L'Insee propose de prendre en compte le climat dans les comptes nationaux

À travers une série d'études publiées ce 5 novembre, l'Insee propose de prendre en compte le changement climatique (dommages causés par l'activité économique et décarbonation) dans les comptes nationaux, à partir d'un nouvel indicateur, le produit intérieur net ajusté (Pina). L'institut analyse aussi l'évolution des émissions de CO2 et de l'empreinte carbone de la France et planche sur le calcul du revenu des ménages après redistribution élargie, c'est-à-dire tenant compte de l'impact des transferts et services publics. Il propose aussi un indicateur d'épargne nette ajustée (ENA).

Quand on dépense 50 euros en France, on émet 10 kg de CO2 avec des différences importantes selon le contenu carbone des produits. C'est l'une des conclusions des études de l'Insee publiées ce 5 novembre 2024, qui s'attachent à prendre en compte le climat dans les comptes nationaux et à détailler l'impact des transferts et services publics sur le revenu des ménages. Dans le premier volet de ses publications, l'Insee s'intéresse ainsi à l'impact du climat sur notre production de richesse avec notamment une estimation de notre empreinte carbone pour l'année 2023 : 644 millions de tonnes équivalent CO2, en baisse de 4,1% par rapport à 2022. Cette empreinte carbone correspond dans le détail aux émissions de CO2 destinées à satisfaire la demande française : les émissions importées (56%), les émissions dues aux activités économiques (28%) et les émissions provenant directement des ménages (16%), de produits importés ou issus du territoire français.

L'empreinte carbone de la France en baisse depuis 1990

Globalement, sur une longue période, cette empreinte carbone baisse (-13% depuis 1990). Cela traduit "une double tendance", explique l'Insee : "une diminution des émissions de la production intérieure (-39%) et des émissions directes des ménages (-20%), modérées par une hausse des émissions importées (+13%)".

L'Insee met aussi en avant l'évolution des émissions de gaz à effet de serre (GES) des unités résidentes françaises. Elles s'élèvent en 2023 à 403 millions de tonnes équivalent CO2 (302 émises par les activités économiques et 101 par les ménages - chauffage des logements et utilisation des véhicules). Après une chute inédite liée à la crise sanitaire (-10,4% entre 2019 et 2020), ces émissions de GES ont rebondi en 2021 (+5,8%) puis diminué en 2022 (-2,9%). Elles sont à nouveau en baisse (-5,6%) en 2023 par rapport à 2022, à 5,9 tonnes par personne, alors que le PIB est en augmentation de 0,9%.

Toutes les branches contribuent à la baisse des émissions excepté le transport aérien

Parmi les explications à cette baisse : les comportements plus sobres des ménages (moindre consommation de combustibles fossiles pour les logements et véhicules notamment), une météo hivernale plus clémente, l'amélioration de l'efficacité énergétique des parcs de véhicules et logements, et, pour les activités économiques, des circonstances conjoncturelles meilleures (meilleure disponibilité des infrastructures de production d'électricité d'origine nucléaire) et des facteurs structurels (efficacité énergétique des moyens de production, décarbonation tendancielle).

"En 2023, à l'exception du transport aérien, toutes les branches d'activité contribuent à la réduction des émissions", précise l'étude consacrée au sujet, qui précise aussi que "sur le moyen-long terme, dans la plupart des branches et pour l'économie en général, une tendance au découplage entre évolution de la production et évolution des émissions de GES est à l'œuvre : les émissions diminuent alors que l'activité économique mesurée en euros constants augmente". Et d'expliquer d'où peut venir ce découplage : de l'externalisation de procédés de fabrication intensifs en carbone, de la consommation d'intrants moins carbonés, de la modification de la nature des produits fabriqués ou encore de l'adoption de technologies, procédés ou comportements moins émissifs.

Un PIB tenant compte des effets climat

Estimant que le PIB ne prend pas en compte les dommages futurs que causent les activités économiques sur le patrimoine transmis aux générations suivantes et le coût de la décarbonation, l'Insee propose deux nouveaux indicateurs : le produit intérieur net ajusté (Pina) et l'épargne nette ajustée (ENA).

Pour le Pina, l'organisme se base sur le produit intérieur net qui correspond à 2.294 milliards d'euros, dont il déduit l'ajustement net, soit 94 milliards d'euros, correspondant aux dommages futurs et aux coûts de décarbonation. Il aboutit ainsi à un Pina de 2.200 milliards d'euros. Avec le même calcul, l'Insee estime que l'épargne des ménages est négative de 133 milliards d'euros (contre une épargne nette de 68 milliards d'euros). "Cela signale un manque de soutenabilité, a expliqué Nicolas Carnot, directeur des études et synthèses économiques de l'Insee. Nous laissons moins aux générations suivantes."

D'autres indicateurs sont à l'étude, comme le "compteur carbone", qui permettra de calculer l'écart entre les émissions constatée et les engagements (-21 milliards d'euros en 2023 avec un démarrage en 2018, correspondant au lancement de la stratégie nationale bas carbone), et le coût à décarboner dans le futur jusqu'au zéro émission nette. Ce coût prospectif, estimé en cumulé de chaque année, se monterait à 929 milliards d'euros à ce jour.

L'impact des transferts et services publics sur les revenus des ménages

Enfin, l'Insee propose une série de données concernant l'épargne des ménages, qui augmente avec le niveau de vie, le niveau de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle (les plus aisés épargnent un quart de leur revenu quand les plus modestes n'épargnent pas). Un indicateur sur la redistribution "élargie" du revenu national permet d'analyser l'impact des transferts monétaires (prélèvements, prestations sociales monétaires, bénéfices des services publics) sur le revenu des ménages : ils augmentent de 16% le niveau de vie au milieu de l'échelle des revenus. Avant redistribution, le niveau de vie des 10% les plus aisés est près de 24 fois plus élevé que celui des 10% les plus modestes. Après redistribution, l'écart n'est plus que de 4. La redistribution conduit donc bien à réduire les inégalités de revenus. Et, "au total, 57% des personnes reçoivent en net plus qu'elles ne versent au titre de cette redistribution élargie", précise l'Insee, ce qui n'est pas toujours perçu.