur la création d'un "Fonds national pour la formation tout au long de la vie" financé par une contribution des entreprises (0,5% de la masse salariale) payée à l'Urssaf. Le CPF sera abondé en "points de formation" et non en heures.
Pour les jeunes de 15 à 26 ans, ils préconisent la création d'un "CPF jeunes" leur permettant de financer la formation en alternance de leur choix (Contrats d'apprentissage et de professionnalisation). Il serait financé par "les ressources dégagées par la suppression des contrats aidés et de l'actuelle fraction régionale de la taxe d'apprentissage (51% de 0,68%)", a précisé la FFP lors de la conférence de presse de présentation du Livre blanc, le 20 juin 2016. Les auteurs proposent par ailleurs de "supprimer la carte régionale des formations en apprentissage et de limiter les subventions d'équilibre aux centres de formation d'apprentis (CFA) à trois exercices". Les Opca continueraient de percevoir une contribution (0,4%) au titre de la professionnalisation. Pour réduire les délais d'accès à la formation des demandeurs d'emploi, Nicolas Bouzou et la FFP proposent de "mettre fin à la logique de prescription et de décorréler la rémunération des demandeurs d'emploi de la mobilisation du CPF". Cela doit s'accompagner d'un "marché efficace et pluriel de l'accompagnement professionnel". Ils prônent en outre de "mettre un terme à toute subvention publique d'organismes réalisant des activités de conseil et de formation, y compris pour les personnes les plus éloignées de l'emploi".

Clarifier la responsabilité des acteurs

Pour les entreprises qui investissent dans la formation, les auteurs du livre blanc proposent d'instaurer comme en Allemagne ou en Angleterre un crédit d'impôt formation, ainsi qu'un crédit d'impôt pour les individus abondant eux-mêmes leur formation. La cinquième proposition vise à "clarifier la responsabilité des acteurs". L'Etat serait garant d'un accès simple à la formation pour tous (gestion des comptes CPF et CPF jeunes, financement des crédits d'impôt et information sur l'orientation et la formation) et les partenaires sociaux auraient pour tâche d'encourager l'accès aux formations visant des métiers et des qualifications recherchés par les branches. Quant aux régions, elles auraient pour mission d'"encourager l'accès aux formations visant des métiers et des compétences recherchés au niveau du bassin d'emploi, aider aux reconversions et à l'insertion professionnelle, offrir une information utile et opérationnelle au niveau du territoire". Concrètement, elles devraient assurer un "abondement complémentaire du CPF demandeurs d'emploi" ainsi que la communication et l'information sur les métiers et les compétences utiles au niveau du territoire.
D'après les chiffrages de la FFP communiqués au cours de la conférence de presse, une telle réforme permettrait de "rendre aux entreprises entre 400 et 500 millions d'euros". Leur contribution financière à la formation passerait en effet "de 1,68% (en incluant la taxe d'apprentissage) à 1,58% de la masse salariale : 0,84% de leur masse salariale pour le CPF et le CPF jeunes (paiement Urssaf), 0,4% pour la professionnalisation (collecte Opca), et 0,34% de leur masse salariale pour financer le lien écoles/entreprises (fléchage direct, ou à défaut collecte par les Octa).

Valérie Grasset-Morel

Les cinq propositions du Livre blanc soumises au débat public
1. Pour tous, rendre effectif un droit à la formation d'initiative individuelle, universel et portable par un CPF plus ouvert ;
2. Pour les jeunes, généraliser l'alternance pour leur insertion professionnelle durable par la création d'un CPF jeunes ;
3. Pour les plus éloignés de l'emploi, faciliter et accélérer l'accès à la formation par un marché efficace et pluriel de l'accompagnement ;
4. Pour les entreprises et les individus, encourager l'investissement dans les compétences par une incitation fiscale et par la création d'un label "capital humain" pour les PME ;
5. Pour notre pays, adapter la gouvernance du système au 21e siècle en clarifiant les responsabilités de chacun et en renforçant l'évaluation des politiques publiques de formation.
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