Emploi - Projet de loi El Khomri : le Sénat s'apprête à examiner un texte "remusclé" en commission

La commission des affaires sociales du Sénat a publié son rapport sur le projet de loi Travail, qu'elle a examiné et adopté le 1er juin 2016. Un texte "remusclé" selon le rapporteur Michel Forissier, avec le rétablissement de l'article 2, l'une des principales sources de polémique. La commission a aussi apporté de nombreux amendements sur l'apprentissage, le compte personnel d'activité ou la garantie jeunes. Le texte sera discuté à partir du 13 juin.

Le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s sera discuté en séance publique au Sénat, le 13 juin. Avant ce passage, la commission des affaires sociales du Sénat a examiné le texte le 1er juin, sur le rapport de Jean-Baptiste Lemoyne, sénateur Les Républicains de l'Yonne, Jean-Marc Gabouty, sénateur UDI-UC de la Haute-Vienne, et Michel Forissier, sénateur Les Républicains du Rhône. "Notre philosophie a été de remuscler le texte et de le rendre plus opérationnel", a signalé Jean-Baptiste Lemoyne, à l'occasion d'une rencontre organisée le 8 juin par l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis). La commission a ainsi voulu redonner au projet de loi Travail son ambition initiale, avant les aménagements opérés par le gouvernement et l'Assemblée nationale, face à la contestation. Elle a notamment approuvé la philosophie générale de l'article 2, source principale de la polémique, qui vise à faire de l'accord d'entreprise le pivot de la négociation collective en France, et la suppression de la notion de durée légale de travail, privilégiant une durée de référence fixée par accord d'entreprise ou, à défaut, de branche.
Au-delà de ces mesures particulièrement discutées, la commission des affaires sociales a étendu la portée du texte en matière d'apprentissage. "Malgré l'annonce de Myriam El Khomri, l'apprentissage avait complètement disparu du texte, mis à part deux articles à la sauvette", a précisé Michel Forissier. Plusieurs amendements ont été adoptés, reprenant les dispositions de la proposition de loi déposée le 10 février 2016 par Elisabeth Lamure, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises. Un des amendements adoptés propose ainsi de créer un pacte national pour l'apprentissage conclu par tous les acteurs de l'apprentissage et destiné à fixer des objectifs pluriannuels, publics et transparents, à l'image de ce qui se pratique en Allemagne. "Ce pacte ne serait pas prescriptif, a détaillé Michel Forissier, mais indicatif, les régions exerceraient ensuite pleinement leurs responsabilités", l'amendement en question précisant bien qu'en Allemagne, le pacte "n'a pas remis en cause les prérogatives des Länder". Le suivi statistique du pacte serait assuré par le Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Cnefop).

Ré-ouvrir le Dima aux jeunes de moins de 15 ans

La commission a également repris les dispositions prises initialement dans l'article 6 de la première version du projet de loi, à savoir notamment permettre aux apprentis d'effectuer une durée de travail quotidienne supérieure à 8 heures et une durée de travail hebdomadaire supérieure à 35 heures. Autres propositions : sensibiliser les personnels éducatifs et d'encadrement de l'éducation nationale au monde de l'entreprise dans le cadre de leur formation, impliquer les centres de formation d'apprentis (CFA) et les branches dans l'orientation et la découverte des métiers au lycée, et ouvrir le dispositif d'initiation aux métiers en alternance (Dima) aux jeunes de moins de 15 ans ayant achevé leur scolarité du collège. Ce dispositif permet aux jeunes de suivre pendant un an en CFA une formation en alternance destinée à leur faire découvrir un environnement professionnel correspondant à un projet d'entrée en apprentissage. Entre 2011 et 2013, le Dima était ouvert aux jeunes de moins de 15 ans, mais la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République a supprimé cette disposition. "Il est proposé de la rétablir, en rappelant que les élèves en Dima conservent leur statut scolaire et sont libres à tout moment de reprendre leur scolarité dans l'enseignement général", précise l'amendement. La commission a également proposé de garantir au moins quinze jours de congés pour les apprentis et de supprimer la prise en compte de leur âge pour déterminer leur rémunération. Elle a aménagé les modalités d'exercice du travail de nuit pour les apprentis de moins de 18 ans, sous la supervision directe de leur maître d'apprentissage. "Il y a des métiers, comme dans la boulangerie, où le travail de nuit est nécessaire. En revanche, nous demandons à ce qu'il y ait un maître d'apprentissage à côté de l'apprenti", a détaillé Michel Forissier.

Eviter de donner naissance à "un outil de Meccano administratif trop ambitieux"

Au-delà de l'apprentissage, la commission a également donné ses préconisations concernant le compte personnel d'activité (CPA). Les sénateurs de la commission souhaitent recentrer le CPA, en rétablissant sa clôture au moment du départ à la retraite de son titulaire, en supprimant le nouveau compte d'engagement citoyen (CEC), et en simplifiant le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P). L'objectif étant d'éviter de donner naissance à un "outil de Meccano administratif trop ambitieux qui sera paralysé par sa complexité et que les actifs ne s'approprieront pas", détaille l'amendement. Pour le CEC, les sénateurs estiment qu'il faut une réflexion plus large sur le sujet. Pour le compte pénibilité, dont l'entrée en vigueur a été fixée au 1er juillet 2016, ils proposent de s'en tenir aux quatre facteurs de pénibilité déjà en vigueur (travail de nuit, travail en équipes successives alternantes, travail répétitif, activités exercées en milieu hyperbare) et de confier aux partenaires sociaux le soin de réfléchir au mécanisme qui lui succédera et qui devra davantage mettre l'accent sur la prévention.
Enfin, la commission s'est prononcée sur la garantie jeunes, estimant que la généralisation, via la loi, semblait prématurée. Au 31 décembre 2015, 46.000 jeunes sont entrés dans le dispositif, et 60.000 supplémentaires pourraient le faire en 2016, le potentiel étant de 150.000 dossiers ouverts sur 300.000 ayant droits. "L'expérimentation est aujourd'hui permise jusqu'au 31 décembre 2017, signale le rapport de la commission, et peut le cas échéant être prolongée par décret. Il n'y a donc aucune urgence à légiférer." Estimant qu'il reste encore des questions concernant le financement du dispositif au-delà de l'année 2017 et qu'il est difficile de prévoir le nombre de jeunes qui bénéficieront du dispositif, la commission propose de s'en tenir à l'expérimentation et d'en faire le bilan avant de décider de sa généralisation. Le texte sera examiné au Sénat, en séance publique, du 13 au 24 juin, avec un vote solennel le 28 juin.