Logistique urbaine et déplacements : quatre villes pleines de bon sens

Des enjeux communs, des solutions diverses. Pour les partager, un forum ouvert à tous se tient à intervalles réguliers dans le cadre du programme national Action cœur de ville. Le 21 janvier, des élus et directeurs techniques de villes moyennes y ont participé, sur le thème des politiques innovantes de déplacements.

Complètement dématérialisé du fait de la crise sanitaire, le forum des solutions organisé le 21 janvier dans le cadre du programme national Action cœur de ville a permis à la ville de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) de livrer les ingrédients d’une recette gagnante pour pacifier son hypercentre et décarboner les livraisons. Piétonnier, fermé à la circulation, les livraisons y sont autorisées à certaines heures. "Pour y parvenir, il a fallu implanter au plus près un espace logistique urbain (ELU), ce qui fut loin d’être évident", raconte Gilles Delhaie, directeur des infrastructures et espaces publics de la ville. Là où d’autres se sont cassé les dents - Clermont-Ferrand par exemple, avec un projet de plate-forme resté lettre morte alors qu’à l’opposé, La Rochelle a réussi dans ce domaine - les élus bayonnais ont su agir sur plusieurs fronts : réguler la mobilité des marchandises, réglementer la circulation et le stationnement, tout en développant un réseau de navettes gratuites électriques sillonnant le centre. Dans les rues étroites et pavées de l'hypercentre, les triporteurs et camions électriques sont les bienvenus en journée pour livrer les commerçants. Un petit transporteur local, la coopérative spécialisée, Hemengo Erlea ("l’abeille d’ici", en basque), les gère à partir d’une base arrière, le centre européen de fret situé dans une commune voisine, et d’un avant-poste dans le Vieux Bayonne. Sa flotte verte a grossi, avec l’appui de la collectivité, ses flux de colis livrés et son chiffre d’affaires aussi (1 million d’euros en 2020, équilibre atteint fin 2018). D’autres transporteurs classiques peuvent s’approcher au plus près grâce à l’ELU. 

Tirer des leçons

"Ce type d’expérimentation rentre dans l'esprit de la démarche France Mobilités. Nous sommes là pour faciliter cela, tirer des leçons, dupliquer ailleurs. Tant avec les programmes Action cœur de ville que Petites Villes de demain, nous travaillons actuellement à cartographier les aides et soutiens aux services innovants de mobilité", a rebondi Claire Baritaud, directrice de la mission innovation, numérique et territoires à la DGITM (ministère de la Transition écologique). Exemple de soutien possible, celui apporté aux lauréats de l'appel à manifestation d'intérêt (AMI) "France Mobilités - Territoires de nouvelles mobilités durables" (Tenmod). Celui de 2020 à peine clos, un nouvel AMI est d’ailleurs en cours. 

La gratuité, vingt ans après

Autre bilan, si flatteur qu’il offre peu de prise à d’éventuels opposants, celui de Châteauroux (Indre), une ville pionnière de la gratuité des transports publics. L’objectif était de doubler la fréquentation des bus du réseau Horizon, qui était d’un peu moins de 1,5 million de voyages par an ; elle a plus que triplé. Emmanuel Gerber, responsable du service déplacements à Châteauroux Métropole, précise que "le passage à la gratuité n’explique pas tout, en parallèle il faut développer l’offre et la qualité de service". La vitesse commerciale a grimpé, la cote du centre-ville, "longtemps en déshérence", aussi. Les recettes générées par la billetterie (400.000 euros) ne représentaient que 14% du coût total de l’exploitation du réseau. "Elles ont été compensées par l’accroissement du versement mobilité", et par des économies réalisées sur l’exploitation, négociées avec le délégataire Keolis, dont la délégation de service public (DSP) prend fin en décembre, date à laquelle cette politique locale de libre accès fêtera ses vingt ans. 

Le plan se déroule sans accroc

Tout changement ne se faisant pas sans heurts, ce fut au tour de la ville de Fécamp (Seine-Maritime) de témoigner des obstacles inhérents à la piétonnisation de son centre. Les techniciens se sont fait la main sur la réfection d’une petite rue : un projet qui semblait bien parti mais a tourné au fiasco. Remodelé en écoutant mieux les riverains et en tenant compte des flux piétonniers, il a "servi de leçon" pour s’attaquer à une rue commerçante. Là, avec l’appui du Cerema, les commerçants ont été associés dès la conception et les contraintes liées à la mobilité des personnes âgées intégrées (mise en accessibilité, rampes, mobilier urbain). 

À guichet ouvert 

Pour clore en beauté cette session, Vire Normandie (Calvados) a partagé son histoire étonnante. Pour ne pas perdre pas le guichet de sa gare, cette municipalité a bataillé avec la SNCF et l’a repris en main en intégrant deux employés (non cheminots) dans son personnel communal : "Après 18 mois d’échanges, la SNCF a accepté que le hall fraîchement réhabilité reste ouvert et sous leur responsabilité avant le premier terrain et l’arrivée de nos employés. Négocier avec la SNCF fut compliqué, ils voulaient réduire l’offre de transports, nous la maintenir. Ils arrivent avec des conventions, des cahiers des charges, les interlocuteurs changent vite", détaille Annie Rossi, directrice générale des services de la ville. 
La collectivité vend donc des billets de train à la place de la SNCF et perçoit 6% des recettes que cette dernière lui reverse, pour couvrir en partie les charges. Elle se donne du temps pour faire évoluer le dossier en tenant compte des attentes et spécificités locales, grandement liées à l’avenir de la ligne Paris-Granville. Elle s’est rapprochée de l'établissement public foncier (EPF) de Normandie pour acquérir la gare et y créer un pôle multimodal : "Nous avançons doucement mais sûrement. C’est un projet stratégique, ce pôle sera la porte d’entrée de notre territoire, le cœur de notre politique mobilité", conclut Annie Rossi.