Logement des saisonniers : une politique publique dans l'impasse
La Cour des comptes tire un maigre bilan de l'action publique en faveur du logement des travailleurs saisonniers. Pour faire face aux besoins du secteur touristique, elle en appelle à une approche "pragmatique".

© Benoit DECOUT-REA/ Logements de travailleurs saisonniers
La nécessité d'héberger les travailleurs saisonniers non sédentaires est une question "clairement identifiée" par les pouvoirs publics mais "insuffisamment prise en compte", affirme la Cour des comptes dès les premières lignes de son rapport consacré au logement des travailleurs saisonniers, rendu public ce 4 juillet, 24 heures après la publication d'un rapport quant à lui dédié au logement étudiant (voir notre article).
Si cette question est clairement identifiée, c'est notamment parce qu'en 2022, 59% des entreprises de l'industrie hôtelière avaient dû restreindre leur offre en haute saison par manque de personnel. Un frein à l'embauche qui ne passe pas inaperçu dans le tourisme, qui représente 8% du PIB. Ce que la cour appelle "une question importante pour l'économie nationale". Au point qu'en mai 2023, le gouvernement lançait un plan visant à améliorer l'emploi des travailleurs saisonniers dans le tourisme où le logement figurait en première ligne (lire notre article du 31 mai 2023).
Si cette question est insuffisamment prise en compte, les raisons sont multiples. La Cour des comptes évoque l'impossibilité de décompter de façon fiable le nombre des travailleurs saisonniers. Toutefois, les juridictions financières qui ont travaillé sur ce rapport estiment à 400.000 celles et ceux qui ont besoin d'un logement à proximité de leur lieu de travail saisonnier. Quant à l'évaluation quantitative du parc de logements disponibles pour les accueillir, elle est jugée "encore plus aléatoire". Or, face à ce besoin criant, les politiques publiques semblent faire du sur-place.
"Aucune estimation financière"
Premier à se faire tirer les oreilles par la Cour des comptes : l'État. Car à l'"absence de pilotage de l'État central" viennent s'ajouter des services déconcentrés qui ne donnent qu'une "impulsion variable". À l'image de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) d'Auvergne-Rhône-Alpes, dessaisie de la question du logement des saisonniers depuis 2020.
Côté finances, la cour relève des coûts d'intervention "difficilement mesurables" du fait de crédits budgétaires de l'État "fondus" au sein de la mission Économie. En résumé, les efforts en faveur du logement des saisonniers "ne donnent lieu à aucune estimation financière". Une mauvaise note qui vaut aussi pour les collectivités territoriales, dont la cour note "l'absence de suivi comptable" sur la question.
Des solutions locales encore "artisanales"
Quant à la feuille de route 2023-2025 du gouvernement, la Cour des comptes en tire un pâle bilan. D'abord, ce plan n'a "fait l'objet d'aucun objectif chiffré permettant de suivre sa mise en œuvre et d'apprécier son efficacité". De plus, "aucun bilan d'étape sur 2024 n'a été effectué alors qu'il s'agissait d'une année importante pour le tourisme avec l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris". La mobilisation des internats ou des résidences universitaires, prévue dans le plan, est jugée "peu adaptée à l'hébergement des saisonniers". Tandis que la seule mesure strictement réservée au logement des saisonniers – le dégrèvement fiscal pour les propriétaires particuliers – reste "mal connue et peu utilisée".
Face à ce constat national, la Cour des comptes souligne "l'extrême prégnance de la dimension locale de la problématique" et salue le fait que "les élus locaux, lorsqu'ils prennent conscience de l'enjeu économique pour leur territoire, impulsent des solutions publiques ou privées parfois innovantes". Et ce même si la cour regrette que ces solutions revêtent souvent un caractère "artisanal", ainsi que "l'absence de chef de file au niveau local".
Absence de pilotage
S'il existe donc une politique locale, il n'existe en revanche aucun bilan de la mise en œuvre des conventions obligatoires entre les communes touristiques et l'État, prévues par la loi Montagne II. Les diagnostics des situations locales sont jugés, pour leur part, "pas suffisamment fiables pour servir de référence". "L'absence de pilotage au niveau national comme au niveau local constitue ainsi un facteur aggravant de la pénurie de logements pour les saisonniers", renchérit la cour.
Quant à l'intermédiation entre les saisonniers demandeurs de logements et les bailleurs potentiels – assurée par les collectivités, France Travail, Action Logement, etc. –, la cour juge son efficacité "limitée" en raison du "décalage important entre une demande forte et une offre très insuffisante". A fortiori dans des zones marquées par un "marché immobilier en tension"
Une accumulation de normes qui accroît la précarité
Face à ces constats, la Cour des comptes penche pour une "approche pragmatique". Si elle loue les outils de planification (Scot, PLU et PLH) capables de "mobiliser de façon effective et durable des acteurs susceptibles de promouvoir le logement pour les saisonniers", elle considère aussi que "l'accumulation des normes peut contribuer, par leur contournement, à accroître la précarité et à entraver la mise en œuvre de solutions de bon sens". Au point de remarquer que "des dérogations négociées et acceptées par les autorités, les employeurs et les syndicats ont permis de loger les travailleurs saisonniers dans des conditions plus dignes que lorsqu'ils sont livrés à eux-mêmes ou à des 'marchands de sommeil'". Bref, la cour préfère "favoriser une diffusion des bonnes pratiques existantes plutôt qu'une modification réglementaire importante".
Et alors que "tout reste à inventer ou à réinventer pour sécuriser les parcours professionnels des saisonniers", la Cour des comptes émet sept préconisations. Si les premières relèvent de la gestion, les suivantes sont plus opérationnelles. Il s'agit d'abord, dès 2025, de réactiver un réseau fédéré des maisons des saisonniers, d'encourager le dispositif dérogatoire des "secteurs de taille et de capacité d'accueil limitées" (Stecal, qui constituent une exception au principe de non-constructibilité en zones agricoles et naturelles) comme outil en faveur de l'hébergement des saisonniers, et d'examiner les conditions de rétablissement de la délivrance des licences de "petite remise" afin de développer des solutions adaptées de mobilité de proximité.
Enfin, à l'horizon 2026, la cour souhaite faire du logement des travailleurs saisonniers une composante de la compétence "habitat" des EPCI, dont ils seraient chefs de file, inclure le logement des travailleurs saisonniers dans les programmes locaux de l'habitat, et étendre à l'hébergement des saisonniers les dispenses temporaires au régime applicable en matière de droit des sols pour certaines constructions temporaires et démontables.