Marc Fesneau dévoile son "pacte" pour l'agriculture

Après plus d'un an de préparation, le ministre de l'Agriculture a enfin dévoilé, vendredi 15 décembre, son "Pacte d'orientation pour le renouvellement des générations en agriculture" qui vise à répondre à un double défi démographique et climatique, a-t-il dit. Démographique car environ la moitié des exploitants va partir à la retraite dans les dix ans. Le pacte instaure un nouveau guichet unique de l'installation-transmission baptisé France services agriculture, piloté par les chambres d'agriculture, en partenariat avec les régions.

Alors que les opérations coup de poing des agriculteurs se multiplient (notamment pour dénoncer dans certaines régions le retard pris dans le versement des aides du Feader), le gouvernement sort enfin son Pacte d'orientation pour le renouvellement des générations en agriculture en gestation depuis plus d'un an. Ce pacte ne vise pas à répondre à la colère du moment mais à assurer "la souveraineté alimentaire" du pays car l'agriculture française va devoir faire face à deux urgences : "le défi démographique et le défi climatique", a martelé le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau, en présentant son catalogue de mesures, vendredi 15 décembre, lors d'un déplacement à Yvetot, en Seine-Maritime. Comme son nom l'indique, c'est la question du renouvellement des générations qui avait motivé ce pacte annoncé par le président de la République en septembre 2022 (voir notre article du 12 septembre 2022), avec le départ à la retraite de près de la moitié des chefs d'exploitations agricoles d'ici 10 ans. Mais il s'agit aussi de produire suffisamment et mieux tout en tenant compte des contraintes climatiques et des transitions écologiques en cours.

Ce pacte a fait l'objet d'une longue concertation lancée fin 2022, avec les chambres d'agriculture et les régions, dont les conclusions avaient été rendues au mois de juin (voir notre article).

Une partie de ces propositions se traduira dans un projet de loi d'orientation et d'avenir agricole annoncé pour le premier trimestre 2024.

Réconcilier agriculture et société

Le pacte comporte 4 axes. Le premier consiste à "réconcilier agriculture et société". Un plan national d'orientation et de découvertes des métiers agricoles viendra créer un "choc d'attractivité" vers les métiers du vivant, notamment par des "stages immersifs", indique-t-on au cabinet du ministre.

Le deuxième axe vise à "faire émerger une nouvelle génération d'agriculteurs à l'avant-garde des transitions écologiques". Le pacte s'appuiera sur un réseau d'un millier d'experts associés dans l'enseignement agricole dans des domaines clés tels que l'hydraulique, la robotique ou les agroéquipements. Dès la rentrée 2025 sera mis en place un "Bachelor Agro" (bac+3) afin de former les futurs agriculteurs à des métiers de plus en plus complexes. Un programme triennal de formation sur des sujets tels que l'usage de l'eau ou le numérique permettra aux 50.000 professionnels qui accompagnent et conseillent les agriculteurs "d'être à la pointe des transitions".

Un guichet unique de l'installation-transmission

Le troisième axe consiste à "reconcevoir les systèmes de production à l'échelle des exploitations". En clair, il s'agit d'améliorer l'accompagnement à l'installation et à la transmission. Un chantier qui verra la création d'un guichet unique baptisé "France services agriculture", piloté par les chambres d'agriculture, en partenariat avec les régions "qui sont totalement parties prenantes", assure le cabinet du ministre. Tous les porteurs de projets devront obligatoirement passer par ce service. Pour les accompagner dans les transitions climatiques, dès 2024, un portefeuille de prêts garantis d'un montant de 2 milliards d'euros (prévu dans le budget 2024) sera mobilisé pour soutenir les prises de risques. Comme annoncé (voir notre article), un "fonds entrepreneurs du vivant" doté de 400 millions d'euros sera créé en 2024 "en faveur du portage de capitaux et de foncier (...) pour faciliter l’installation de nouveaux agriculteurs et la réalisation des transitions. Les cédants bénéficieront de leur côté d'une aide directe et d'une exonération de la taxe sur la plus-value s'ils transmettent leur exploitation à un jeune (la mesure devrait figurer dans le projet de loi).

Stress tests climatiques

Pour s'assurer de la viabilité des exploitations, des "diagnostics modulaires" seront proposés. Ils s'accompagneront de "stress tests climatiques" destinés à évaluer la viabilité des projets au regard de l’évolution climatique du territoire dans les prochaines années. Il ne s'agit pas d'être "coercitif" dans les installations, mais de s'assurer que le projet "est viable ou pas", a insisté le ministre. Il entend aussi accélérer les procédures de recours concernant les projets de stockage de l’eau ou d’ICPE (installations classées pour la protection de l'environnement".

Enfin, quatrième axe, le pacte entend "reconcevoir les systèmes de productions à l'échelle des filières et des territoires". Ce qui se traduira par la création d'un "fonds de souveraineté alimentaire" doté de 180 millions d'euros en 2024 (puis 200 en 2025 et 2026) pour aider les filières à se restructurer face au changement climatique. Ce volet se traduira par la structuration des projets alimentaires territoriaux (PAT) et, en matière de recherche, par un relèvement du plafond du Casdar (compte d’affectation spécial pour le développement agricole et rural) à hauteur de 20 millions d’euros.

Si le syndicat Jeunes agriculteurs (proche de la FNSEA) a salué ces mesures, dont beaucoup répondent à ses propres préconisations, la Confédération paysanne estime qu'elles ne sont pas à la hauteur des enjeux. Selon elle, le pacte "accouche d'une souris en ce qui concerne le renouvellement des générations" car le grand absent c'est le "foncier". "La solution n'est pas le portage par des capitaux privés. Au contraire, il est indispensable de réguler, répartir et faciliter l'installation de paysan·nes nombreux·euses. Sinon il ne se produira aucun sursaut pour l'installation comme pour la transmission", estime le syndicat.

L'association Terre de Liens estime que 15% seulement des crédits du "fonds entrepreneurs du vivant" seront effectivement consacrés au foncier, soit une enveloppe de 60 à 80 millions d’euros. Un montant jugé "dérisoire" par rapport aux 7 milliards d'euros qui s'échangent sur le marché des terres chaque année.