Archives

Fonds européens - Les régions se préparent à vivre un automne européen

Transfert de pouvoirs sur les fonds structurels, priorités d'investissements, avenir des régions en transition... l'agenda des collectivités se remplit d'échéances européennes. Mais la position du gouvernement est encore floue.

A mesure que le calendrier politique s'accélère, les présidents de région cultivent leur relation étroite avec l'exécutif. Commerce extérieur, emplois d'avenir, Banque publique d'investissement, fonds européens, les patrons de conseils régionaux surfent sur l'alternance politique pour écrire une nouvelle page dans leur relation avec l'Etat. Les rendez-vous dans les ministères, comme à l'Elysée, sont réguliers, afin de préciser les contours du nouvel acte de décentralisation (voir aussi notre article du 19 septembre 2012 "L'Etat et les régions mettent leur 'acte de confiance" en musique").
Celui-ci touche au premier chef les aides régionales que Bruxelles met à disposition des territoires. Gérées principalement par les préfectures, elles s'apprêtent à rejoindre dès 2014 le giron des régions qui pourront ainsi mieux maîtriser leur utilisation. Mais la magnitude du transfert reste à définir.

"Engagements ambigus"

Dans leur feuille de route issue d'une rencontre avec François Hollande le 12 septembre, l'Etat et les régions se bornent à énumérer les grands domaines d'intervention de l'UE (développement économique, formation, innovation, aménagement du territoire, développement rural), et évoque "la gestion des fonds européens" au sens large, sans citer les fonds structurels nommément.
"Plutôt que de lever les doutes, la déclaration donne l'impression d'engagements ambigus", observe une source régionale. "La formulation reste prudente, ce qui laisse une marge de manœuvre à l'Etat pour ne pas décentraliser l'intégralité des fonds."
Les principales interrogations visent le fonds social européen (FSE), utilisé pour la formation des salariés, des chômeurs, des jeunes en échec scolaire, etc. Des domaines dans lesquels les régions cherchent à élargir leur intervention.
La décentralisation du FSE n'est pas prévue, fait-on savoir au ministère de la Réforme de l'Etat. 20% de l'enveloppe allouée à la France pourraient de surcroît continuer à financer des politiques nationales sur lesquelles les régions n'ont pas prise, comme Pôle emploi. L'arbitrage sur le fonds européen pour la pêche n'est quant à lui pas rendu.

Expérimentation théorique

L'horizon est en revanche plus dégagé pour d'autres outils, comme le Feder, (dédié aux infrastructures, entreprises, à l'innovation) et le Feader, tourné vers les zones rurales. Dès 2013, la région Rhône-Alpes compte d'ailleurs expérimenter la gestion de ce dernier fonds.
Cette possibilité, inscrite dans la déclaration du 12 septembre, reste très théorique. "La mécanique est loin d'être finalisée avec l'Etat", observe Jean-Paul Bachy, président de Champagne-Ardenne. Et le calendrier ne s'y prête pas, car la programmation des fonds, étalée sur sept ans, se termine dès 2013. "La question se poserait différemment si l'on était à mi-parcours", explique un responsable d'une collectivité. Basculer l'autorité de gestion vers le conseil régional avec un an d'avance modifie le cadre fixé en 2006. "Il faudra la validation de la Commission européenne et des autorités d'audit", poursuit la même source. Autant de procédures qui risquent de retarder le versement des fonds européens, à l'heure où l'Etat presse les préfets d'utiliser 2,6 milliards d'euros de Feder non dépensés, sous peine d'en être privés (principe du dégagement d'office lorsque le calendrier européen n'est pas respecté).

Transferts de personnel

A plus long terme, la réforme nécessite aussi de repenser la répartition des fonctionnaires dans les services. Des transferts de personnels appartenant au corps préfectoral (service général des affaires régionales) vers les régions est donc attendu.
Mais un doute subsiste dans l'esprit des élus. "L'Etat nous a habitués à nous confier des responsabilités sans les moyens humains et financiers qui vont avec", réagit Jean-Paul Bachy. En Champagne-Ardenne, une quinzaine de fonctionnaires anciennement employés par les services du patrimoine ont ainsi été rattachés à la région, "sans que l'on nous donne le premier centime pour les payer."
Le choix d'une gestion décentralisée des fonds européens peut néanmoins présenter des avantages. Il pourrait ainsi mettre un terme aux tensions politiques qui apparaissent parfois sur le choix des projets à financer, lorsque les priorités de l'Etat ne convergent pas avec celles des élus régionaux.
Les régions souhaitent également pouvoir combiner les différentes aides européennes, alors que leur usage reste aujourd'hui cloisonné. "Nous voulons faire des programmes plurifonds", explique Jean-Paul Denanot, président du conseil régional du Limousin, citant l'exemple des universités qui doivent pouvoir être soutenues par le Feder et le FSE simultanément.

Sortir du "diagramme du savant fou"

Autre bénéfice attendu : la simplification liée au nouveau découpage de compétences. "Le constat est établi, rappellent les auteurs d'un rapport sur l'utilisation des fonds européens en Bretagne. Les potentiels porteurs de projet ne savent ni à qui s'adresser, ni quelles sont les responsabilités et les pouvoirs de chacun." Une difficulté partagée par les fonctionnaires, pour qui les circuits de financements européens s'apparentent au "diagramme d'un savant fou".
Mais la clarification annoncée a aussi ses limites. Certes, l'Etat gardera la main sur les contrôles comptables liés à l'utilisation des fonds européens. Mais il pourra également retrouver son rôle de gestionnaire des fonds européens dans certains cas. La politique urbaine figure parmi ces possibilités, ce qui permettrait au ministère de la Ville de conforter son action dans les banlieues très défavorisées en recourant aux subventions de l'UE.

Interrogations sur la politique urbaine

"L'idée n'est pas cohérente", estime Franck Sottou, spécialiste de la politique régionale et professeur associé au Cnam. En centralisant ce volet, la France risque d'abandonner "la logique de proximité" souhaitée par la Commission européenne, pour qui l'impulsion doit être donnée par les acteurs locaux (associations, habitants, etc.).
Le deuxième écueil serait de concentrer l'effort financier sur les territoires prioritaires retenus par l'Etat, au risque d'écarter des projets de qualité portés par des communes situées à la frontière de l'urbain et du rural.
En l'absence d'arbitrage politique définitif, les régions se mettent cependant en ordre de bataille pour préparer les "programmes opérationnels". Des feuilles de route indispensables pour élire les domaines prioritaires dans lesquels les fonds européens seront investis.
La loi sur la décentralisation n'étant pas encore adoptée, les préfectures gardent la main sur leur élaboration. Mais les conseils régionaux sont censés être consultés et écoutés. Cette méthode, qui ne va pas révolutionner la vie de certains territoires déjà en bons termes avec l'Etat (Poitou-Charentes, Limousin…), devrait changer la donne pour ceux où la relation est moins évidente (Bretagne…).

Les fonds européens tributaires de l'austérité

Les semaines qui viennent seront déterminantes pour dérouler les étapes qui devraient aboutir à la remise, en juin prochain, du programme opérationnel de chaque région à la Commission européenne.
D'ici la fin du mois, les préfectures, en lien avec les collectivités, devront transmettre à la Datar le "diagnostic territorial" de chaque région afin de faire connaître les besoins locaux. Une large consultation pilotée par la Datar doit être menée dès la mi-novembre.
Autorités publiques, organismes de logement social, entreprises, etc. pourront participer. L'ensemble de ce travail inspirera le contenu d'un "contrat de partenariat" signé entre le gouvernement et la Commission européenne, afin que celle-ci puisse avoir une trame globale de ce que la France entend faire avec les crédits de l'UE.
Largement vantés par François Hollande qui y voit un levier de croissance, les fonds structurels européens sont cependant tributaires du climat d'austérité qui règne en Europe.
La proposition de la Commission européenne, qui souhaiterait affecter 336 milliards d'euros à la politique de cohésion entre 2014 et 2020, a toutes les chances d'être franchement rabotée par les Etats.
Même la France s'engouffre dans cette voie, afin de sécuriser en contrepartie les crédits de la Politique agricole commune. "J'ai alerté le président de la République à ce sujet, signale Jean-Paul Denanot. Il a donné en ce sens des directives au ministre des Affaires européennes. Mais il y a des résistances à Bercy."

Perplexité des régions en transition

Une diminution des fonds européens pourrait signer l'arrêt de mort d'un nouveau dispositif imaginé par la Commission européenne, et dont les régions françaises pourraient amplement tirer parti. Afin de redistribuer plus équitablement l'argent européen, Bruxelles propose d'augmenter la part des financements des régions dont le PIB par habitant est compris entre 75% et 90% de la moyenne communautaire.
Une aubaine pour une dizaine de régions françaises, aujourd'hui perplexes sur la position du gouvernement. "L'ancien ministre Bruno Le Maire avait accepté le principe du bout des lèvres. Il ne faudrait pas qu'on revienne aujourd'hui en arrière", relève Jean-Paul Denanot.
Le projet de régions en transition profite essentiellement à deux pays : le Royaume-Uni et la France. Or, le gouvernement conservateur de David Cameron se fait l'avocat des coupes dans le budget européen et "la France n'est nulle part", regrette un spécialiste de la politique régionale.
En région, les élus doivent composer avec ces contradictions. "J'en suis pourtant convaincu, poursuit Jean-Paul Denanot. Le salut du développement économique et de la croissance passe par l'Europe."
Dans sa région, qui accuse un retard certain en termes d'infrastructures, on espère que les fonds structurels pourront venir appuyer le déploiement du très haut débit voire la ligne LGV Paris-Limoges via Poitiers.

 

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis