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Les territoires zéro chômeur se préparent à la deuxième étape de l’expérimentation

Alors que 50 nouveaux projets seront prochainement désignés pour rejoindre l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée, l’association TZCLD et le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire ont récemment animé un retour d’expériences. Quelles "opportunités" sociales, économiques, démocratiques, en termes de formation et de dynamique territoriale le projet offre-t-il ? Des maires, élus et agents de collectivité issus des dix premiers territoires ont apporté leur éclairage, ainsi que leurs préconisations pour la suite. 

Avec le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES), l’association Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) organisait la cinquième édition de sa "Fabrique du consensus" le 18 mai 2021, en ligne. L’occasion d’un partage d’expérience de la part d’élus et d’agents de collectivité sur les "opportunités" créées par l’expérimentation Territoire zéro chômeur. Issus des dix premiers territoires expérimentateurs, des maires désormais chevronnés ont eu à cœur d’encourager les nouveaux porteurs de projet, mais aussi de les alerter sur le niveau d’investissement requis et sur certaines difficultés. Pour rappel, suite à la deuxième loi d’expérimentation adoptée fin 2020 (voir notre article du 1er décembre 2020), 50 nouveaux territoires seront prochainement autorisés à se lancer officiellement dans l’expérimentation. Les candidats sont plus nombreux, puisque 157 projets émergeants, localisés dans 77 départements de métropole et d’outre-mer, sont actuellement accompagnés par l’association TZCLD.

Convaincus par la philosophie de l’expérimentation – personne n’est inemployable, ce n’est pas le travail qui manque, ce n’est pas l’argent qui manque –, ces collectifs territoriaux sont aussi motivés par les premiers résultats de la démarche. Dans les dix territoires engagés officiellement depuis 2016-2017, des entreprises à but d’emploi (EBE) ont embauché quelque 1.000 personnes en CDI, "des personnes qui étaient au chômage depuis en moyenne plus de quatre ans, en situation de handicap pour plus de 25%", et cela pour des activités s’inscrivant "en majorité" dans le champ de la transition écologique, a détaillé Laurent Grandguillaume, président de l’association TZCLD, qui avait porté en 2016, en tant que député, la première loi d’expérimentation.   

"En tant que maire, il y a vraiment un avant et un après"

Lors du webinaire, l’accent a été mis sur le rôle primordial du comité local pour l’emploi, lieu de gouvernance multi-acteurs du projet, capable de dénouer rapidement des difficultés sur un territoire – notamment sur l’épineux sujet de la dimension non-concurrentielle des activités portées par l’EBE – à condition d’engagement, de coopération et de réactivité de ses membres. Dans ce cadre particulier, "Territoire zéro chômeur vient bousculer la posture des collectivités", a souligné Mahel Coppey, présidente du RTES. "Pour moi, en tant que maire, il y a vraiment un avant et un après l’expérimentation", a témoigné Marc Pottier, maire de Colombelles (Calvados), insistant sur la modification de ses rapports avec les habitants et les partenaires de la commune. S’il admet volontiers que le projet "n’est pas un long fleuve tranquille", il se félicite des évolutions favorables, tant sur la remise à l’emploi de personnes qui en étaient éloignées – avec une baisse du taux de chômage de sept points en quatre ans dans sa commune – que sur celui de la "démocratie territoriale". Selon lui, les salariés de l’EBE sont désormais les habitants "qui participent le plus à la vie sociale de la commune", au sein du conseil citoyen du quartier prioritaire de la politique de la ville, dans le tissu associatif et même via les élections avec une candidate aux départementales.

"Il faut une volonté politique, que le maire soit le leader pour pouvoir mener à bien cette expérimentation, mais tout seul il ne peut pas faire grand-chose", a renchéri Pierre-Yves Marolleau, maire de Mauléon (Deux-Sèvres). Engagée dès 2014 dans la démarche, la ville de Mauléon a reçu le soutien de la région, alors Poitou-Charentes. Aujourd’hui, la région Nouvelle-Aquitaine aide toujours l’expérimentation en cours ainsi que les quelque 40 projets émergeants, au titre de l’ingénierie territoriale et de l’aménagement du territoire, du développement économique (avec sa direction de l’économie sociale et solidaire) et de la formation. Une "mission emploi, solidarités et territoires" a été créée pour "faire dialoguer" ces trois compétences de la région et offrir une "réponse globale" aux territoires, a expliqué Jacques Le Priol, portant cette mission à la région.     

Un intérêt croissant des régions, un engagement des départements désormais obligatoire

"Toutes les régions n’ont pas la même politique" vis-à-vis de Territoire zéro chômeur, a nuancé Catherine Zuber, conseillère régionale déléguée à l’ESS de la région Grand-Est et vice-présidente du RTES. Cette dernière observe toutefois un intérêt grandissant de la part des régions, pour la dimension de création d’emplois mais aussi pour le "potentiel humain" du projet. "Cela reste un modèle fragile économiquement", a-t-elle souligné. Sa région a mis quelque 270.000 euros pour soutenir le projet de Colombey-les-Belles (Meurthe-et-Moselle), un budget qui aurait été difficile à allouer "si on avait eu dix projets". Si le Grand-Est a depuis aidé financièrement deux projets émergeants à Épinal et Joinville, Catherine Zuber appelle à s’interroger sur la sécurisation des projets sur le long terme.

Les départements y contribueront désormais de façon systématique. Dans la deuxième étape de l’expérimentation qui s’ouvre, "la délibération du département est obligatoire et la loi lui impose de contribuer au financement des emplois supplémentaires", a rappelé Antonin Gregorio, directeur général de TZCLD. Certains départements ont fait le choix de s’investir fortement dès la première étape, à l’instar de l’Ille-et-Vilaine qui a soutenu le projet de Pipriac et Saint-Ganton dans les années de démarrage puis à hauteur de 2.000 euros par ETP salarié. Le financement est ainsi passé de 55.000 euros par an en 2017 à quelque 100.000 euros aujourd’hui, du fait de la hausse des effectifs de l’EBE. Rapportés à l’enveloppe annuelle de 100 millions d’euros dédiée aux allocations de revenu de solidarité active (RSA), ces 100.000 euros sont considérés comme un investissement possible et pertinent du fait de l’impact du projet sur l’emploi, avec une diminution – avant la crise sanitaire – du nombre de bénéficiaires du RSA dans les deux communes, mais aussi sur les politiques de handicap puisqu’un tiers des publics embauchés sont en situation de handicap et, enfin, sur l’enfance et la famille. "On a vu des cas d’enfants revenir dans la famille parce que l’emploi, le fait d’être salarié a recréé un cadre plus stable pour la famille", a mis en avant Franck Pichot, maire de Pipriac et vice-président du conseil départemental d’Ille-et-Vilaine. Dans d’autres familles, le fait pour certaines femmes d’accéder à un travail, et donc de se retrouver sur "un pied d’égalité" avec leur conjoint, a pu aussi entraîner des séparations. "Cela a plutôt apaisé la commune sur plein de sujets, même si à d’autres endroits cela a pu générer des tensions", a conclu le maire de Pipriac.

Penser l’articulation entre les EBE et les structures de l’insertion par l’activité économique

Les "tensions" les plus fréquemment évoquées sont celles qui ont pu avoir lieu, dans certains territoires, entre les entreprises à but d’emploi nouvellement créées, en quête d’activités, et les structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE) implantées depuis longtemps, dont certaines ont pu se sentir concurrencées. Le rôle du comité local est en la matière déterminant pour favoriser l’articulation entre les différentes structures, tant du point de vue des activités portées que des salariés. A Thiers (Puy-de-Dôme), c’est une entreprise de l’IAE qui a pris les devants, considérant qu’un travail partenarial avec le projet TZCL permettrait d’"offrir aux chômeurs de longue durée des opportunités beaucoup plus larges que celles qu’on pouvait leur offrir jusqu’à maintenant", a témoigné Alain Chapelon, président de l’association d’ateliers et chantiers d’insertion Inserfac. Cette dernière porte même depuis 2019 la deuxième EBE de Thiers, créée alors que la première EBE employait déjà plus de 70 personnes et que l’"exhaustivité" - le fait d’embaucher sur un territoire toutes les personnes durablement privées d’emploi volontaires – était encore loin d’être atteinte.     

Alors que les prochaines étapes – décret, désignation des nouveaux territoires… - sont attendues de pied ferme par les porteurs de projet et parties prenantes de l’expérimentation, le président de TZCLD a mis en garde sur le risque "d’étatiser le projet ou de le bureaucratiser". Il a appelé à concilier, par la suite, le maintien de "cette liberté qui fait la force des acteurs d’un territoire" et la mise en œuvre d’une "culture managériale du projet" pilotée par l’association nationale. Laurent Grandguillaume a annoncé que TZCLD allait se doter d’un conseil scientifique et d’un laboratoire de recherche, pour "être force de propositions sur des éléments de mesure des impacts dans les territoires". Il a ainsi rappelé que les "nouveaux indicateurs de richesse" doivent être pris en compte dans l’évaluation de l’expérimentation, selon la loi de 2016, ce qui n’a pas encore été fait jusque-là.