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Ce que prévoit la loi "état d'urgence sanitaire"

Le Parlement a adopté dimanche le projet de loi instaurant pour deux mois un "état d'urgence sanitaire" et autorisant le gouvernement à prendre une série de mesures par ordonnances (24 textes seront présentés ce mercredi en conseil des ministres). Le confinement et son contrôle, les mesures concernant les entreprises, les salariés et les agents publics (dont la suspension du jour de carence), les mesures d'ordre social, les municipales, le fonctionnement des collectivités… S'y ajoute une loi de finances rectificative.

Le Parlement a bouclé dimanche 22 mars quatre jours de travaux intensifs en comité restreint par l'adoption définitive d'une batterie de mesures face au coronavirus, qui vont déboucher sur l'instauration pour deux mois d'un "état d'urgence sanitaire", régime d'exception. Après un dernier vote à main levée au Sénat, l'Assemblée a approuvé à son tour dans la soirée le texte selon les mêmes modalités, dans un hémicycle quasi vide pour raisons sanitaires. En sachant que le Parlement a aussi adopté définitivement, sans encombre, vendredi, le projet de loi de finances rectificative, qui vient traduire le volet financier des mesures d'urgence. Il anticipe une récession de 1% du PIB et un déficit public à hauteur de 3,9% du PIB en 2020.

Dans une ambiance "grave", des élus de divers bords ont appelé à l'"unité" et à "la mobilisation générale". Un compromis entre députés et sénateurs avait été dégagé dimanche en début d'après-midi, après de longues tractations en commission mixte paritaire (CMP). Dès sa publication au Journal officiel, la loi vient instaurer l'état d'urgence sanitaire, qui encadre la restriction des libertés publiques (confinement, réquisitions...). Le texte a eu l'appui de la majorité LREM-Modem, qui a défendu l'octroi au gouvernement de "toutes les armes nécessaires" face à la crise. Il a aussi eu le soutien de l'UDI-Agir et de LR. Le PS s'est pour sa part abstenu, le PCF a voté contre, tout comme le groupe LFI. Samedi, le Premier ministre, Édouard Philippe, avait appelé à une "concorde exceptionnelle". Plusieurs voix se sont toutefois rapidement élevées pour dénoncer un "champ des restrictions des libertés publiques beaucoup trop large" (LFI), LR soulignant aussi "le pouvoir colossal" accordé au gouvernement et sa "responsabilité terrible". Majorité et exécutif ont mis en avant les "garanties" apportées et le caractère provisoire de ces dispositions. Députés et sénateurs sont finalement parvenus à un accord dimanche, encadrant davantage les pouvoirs octroyés au gouvernement.

Outre l'"état d'urgence sanitaire", le texte autorise le gouvernement à prendre par ordonnances une série de mesures pour soutenir les entreprises et acte le report "au plus tard au mois de juin 2020" du second tour des municipales. Les municipales, et en particulier la date de dépôt des listes, ont été un autre point de friction entre Sénat et Assemblée, plusieurs élus jugeant "surréaliste" d'en discuter en longueur en pleine crise. Députés et sénateurs ont là aussi trouvé un compromis : si les conditions sanitaires le permettent, le dépôt des listes aura lieu le 2 juin en vue du second tour.

Le texte prévoit par ailleurs de durcir les sanctions pour les Français qui ne respecteraient pas le confinement. Il permet aussi aux employeurs d'imposer une semaine de congés payés aux salariés confinés, mais après un accord d'entreprise ou de branche.

Interrogé ce lundi soir au 20 heures de TF1, le Premier ministre a annoncé que les ordonnances prévues par le projet de loi sur l’état d’urgence sanitaire seraient adoptées le 25 mars en conseil des ministres, évoquant un arsenal de 24 textes.

PROJET DE LOI D'URGENCE

État d'urgence sanitaire

Sur le modèle de l'état d'urgence prévu par une loi de 1955 et activé après les attentats de 2015, le gouvernement prévoit un nouveau régime d'"état d'urgence sanitaire". Il pourra être déclaré sur tout ou partie du territoire "en cas de catastrophe sanitaire, notamment d'épidémie mettant en jeu par sa nature et sa gravité, la santé de la population". Un dispositif spécifique pour le coronavirus prévoit que l'état d'urgence sanitaire soit "déclaré pour une durée de deux mois" à compter de l'entrée en vigueur de la loi. Sa prorogation au-delà ne pourra être autorisée que par la loi. Le nouveau régime prévoit des mesures limitant la liberté d'aller et venir, de réunion et d'entreprendre.
• La violation des règles de confinement seront punies d'une amende de 135 euros, 1.500 euros en cas de récidive "dans les 15 jours" et dans le cas de "quatre violations dans les trente jours", le délit sera "puni de 3.700 euros d'amende et six mois de prison au maximum".
• Policiers municipaux et agents de la ville de Paris pourront constater les infractions aux restrictions de déplacements.
• L'Assemblée nationale et le Sénat seront informés "sans délai" des mesures prises pendant cet état d'urgence

Mesures économiques et d'adaptation à l'épidémie

Le gouvernement est habilité à prendre par ordonnances une série de mesures pour soutenir les entreprises et "limiter les cessations d'activité" et les licenciements, notamment :

• Mesures de "soutien à la trésorerie", "aide directe ou indirecte" et "facilitation du recours à l'activité partielle".
• Dérogations possibles en matière de durée du travail pour certaines entreprises dans des secteurs "particulièrement nécessaires".
• Sous réserve d'un accord d'entreprise ou de branche, un employeur pourra imposer une semaine de congés payés à un salarié pendant le confinement et modifier les conditions d’acquisition de congés payés et de repos hebdomadaire et dominical.
• Assouplissement des conditions et modalités de versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ("prime Macron", reconduite pour l’année 2020 par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020)
• Possibilité de "reporter ou d'étaler le paiement des loyers" ou certaines factures (eau, électricité...) pour les très petites entreprises "dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie".
• Pour les agents publics, suspension temporaire du jour de carence en cas d'arrêt maladie pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire

Suspension générale du jour de carence

C'est Édouard Philippe qui a annoncé samedi devant l'Assemblée nationale la suspension générale du jour de carence en cas d'arrêt maladie pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire. "Je crois nécessaire, pour la seule période de l'urgence sanitaire, de suspendre les dispositifs de jour de carence dans le secteur privé comme dans la fonction publique", a dit le Premier ministre lors d'une déclaration ouvrant l'examen du projet de loi d'urgence répondant à la pandémie de coronavirus. "C'était le cas pour les confinements et nous élargissons aux arrêts/maladie #Covid_19", a précisé le secrétaire d'État chargé de la fonction publique, Olivier Dussopt.
En temps normal, les agents publics ne bénéficient du maintien de leur rémunération qu'à partir du deuxième jour d'arrêt de travail. Ce délai s'étend au quatrième jour dans le privé, même si l'employeur prend généralement l'ensemble en charge du fait d'accords d'entreprise ou de branche. Ce maintien de la carence avait suscité la controverse ces derniers jours, alors qu'elle avait été supprimée pour les arrêts de travail forcés pour garder les enfants de moins de 16 ans.
Cette décision de suspension a donc pris la forme d'un amendement du gouvernement. "Dans le cadre de la gestion de l'épidémie et afin d'assurer une égalité de traitement de l'ensemble des assurés (mis en isolement, contraints de garder leurs enfants ou malades) du point de vue de l'application d'un délai de carence pour le bénéfice de l'indemnisation des arrêts de travail, il est proposé de supprimer, pendant la période d'état d'urgence sanitaire, l'application de cette carence dans l'ensemble des régimes (régime général, agricole, régimes spéciaux dont fonction publique)", est-il indiqué dans le texte. Dans un communiqué, la CFDT s'est "réjouie de cette mesure de solidarité et de justice sociale", soulignant que "ce sont en effet les travailleuses et travailleurs qui continuent à effectuer les missions vitales de notre pays qui sont le plus exposés et tout particulièrement les soignants. Il était insupportable qu'ils soient en plus pénalisés financièrement". L'Unsa Fonction publique a également salué la mesure, "indispensable et nécessaire", car "la santé, la maladie ne pouvaient pas être des objets de sanction financière d'autant que des soignants, des agents publics et des salariés sont mobilisés au service du pays". Une "bonne nouvelle" aussi pour FO-fonction publique, pour qui "cette suspension n'est pas pour autant une fin en soi. Ce jour de carence est inacceptable pour tout arrêt maladie et devra être définitivement abrogé".

Dispositions électorales

Le second tour des municipales est reporté "au plus tard au mois de juin". La date sera fixée par décret en conseil des ministres, pris le 27 mai au plus tard si la situation sanitaire le permet. Les déclarations de candidatures seront déposées au plus tard le mardi qui suit la publication du décret.
• Au plus tard le 23 mai sera remis au Parlement un rapport du gouvernement sur l'état de l'épidémie et les risques sanitaires, fondé sur une analyse du comité de scientifiques mis en place par le texte. Si un second tour ne peut pas se tenir en juin, retour à la case départ, avec tenue de deux tours de scrutin. Pour les candidats élus dès le premier tour, le résultat est cependant définitif.
• Report des réunions de conseils municipaux élus au premier tour pour désigner les maires.
[voir notre article dédié de ce jour]

Mesures diverses

• Validité prolongée de six mois pour les titres de séjour des étrangers en situation régulière
Intervention à distance d'un avocat par exemple pour la prolongation d'une garde à vue, aménagement de certaines règles relatives aux peines de prison (affectation, fin de peine...).
• Extension à "titre exceptionnel et temporaire" du nombre d'enfants accueillis par un assistant maternel [ voir notre article de ce jour ].
• Adaptation en matière d'ouverture ou de prolongation des prestations versées aux personnes en situation de handicap, pauvreté, notamment les bénéficiaires de minima et prestations sociales, et aux personnes âgées (modalités de réquisitions des professionnels du secteur social et médico-social, continuité des droits …).
• Prolongation de la trêve hivernale [ voir notre article ].

• Continuité du fonctionnement des institutions locales et la continuité budgétaire et financière des collectivités territoriales et des établissements publics locaux : dérogation aux règles de fonctionnement et de gouvernance, aux règles qui régissent l’exercice de leurs compétences par les collectivités territoriales, aux règles d’adoption et d’exécution des budgets… Et possibilité pour les collectivités de déroger pour 2020 à la règle de maîtrise des comptes publics limitant la hausse de leurs dépenses de fonctionnement à 1,2% par an.

• Adaptation des règles de dépôt et de traitement des déclarations administratives.
• Adaptation des règles régissant les contrats et commandes publics
• Dérogation aux dispositions relatives à la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics.
• Adaptation des délais applicables au dépôt et au traitement des déclarations et demandes présentées aux autorités administratives et des délais et des modalités de consultation du public ou de toute instance ou autorité préalable à la prise de décision par une autorité administrative.

LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE

Le texte anticipe un lourd impact du coronavirus sur l'économie française, avec une récession de 1% du PIB et un déficit public à hauteur de 3,9% du PIB en 2020. Combiné au projet de loi d'urgence, le texte prévoit un arsenal immédiat de 45 milliards d'euros pour aider les entreprises en difficulté et financer le chômage partiel des salariés. Est prévue une garantie exceptionnelle de l’État pour les prêts aux entreprises durant la période de crise (300 milliards d'euros de prêts garantis par l’État). Un comité de suivi est créé pour suivre et évaluer la mise en œuvre de cette garantie.

 

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